« Une interface ville-port plus perméable »

Depuis les années 1980, l’Association internationale villes et ports (AIVP) a fait de l’interface ville-port son cheval de bataille, convaincue que cette mégastructure ne sera pleinement acceptée par les habitants qu’à la condition de son ouverture. Entretien avec Bruno Delsalle, directeur général de l’AIVP.

 

Photo : Fotoattualita’/Luigi Costantini

 

Comment est née l’AIVP ?

L’AIVP est créée à la fin des années 1980 pour aborder des questions purement urbanistiques et réfléchir au devenir des friches portuaires. À cette époque, des projets comme la réhabilitation des docks de Londres, qui attiraient des investisseurs privés et créaient des condominiums [immeubles en copropriété, ndlr], étaient en cours. Aux États-Unis, les premiers waterfronts [fronts de mer] dédiés aux loisirs émergeaient à Baltimore ou San Francisco. En France, des décideurs ont organisé un colloque pour explorer ces questions, en mettant l’accent sur la notion d’eau comme bien public, plus marquée dans le droit latin que le droit anglo-saxon. La création de l’association, rejointe par des experts italiens et espagnols, a été actée [en 1988]. L’AIVP s’est donc intéressée aux problématiques environnementales en explorant la richesse de la relation ville-port.

Pendant quinze ans, le commerce mondial, la logistique et des concepts comme « juste à temps » ont dominé le paysage, avec l’émergence de plateformes logistiques et de navires géants, influençant l’organisation des territoires ville-port. Vers le milieu des années 2010, les citoyens ont remis en question certains projets portuaires jugés trop grands, soulevant des préoccupations environnementales et de biodiversité. L’AIVP s’est emparée de cette question, et, progressivement, le développement durable en est devenu un pilier. Notre réseau comprend trois collèges principaux: les gouvernements locaux, les autorités portuaires, et un collège professionnel diversifié incluant des organismes publics, des architectes, des urbanistes et des start-up, et aussi des grands groupes industriels ou de conseil.

Comment traitez-vous la relation ville-port ?

Nous abordons les ports sous l’angle de leur impact territorial, en cherchant à optimiser leur fonctionnalité et à développer des filières industrielles, financières et stratégiques. À la fin des années 1980, en France, les « ports autonomes » étaient caractérisés par un dialogue quasi inexistant avec les collectivités locales. Le port est une infrastructure économique centrale, mais généralement floue pour les habitants, comme s’il existait une frontière entre les deux. Dans les années 1980–1990, nous avons œuvré pour briser cette frontière. Cependant, les attentats du World Trade Center [septembre 2001] et le code ISPS [code international pour la sûreté des navires et des installations portuaires] ont imposé une sécurité maximale, conduisant les ports à se clôturer, ce qui a temporairement freiné notre élan. Ce n’est qu’à partir du milieu des années 2000, avec l’émergence des questions d’acceptabilité sociale, que nous avons pu relancer notre message : ce que les citoyens ne connaissent pas, ils ne le soutiendront pas. Inspirés par le port du Nord et notre origine historique au Havre, nous avons incité à la création d’un Port Center pilote, accessible à tous, avec des expositions et des visites respectant le code ISPS. L’AIVP veille à ce qu’ils restent indépendants, souvent sous forme d’association, pour éviter qu’ils ne deviennent des outils de communication commerciaux. Aujourd’hui, 80 % des dirigeants portuaires reconnaissent qu’ils ne peuvent progresser sans le soutien citoyen.

Justement, l’interface ville-port est l’une des ambitions inscrites dans l’agenda 2030 de l’AIVP. Quels en sont les enjeux ?

Depuis trente ans, nous sommes passés d’une interface ville-port linéaire et peu poreuse à une interface en dents de scie, plus perméable. Nous visons une mixité ville-port, que ce soit par le dessin de l’interface, de la mixité fonctionnelle ou verticale. Les Terrasses du Port, à Marseille, illustrent cette mixité verticale: un centre commercial surplombe le port, avec des activités commerciales urbaines greffées sur l’activité portuaire. Des expositions et des panneaux d’explication permettent aux visiteurs de découvrir le port en fonctionnement. Il est essentiel que villes et ports s’imbriquent, sans rupture dans les cheminements, en urbanisant le port pour le rendre accueillant aux citoyens.

Prenons l’exemple de Valparaiso, au Chili, un port mythique où l’interface avec la ville est en pleine reconstruction après des années de débats. Un processus de dialogue citoyen de deux ans a finalement abouti à un consensus entre les autorités et la Ville, visant à transformer l’interface tout en renforçant la fonction portuaire et en redonnant accès aux espaces urbains. Par ailleurs, au Maroc, le projet Tanger Ville, que nous avons récompensé par le prix Antoine-Rufenacht (AIVP 1), modernise les fonctions pêche et croisière, tout en réaménageant les espaces publics et en réhabilitant la Medina. Il promet à la fois de renforcer la fonction économique, de créer des espaces publics de qualité et de mettre en valeur le patrimoine historique, tout en respectant l’identité maritime du lieu et en l’ouvrant aux citoyens.

Propos recueillis par Maider Darricau 

Lire la suite de cet article dans le numéro 443 « Infra et superstructures » en version papier ou en version numérique

Couverture : Jean-Louis Chapuis, Studio Warmgrey

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


À propos

Depuis 1932, Urbanisme est le creuset d’une réflexion permanente et de discussions fécondes sur les enjeux sociaux, culturels, territoriaux de la production urbaine. La revue a traversé les époques en réaffirmant constamment l’originalité de sa ligne éditoriale et la qualité de ses contenus, par le dialogue entre chercheurs, opérateurs et décideurs, avec des regards pluriels.


CONTACT

01 45 45 45 00


Newsletter

Informations légales
Pour recevoir nos newsletters. Conformément à l’article 27 de la loi du 6 janvier 1978 et du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, vous disposez d’un droit d’accès, de rectifications et d’opposition, en nous contactant. Pour toutes informations, vous pouvez accéder à la politique de protection des données.


Menus