Le téléphérique, un objet urbain désavoué ?
Ce mode de transport citadin, qui a fait ses preuves dans l’hémisphère sud, peine à trouver sa place en Europe. Pourtant plus sobre énergétiquement et moins coûteux qu’un tramway ou un métro, il est confronté à des problématiques foncières, réglementaires et une impopularité croissante des riverains.
Les pylônes se dressent ici et là, aussi grands que des immeubles. Les câbles zigzaguent dans les cieux, enjambant les grandes infrastructures routières. Les stations, déjà sorties de terre, en sont aux derniers aménagements. Il ne reste plus que quelques mois avant la mise en service du premier téléphérique urbain d’Ile-de-France, qui reliera trois villes val-de-marnaises – Villeneuve-Saint- Georges, Limeil-Brévannes et Valenton –, à la ligne 8 du métro via la station Créteil-Pointe du Lac. Inédit. Le téléphérique agite le monde du transport et de la mobilité urbaine. Encore très discret dans les villes d’Europe, beaucoup plus commun et développé en Amérique du Sud notamment, il est surtout connu chez nous grâce aux stations de ski, dont il a indéniablement participé à l’essor et au façonnement d’un imaginaire puissant. Sur certains territoires, ces grandes cabines ont été érigées au rang d’icône, à l’instar de celles en forme d’œuf rouge vif, marqueur de l’identité de la station des Deux Alpes.
Aujourd’hui, le téléphérique s’immisce petit à petit au sein du tissu urbain, dans la lignée d’un autre transport par câble, l’ascenseur. Il s’est imposé comme le facilitateur (souvent oublié) du déploiement de la ville moderne, verticale, ou la hauteur et la multiplication des étages ne sont plus perçues comme des contraintes. Ici, ce n’est pas la verticalité qui est recherchée, mais une horizontalité qui permettrait de gommer les facteurs limitants et les coupures urbaines contribuant au mitage et au morcellement des espaces dus aux sillons infrastructurels. Pourtant, seuls trois téléphériques urbains sont déjà en service en France, à Brest, Saint-Denis de La Réunion et Toulouse. Pourquoi si peu ?
Pression foncière et complexité d’usage
En France, beaucoup de projets et d’études sont restés dans les cartons alors que ce mode de transport se veut écologique, peu coûteux et technologiquement pleinement maîtrisé, avec la présence notable de Poma, locomotive industrielle française et leader mondial du transport par câble. Outre l’allègement tardif, en 2015, de la loi de 1941 interdisant le survol des habitations par des cabines, l’une des raisons principales de ce retard réside dans le fait qu’il ne convient pas à toutes les formes de densité. Pour Dominic Bosio, directeur commercial de l’industriel italien Leitner, concurrent de Poma, le câble présente des limites capacitaires qui le rendent moins compétitif que le duo tramway métro. « Le téléphérique a un débit limité à 3 000 personnes maximum à l’heure. C’est l’équivalent d’un bus toutes les minutes, mais c’est dix fois moins qu’un métro ». De plus, c’est un mode de transport encore peu résilient ; les dysfonctionnements et pannes peuvent avoir de grandes conséquences sur l’ensemble du système et dégradent rapidement l’expérience usager, car, comme l’explique l’industriel, « en cas d’incident affectant l’un des modules, pas question de l’isoler. Il faut arrêter l’ensemble du système, les cabines étant reliées les unes aux autres par le même câble ».
L’autre inconvénient est d’ordre foncier (dans un contexte de raréfaction, de montée des coûts et de sollicitation forte pour le renouvellement urbain ou la densification) et d’intégration urbaine. Les différentes stations ont besoin d’une emprise comprise entre 500 et 800 m², soit bien plus qu’un abribus ou qu’une station de tramway. De plus, si les remontées mécaniques présentent en général des faibles coûts de maintenance, ceux-ci ne sont pas aussi avantageux en ville. En effet, un téléphérique urbain circule environ 7 000 heures par an, contre 1 500 en montagne. L’infrastructure est ainsi plus sollicitée et soumise à pression. C’est ce qui a gâché les premières années d’exploitation du téléphérique de Brest et relativement terni son image, avec des pannes et des interruptions de services à répétition. Les causes étaient multiples : problèmes informatiques, chute de cabine, pannes d’électricité, câbles bruyants ou défaillants… Autant de nuisances qui n’ont pas manqué d’engendrer des crispations entre collectivité, exploitant et constructeur, ainsi que des surcoûts pluriannuels qui ont fait exploser les budgets d’exploitation et de maintenance.
Elias Sougrati
Lire la suite de cet article dans le numéro 443 « Infra et superstructures » en version papier ou en version numérique

Photos : Station téléphérique sur le plateau des Capucins, à Brest, crédit : Mathieu Le Gall/Brest Métropole ; Téléo, le téléphérique urbain de Toulouse, est en service depuis mai 2022, crédit : AUAT