« Inventons une nouvelle typologie de cimetières urbains »

Omniprésents dans nos villes, mais figés dans leur conception, les cimetières français occupent une place considérable dans l’espace urbain. À l’occasion de la sortie de son essai Redonner une place à nos morts (Allary Éditions, 2024), Marion Waller, directrice du Pavillon de l’Arsenal, interroge le rôle et la place des infrastructures mortuaires contemporaines.

 

Marion Waller, crédit : Peter-Allan

La mort a été dissociée de la ville pour des questions sanitaires, mais aussi sociales. D’un côté, il y a une muséification et, de l’autre, une invisibilisation. Comment expliquez-vous cette dualité ?

En réalité, ces deux phénomènes sont souvent liés. Lorsque nous voulons éloigner quelque chose, nous avons tendance à le muséifier. C’est un processus que nous pouvons observer aussi avec la nature: en créant des parcs naturels, nous la mettons en scène tout en nous en tenant à distance. Il en va de même avec la mort. Certains lieux sont soigneusement cadrés, tandis que d’autres sont relégués en marge. Ces dynamiques vont souvent de pair.

 

Autrefois, les cimetières étaient intégrés aux quartiers, entourés d’habitations. Aujourd’hui, ce sont des espaces fermés. Comment repenser leur place dans la ville ?

Se tourner vers le passé peut être une source d’inspiration, mais il ne s’agit pas de reproduire les modèles d’autrefois, je ne pense pas que ce soit bénéfique. Nous devons inventer une nouvelle typologie de cimetières urbains, adaptée aux contextes locaux et aux sensibilités régionales. Il n’y a pas de modèle unique. Chaque cimetière peut être pensé comme un projet urbain à part entière. Aujourd’hui, la demande est forte pour des cimetières plus naturels et moins minéraux. Il existe un véritable besoin de lieux où la biodiversité et le deuil se croisent; je pense aux cimetières-forêts, ou à d’autres, où l’hybridité entre la place de la biodiversité et l’intervention humaine est différente par rapport à ce qu’on connaît ailleurs dans la ville. Ouvrir la discussion en explorant d’autres formats est essentiel. Je suis très favorable à des concours architecturaux et urbanistiques sur ces sujets, afin d’interroger nos représentations et stimuler la créativité.

 

En petite couronne parisienne, on retrouve les grands cimetières de Thiais et de Pantin, créés à l’époque où l’on éloignait les cimetières pour des raisons hygiénistes.

Dès lors que les cimetières ont été repoussés hors des centres-villes, nous avons créé ces vastes cimetières à la périphérie de Paris. Il faut se rappeler qu’à l’époque de leur ouverture, les cimetières du Père-Lachaise ou de Montparnasse étaient eux aussi en dehors de Paris. C’est un processus de longue date, dont les cimetières de banlieue sont le dernier aboutissement. La base de tout cela doit être le projet d’Haussmann, qui était de créer une immense nécropole à Méry-sur-Oise. C’est un exemple frappant, même s’il n’a jamais vu le jour. Finalement, nous avons opté pour des cimetières plus proches, mais toujours en périphérie, créant des sortes d’enclaves d’extraterritorialités parisiennes dans les villes de la petite couronne.

 

Projet Node, lauréat du concours « Réinventer Paris », qui fait cohabiter un funérarium et une plateforme logistique, crédit : AAVP-AVA-Air Studio

 

Vous avez participé au concours Réinventer Paris, qui abordait la question de la mort. Un sujet rarement traité dans ce type de démarche…

Réinventer Paris était un concours totalement ouvert. Nous n’avions pas envisagé les lieux funéraires au départ, mais c’est l’intérêt de ce type d’initiatives – l’intelligence collective nous ramène vers des attentes sociétales insoupçonnées. Le projet lauréat, Node, proposait de repenser un espace dédié aux cérémonies funéraires sur le site de la poterne des Peupliers, dans le 13e arrondissement. Il a mis en lumière un manque criant de lieux de qualité pour accompagner le deuil. Lorsque j’ai eu celui-ci sous les yeux, ça m’a paru évident : nous manquons totalement de ce style de projet ! Cependant, après coup, nous avons vu la difficulté de créer ou simplement toucher à des lieux funéraires, et Node n’est pas encore réalisé aujourd’hui. À chaque fois qu’un projet funéraire est envisagé, les riverains protestent, percevant cela comme une relégation. Bien sûr que, dans l’idéal, personne n’a envie d’avoir un cimetière à côté de chez soi. Pourtant, il faudra bien trouver des lieux pour les intégrer. Cette problématique est d’autant plus sensible en banlieue, où les villes estiment avoir déjà accueilli de nombreuses infrastructures non désirées, en provenance de Paris.

 

De manière générale, pourquoi la profession se désintéresse-t-elle de ces lieux ?

C’est une vraie question. Honnêtement, je ne sais pas. Je constate un regain d’intérêt chez les étudiants en urbanisme, en architecture, voire en art ou en cinéma. C’est un signal faible, mais le sujet réintéresse de nombreuses personnes. Il me semble que c’est avant tout une question de croisement ; les concepteurs vont là où il y a une commande de qualité. Si les cahiers des charges des crématoriums ne sont pas à la hauteur, ils ne susciteront pas l’intérêt des bons architectes. Il faut que la maîtrise d’ouvrage s’empare du sujet et propose des concours exigeants

Propos recueillis par Maider Darricau et Lucas Boudier

 

Lire la suite de cet article dans le numéro 443 « Infra et superstructures » en version papier ou en version numérique

Couverture : Jean-Louis Chapuis, Studio Warmgrey

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