Financement des infrastructures et développement urbain : un couple infernal
Décorréler financement des infrastructures et développement urbain est un des enjeux fondamentaux – actuels et futurs – de l’aménagement des territoires et des villes, et du déploiement attendu d’un urbanisme de régénération. Mais sommes-nous capables de rompre avec des logiques puissamment ancrées dans l’histoire et les modes de faire ?
En aménagement du territoire, la question du financement de la création et de l’entretien des infrastructures n’est pas récente. Au Moyen Âge, il existait des péages sur la plupart des voies et chemins, destinés à rembourser l’investissement et garantir la réalisation des nécessaires travaux de maintenance. Les routes étaient également le lieu de prélèvement de certains impôts (dont le plus célèbre, la gabelle), et quand le corps des Ponts et Chaussées a été créé en 1615, c’était dans le double objectif de mobiliser les hautes compétences requises pour créer des voies et ouvrages d’art, mais aussi pour en administrer les fonctions fiscales.
Plus largement, le développement des villes a toujours été corrélé au dynamisme économique et commercial et aux revenus fiscaux générés. L’impôt permettait à l’État royal (ou certaines villes franches) d’équiper les villes en voiries et réseaux, pour que la noblesse et la bourgeoisie produisent la partie immobilière du tissu urbain, augmentant l’assiette fiscale locale. Plus proche de nous, l’État a joué un rôle central dans la fabrique de la ville moderne: avec la délégation générale à l’Équipement national entre1930 et1944, devenue ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme entre1944 et1955, puis ministère de la Construction, avant de devenir – en 1966 – le fameux ministère de l’Équipement. Dont les services déconcentrés – qui a oublié les fameuses directions départementales de l’Équipement (DDE)? – ont assuré le déploiement de l’urbanisme contemporain et le développement urbain impulsé par la loi d’orientation foncière (LOF, 1967) jusqu’à la décentralisation.
De l’équipement par l’État à l’aménagement privé
Mais la logique étatique « planification territoriale + génie urbain + financement » a été contrecarrée une première fois, à partir des années 1920–1930, avec la libéralisation des lotissements pour faire face aux besoins immobiliers, économiques et sociaux, et au manque de deniers publics de l’époque: une procédure simple qui permet à des investisseurs privés d’équiper un terrain pour vendre ensuite des lots viabilisés, ceci dans le respect général des règles d’urbanisme opposables, mais en créant aussi ses propres prescriptions…, et en assurant ses dépenses d’entretien des ouvrages et autres communs (charges). Une façon « libérale » d’étendre les villes qui n’a pas été sans poser diverses difficultés, aussi bien urbanistiques, pour les collectivités et les voisinages, qu’économiques et financières, pour certains colotis.
Puis sont apparues les zones d’aménagement concerté (ZAC) introduites par la LOF, mais qui se sont déployées avec la décentralisation (1982) et le transfert des compétences en matière d’urbanisme aux collectivités : des procédures concédées entre la collectivité et un opérateur (à l’origine, presque exclusivement une société d’économie mixte), permettant de financer le développement urbain, la création ou le renforcement d’équipements d’infrastructure et de superstructure, par les ventes immobilières d’un programme de constructions bénéficiant de règles d’urbanisme et de droits à bâtir « dérogatoires » des plans d’occupation des sols (POS). Dans leur grande majorité, les ZAC ont été des outils dédiés à l’extension urbaine, mais elles se sont également révélées opérationnelles pour des opérations de renouvellement urbain, comme les reconversions de friches, à la – notable – condition de bénéficier d’importants investissements publics « d’équilibre » face à des dépenses massives (démolition, dépollution, rénovation, etc.). Entre les années 1980 et 1990, les ZAC ont connu des déboires retentissants, avec parfois des conséquences financières, pour les collectivités, et judiciaires, pour les élus locaux, de sorte que ces derniers leur ont manifesté une forme de réticence. Ainsi, les collectivités ont continué à les utiliser, mais pour les concéder à des aménageurs privés (issus des groupes de la promotion immobilière) auxquels elles apportent systématiquement des concours financiers importants.
Notons qu’à une plus petite échelle, en dehors des opérations d’aménagement, des outils procéduraux ont été déployés afin de financer l’équipement « diffus » du territoire. Le programme d’aménagement d’ensemble (PAE, instauré en 1985) a été remplacé par le projet urbain partenarial (PUP, en 2009), qui fixe les participations dues par tout pétitionnaire – particuliers ou opérateurs – à l’obtention de droits à bâtir pour contribuer au financement de la création ou du renforcement des équipements publics (infrastructures ou superstructures) rendus nécessaires.

Avec la décentralisation progressive, le développement urbain est passé d’une logique d’équipement par la réalisation d’infrastructures publiques à une logique d’opération par des macroprojets privés, ou de renforcement des équipements vernaculaires par une participation des pétitionnaires, qui se substitue à la taxe d’aménagement. De ce fait, le développement urbain est devenu hautement dépendant de la conjoncture économique et des marchés immobiliers.
Julien Meyrignac
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