Opération « grand carénage » pour nos centrales nucléaires

Les réacteurs nucléaires de deuxième génération du parc de centrales françaises font l’objet d’opérations de maintenance lourdes afin de prolonger leur exploitation au-delà de quarante ans. La plupart pourraient ainsi atteindre le cap des soixante ans, voire plus encore.

Le 10 février 2022, en visite à Belfort sur le site de General Electric, Emmanuel Macron a annoncé un vaste plan de relance nucléaire. Outre la construction de six réacteurs pressurisés européens optimisés, ou EPR 2, à l’horizon 2050 (avec une option pour huit autres), le président de la République a annoncé vouloir « prolonger tous les réacteurs nucléaires qui peuvent l’être, sans rien céder sur la sûreté » et souhaité « qu’aucun réacteur nucléaire en état de produire ne soit fermé à l’avenir […], sauf raison de sûreté ». Et de préciser avoir demandé à EDF d’« étudier les conditions de prolongation au-delà de cinquante ans » d’exploitation.

Une étude que le groupe EDF mène, depuis 2014, à travers son programme « Grand Carénage », qui est le plus important du groupe depuis la création du parc nucléaire, à raison d’un investissement de près de 5 milliards d’euros par an. Un effort qui porte sur l’intégration des améliorations de sûreté et le remplacement de composants pour garantir la performance industrielle. Le programme vise ainsi à faire tendre le niveau de sûreté des réacteurs de 2e génération (à eau pressurisée) vers celui des réacteurs de 3e génération comme l’EPR (rappelons que les réacteurs de 1re génération ne sont plus en service depuis 1994 en France). « Le droit français prévoit que les réacteurs en exploitation doivent se rapprocher le plus possible du niveau de sûreté exigée pour un réacteur neuf », souligne Maxence Cordiez, expert associé énergie à l’Institut Montaigne. En France, l’Autorité de sûreté du nucléaire et de radioprotection (ASNR) passe en revue les réacteurs tous les dix ans avant d’autoriser leur prolongation pour les dix années suivantes – et préconiser des travaux à faire si besoin. Et lorsqu’une centrale de 2e génération atteint les quarante ans d’exploitation, EDF réalise des travaux importants, sous le contrôle de l’ASNR, dont le remplacement de gros composants comme les générateurs de vapeurs ou les tambours filtrants, ainsi que des modifications liées à des évolutions réglementaires et d’autres investissements de maintenance courante. « Ce sont généralement des travaux lourds et coûteux », précise Maxence Cordiez. L’expert prend pour exemple l’EPR de Flamanville, doté d’un récupérateur de corium. En cas de fusion grave avec fusion du cœur, ce dispositif permet de récupérer le cœur fondu, de l’étaler pour qu’il puisse refroidir et éviter qu’il ne perce le béton et contamine les sols sous la centrale. « Sur cet exemple, l’ASNR a demandé que les réacteurs de 2e génération prévoient également des espaces sous les réacteurs pour récupérer le corium. » Une autre amélioration demandée par l’ASNR, provoquée par la catastrophe de Fukushima en 2011, concerne l’équipement de toutes les centrales en générateurs diesel d’ultime secours pour produire de l’électricité afin de continuer à alimenter le réacteur et assurer son refroidissement en cas de situation extrême. Ces équipements répondent à des normes antisismiques, antitsunami, anti-aériennes… Une source d’eau d’ultime secours est également prévue, ainsi que la Force d’action rapide du nucléaire d’EDF (Farn), capable d’intervenir sur n’importe quelle centrale nucléaire française en moins de 24 heures.

L’idée reçue des quarante ans de durée de vie

Centrale Nucléaire de Cattenom, le 8 novembre 2016. Photo by © Christophe Guibbaud / Sipa pour EDF

Entre le remplacement des gros composants et ce type d’améliorations, les centrales utilisant des réacteurs à eau pressurisée peuvent prolonger significativement leur durée d’exploitation, voire la doubler. Car, contrairement aux idées reçues, une centrale est loin d’être périmée après quatre décennies de service, ainsi que l’explique Maxence Cordiez : « Ce chiffre ne porte pas du tout sur l’obsolescence de la structure, mais nous vient de la loi antimonopole des États-Unis, qui fixait à quarante ans les licences d’exploitation des centrales à eau pressurisée [reconductibles à vingt ans sous conditions, ndlr]. Mais le pays a prévu d’en exploiter certaines au moins jusqu’à quatre-vingts ans. » En effet, huit réacteurs américains ont obtenu le renouvellement de leur licence pour fonctionner sur ce laps de temps (douze autres réacteurs sont à l’étude), dont celle de Peach Bottom, en Pennsylvanie, mise en service en 1966. « Techniquement, elles peuvent très bien être exploitées plus longtemps, confirme l’expert de l’Institut Montaigne. Et, en France, cela fait déjà longtemps qu’EDF prévoit d’augmenter la durée de vie de ses centrales. » Deux éléments ne peuvent pas être remplacés dans les centrales actuelles : la cuve et l’enceinte en béton du bâtiment du réacteur. En France, la cuve est radiographiée lors de la visite décennale de l’ASNR, où des éprouvettes métalliques installées depuis le début d’exploitation de la centrale sont récupérées pour analyse du vieillissement des aciers. Des méthodes de vieillissement accéléré, développées par EDF, sont appliquées à des équipements prélevés sur site après plus d’une trentaine d’années d’exploitation. Il est ainsi possible de simuler dix, vingt ou trente années d’exploitation supplémentaires en quelques mois et vérifier ensuite que l’équipement vieilli fonctionne correctement. Par ailleurs, toujours à un rythme décennal, l’enceinte est mise sous pression pour s’assurer de son étanchéité.

Rodolphe Casso 

Lire la suite de cet article dans le numéro 443 « Infra et superstructures » en version papier ou en version numérique

Couverture : Jean-Louis Chapuis, Studio Warmgrey

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