Maider Darricau18 mars 20258min0

Emmanuel Favre, maire de Saint-Loubès

Reportage POPSU dans la ville de Saint Loubès, Gironde (33).
Emmanuelle Favre, maire de Saint-Loubès, et Patrick Lefrançois, adjoint à l’aménagement du territoire, à l’accessibilité et à l’urbanisme de la commune girondine, détaillent les modifications de leur PLU (plan local d’urbanisme) pour maîtriser le foncier, depuis leur élection en 2020.

 

Vous avez lan­cé en 2020 le pro­gramme Villes en tran­si­tion, à quoi répond-il ?

Oui, notre élec­tion s’est faite sur un pro­jet de rési­lience pour Saint-Lou­bès face aux défis cli­ma­tiques et envi­ron­ne­men­taux. Notre action s’ar­ti­cule autour de plu­sieurs axes cohé­rents. Nous avons tra­vaillé l’au­to­no­mie éner­gé­tique en réno­vant les bâti­ments et déve­lop­pant le pho­to­vol­taïque. Nous avons éco­no­mi­sé 30 % de la consom­ma­tion d’eau des bâti­ments depuis notre élec­tion. Nous sou­te­nons les agri­cul­teurs pour aller vers une auto­no­mie ali­men­taire. Nous avons fait gros­sir notre part de bio, attei­gnant plus de 52 % dans nos appro­vi­sion­ne­ments. Nous tra­vaillons sur les trans­ports et le sta­tion­ne­ment afin d’é­vi­ter la confron­ta­tion entre les dif­fé­rents modes de dépla­ce­ment. Concer­nant la vie asso­cia­tive, nous avons 90 asso­cia­tions qui étaient toutes deman­deuses de locaux. Nous avons donc mutua­li­sé au maxi­mum. Cet appel d’air a per­mis à de nom­breuses asso­cia­tions de pro­po­ser de nou­velles dis­ci­plines. Cette stra­té­gie glo­bale vise à ren­for­cer la rési­lience de Saint-Lou­bès face aux enjeux actuels et futurs.

Vous menez de concert une réflexion enga­gée contre le modèle éco­no­mique de l’aménagement. Pourquoi ?

En tant qu’é­lus, notre for­ma­tion prin­ci­pale a por­té sur l’ur­ba­nisme, élé­ment clé de notre man­dat. L’é­vo­lu­tion de Saint-Lou­bès est révé­la­trice : ce vil­lage de 2 000 habi­tants a connu une crois­sance démo­gra­phique consi­dé­rable. Situé entre Libourne et Bor­deaux, chaque par­celle agri­cole était convoi­tée, les hameaux s’é­ten­daient, et les agri­cul­teurs pei­naient à tra­vailler face à l’op­po­si­tion des habi­tants au sul­fate. La loi ZAN [« zéro arti­fi­cia­li­sa­tion nette », ndlr] arrive à point nom­mé, nous convain­quant qu’un déve­lop­pe­ment alter­na­tif, pré­ser­vant les terres agri­coles, est pos­sible. Cepen­dant, le modèle de finan­ce­ment com­mu­nal, repo­sant prin­ci­pa­le­ment sur la taxe d’a­mé­na­ge­ment liée à l’ur­ba­ni­sa­tion pose pro­blème. Les res­sources com­mu­nales sont limi­tées, la plu­part des ser­vices étant ven­dus à perte. Notre réflexion visait à rompre avec ce modèle d’ex­pan­sion effré­née. Nous avons iden­ti­fié des zones pro­pices au déve­lop­pe­ment en cohé­rence avec l’en­vi­ron­ne­ment. Par exemple, une ancienne décharge entre la voie fer­rée et la zone indus­trielle a été reclas­sée en zone indus­trielle, tan­dis qu’un pré don­nant sur la Dor­dogne a été res­ti­tué à l’a­gri­cul­ture. Le finan­ce­ment actuel des col­lec­ti­vi­tés pousse les maires à s’op­po­ser à l’ar­rêt de l’ar­ti­fi­cia­li­sa­tion. Pour­tant, je doute qu’un maire se réjouisse de voir dis­pa­raître une forêt ou une val­lée. Mais face au besoin de finan­cer une école ou une salle des fêtes, sans alter­na­tive, il céde­ra un pré. Sans nou­velles pers­pec­tives finan­cières, l’a­mé­na­ge­ment du ter­ri­toire res­te­ra lié aux res­sources com­mu­nales. Si la réno­va­tion rap­por­tait deux fois plus de taxes que le neuf, les maires pri­vi­lé­gie­raient cette option.

Votre com­mune peut se tar­guer d’être une ville à la cam­pagne dotée de toutes les amé­ni­tés. Vous avez ain­si modi­fié l’orientation du PLU pour pré­ser­ver ce cadre, quelles ont été les grandes mesures ?

Nous l’a­vons effec­ti­ve­ment modi­fié deux fois depuis notre arri­vée. Le pre­mier chan­ge­ment reflé­tait nos orien­ta­tions poli­tiques, visant à réduire l’ar­ti­fi­cia­li­sa­tion et à favo­ri­ser la tran­si­tion éner­gé­tique et éco­lo­gique. Ensuite, les lois SRU et cli­mat et rési­lience nous ont contraints à une troi­sième révi­sion, notam­ment concer­nant le loge­ment et l’ar­ti­fi­cia­li­sa­tion des terres. La pre­mière inten­tion du PADD [pro­jet d’a­mé­na­ge­ment et de déve­lop­pe­ment durables] était de maî­tri­ser la crois­sance démo­gra­phique. Nous avons visé un taux annuel de 1,1 % sur dix ans, contre 2 à 3 % aupa­ra­vant, pour limi­ter la construc­tion de grands ensembles. La deuxième inten­tion était de pré­ser­ver les terres agri­coles, les espaces natu­rels, les zones boi­sées et les arbres remar­quables. Enfin, la troi­sième inten­tion concer­nait l’a­mé­na­ge­ment du ter­ri­toire et le vivre-ensemble, avec une OAP [orien­ta­tion d’a­mé­na­ge­ment et de pro­gram­ma­tion] axée sur les mobi­li­tés, pri­vi­lé­giant la sécu­ri­té des pié­tons et des cyclistes.

Com­ment bais­ser la crois­sance de la popu­la­tion tout en répon­dant à l’obligation légale de construc­tion de logements ? 

Oui, nous devons construire 700 loge­ments, mais nous le fai­sons intel­li­gem­ment et avec pré­ci­sion. Notre ville étant prin­ci­pa­le­ment pavillon­naire, l’im­plan­ta­tion de 150 loge­ments à côté de pavillons exis­tants serait dif­fi­ci­le­ment accep­table. C’est ce constat qui a ini­tié notre démarche d’ur­ba­ni­sa­tion maî­tri­sée. Élus en 2020, nous avons héri­té des consé­quences de la loi Alur, qui avait per­mis des divi­sions par­cel­laires exces­sives. Nous avons consta­té une mul­ti­pli­ca­tion d’al­lées en « dra­peau », créant une myriade d’ac­cès indi­vi­duels. Par exemple, dans une rue du centre-ville, cinq allées côte à côte des­servent cha­cune une mai­son sur une par­celle de 1 300 m², illus­trant un amé­na­ge­ment non maî­tri­sé. Cette situa­tion a engen­dré des conflits de voi­si­nage, les nou­velles construc­tions étant sou­vent mal inté­grées à l’exis­tant. Notre défi est donc de frei­ner cette par­cel­li­sa­tion exces­sive et d’a­mé­lio­rer sa ges­tion. Nous avons ain­si inter­dit les allées déme­su­rées de 100 mètres de long. La divi­sion par­cel­laire est désor­mais plus enca­drée, pen­sée de façon ration­nelle, avec une arti­fi­cia­li­sa­tion opti­mi­sée. Nous avons éga­le­ment impo­sé que le deuxième loge­ment sur une par­celle soit social, ce qui limite les ini­tia­tives indi­vi­duelles tout en favo­ri­sant la créa­tion de loge­ments sociaux. Cette approche nous per­met de régu­ler et de sécu­ri­ser l’ap­port de loge­ments sociaux, qui demeure une néces­si­té absolue.

Avez-vous des friches ou des pos­si­bi­li­tés de tra­vailler sur l’existant ?

Nous dis­po­sons prin­ci­pa­le­ment de friches indus­trielles et nous concen­trons nos efforts sur la recons­truc­tion de la ville sur elle-même. Il n’y a pas vrai­ment de zones en déprise, mais plu­tôt des sec­teurs du centre-ville avec des loge­ments de qua­li­té médiocre que nous ciblons pour la réno­va­tion. Un pro­jet exem­plaire est en cours avec l’é­ta­blis­se­ment public fon­cier. Nous avons acquis une par­celle sur laquelle ils col­la­borent avec un bailleur, en inté­grant quelques par­celles publiques et pri­vées adja­centes. L’ob­jec­tif est de rem­pla­cer un ensemble actuel peu cohé­rent, com­pre­nant un com­merce et un loge­ment de piètre qua­li­té, par un pro­jet homo­gène d’une quin­zaine de loge­ments de bien meilleure fac­ture. La sur­élé­va­tion est une autre stra­té­gie que nous exploi­tons. Toute la com­mune est éli­gible au R+1, et nous avons auto­ri­sé le R+2 dans cer­taines zones denses. Face à la crois­sance de notre ville, nous envi­sa­geons une den­si­fi­ca­tion modé­rée dans cer­tains quartiers.

Quels ont été les béné­fices de la cocons­truc­tion avec les habitants ?

Cette démarche est cœur de notre approche : chaque pro­jet de loge­ment ou de rési­dence fait l’ob­jet d’une réunion publique avec le quar­tier concer­né avant la signa­ture du per­mis. Ces réunions, qui abordent sou­vent des sujets plus larges, sont cru­ciales pour le dia­logue avec les habi­tants. Cette méthode porte ses fruits : depuis notre élec­tion, nous n’a­vons fait face à aucun recours, même pour les pro­jets de loge­ments sociaux habi­tuel­le­ment contestés.

Lors de la révi­sion du PLU, nous avons orga­ni­sé cinq réunions publiques qui ont sus­ci­té un vif inté­rêt, avec plus de 100 par­ti­ci­pants lors des pre­mières ses­sions. Une enquête en début de man­dat a recueilli 600 réponses sur 7 000 élec­teurs, un taux de par­ti­ci­pa­tion remar­quable. Nous avons éga­le­ment mené des concer­ta­tions indi­vi­dua­li­sées concer­nant les OAP, ren­con­trant 100 pro­prié­taires pri­vés sur les 150 concer­nés par les amé­na­ge­ments. Cette démarche a gran­de­ment faci­li­té la com­pré­hen­sion de notre pro­jet. Des balades urbaines ont été orga­ni­sées pour per­mettre aux habi­tants de visua­li­ser concrè­te­ment les chan­ge­ments à venir dans leur quar­tier. Bien que des désac­cords aient émer­gé, notre approche trans­pa­rente et franche a été géné­ra­le­ment bien accueillie. Nous ne cachons rien de l’ac­tion publique et évi­tons tout clien­té­lisme, même face à des situa­tions déli­cates comme celle d’un agri­cul­teur comp­tant sur la pos­si­bi­li­té de rendre ses ter­rains construc­tibles pour payer sa retraite. Cette hon­nê­te­té est appré­ciée, même si elle ne satis­fait pas tou­jours. Nous avons néan­moins su adap­ter cer­tains amé­na­ge­ments en tenant compte des retours reçus. Un pro­jet majeur d’a­mé­na­ge­ment du ter­ri­toire a été l’ac­qui­si­tion d’un domaine de 10 hec­tares en plein cœur du bourg. Ini­tia­le­ment des­ti­né au loge­ment dans le PLU, nous avons déci­dé d’en faire un pou­mon vert pour la com­mune. Ce domaine, tra­ver­sé par le ruis­seau Can­te­rane (qui signi­fie « chante gre­nouille », en giron­din), com­prend un châ­teau, une mai­son de maître et un magni­fique parc. Nous pré­voyons d’ins­tal­ler une école dans la mai­son de maître et de réno­ver le châ­teau, pos­si­ble­ment avec l’aide du loto du patri­moine. Pour faire décou­vrir ce nou­veau lieu aux habi­tants, nous y avons orga­ni­sé une course de cyclo­cross en décembre, qui a été très appré­ciée. Cette ini­tia­tive illustre notre volon­té de faire vivre ce nou­vel espace vert au cœur de la commune.

Pro­pos recueillis par Mai­der Darricau

 

Pho­to : Emma­nuel Favre. Cré­dit : Damien Carles

Abon­nez-vous à la revue urba­nisme ! For­mule inté­grale ou 100 % numérique

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


À pro­pos

Depuis 1932, Urba­nisme est le creu­set d’une réflexion per­ma­nente et de dis­cus­sions fécondes sur les enjeux sociaux, cultu­rels, ter­ri­to­riaux de la pro­duc­tion urbaine. La revue a tra­ver­sé les époques en réaf­fir­mant constam­ment l’originalité de sa ligne édi­to­riale et la qua­li­té de ses conte­nus, par le dia­logue entre cher­cheurs, opé­ra­teurs et déci­deurs, avec des regards pluriels.


CONTACT

01 45 45 45 00


News­let­ter

Infor­ma­tions légales
Pour rece­voir nos news­let­ters. Confor­mé­ment à l’ar­ticle 27 de la loi du 6 jan­vier 1978 et du règle­ment (UE) 2016/679 du Par­le­ment euro­péen et du Conseil du 27 avril 2016, vous dis­po­sez d’un droit d’ac­cès, de rec­ti­fi­ca­tions et d’op­po­si­tion, en nous contac­tant. Pour toutes infor­ma­tions, vous pou­vez accé­der à la poli­tique de pro­tec­tion des don­nées.


Menus