Emmanuel Favre, maire de Saint-Loubès

Emmanuelle Favre, maire de Saint-Loubès, et Patrick Lefrançois, adjoint à l’aménagement du territoire, à l’accessibilité et à l’urbanisme de la commune girondine, détaillent les modifications de leur PLU (plan local d’urbanisme) pour maîtriser le foncier, depuis leur élection en 2020.
Vous avez lancé en 2020 le programme Villes en transition, à quoi répond-il ?
Oui, notre élection s’est faite sur un projet de résilience pour Saint-Loubès face aux défis climatiques et environnementaux. Notre action s’articule autour de plusieurs axes cohérents. Nous avons travaillé l’autonomie énergétique en rénovant les bâtiments et développant le photovoltaïque. Nous avons économisé 30 % de la consommation d’eau des bâtiments depuis notre élection. Nous soutenons les agriculteurs pour aller vers une autonomie alimentaire. Nous avons fait grossir notre part de bio, atteignant plus de 52 % dans nos approvisionnements. Nous travaillons sur les transports et le stationnement afin d’éviter la confrontation entre les différents modes de déplacement. Concernant la vie associative, nous avons 90 associations qui étaient toutes demandeuses de locaux. Nous avons donc mutualisé au maximum. Cet appel d’air a permis à de nombreuses associations de proposer de nouvelles disciplines. Cette stratégie globale vise à renforcer la résilience de Saint-Loubès face aux enjeux actuels et futurs.
Vous menez de concert une réflexion engagée contre le modèle économique de l’aménagement. Pourquoi ?
En tant qu’élus, notre formation principale a porté sur l’urbanisme, élément clé de notre mandat. L’évolution de Saint-Loubès est révélatrice : ce village de 2 000 habitants a connu une croissance démographique considérable. Situé entre Libourne et Bordeaux, chaque parcelle agricole était convoitée, les hameaux s’étendaient, et les agriculteurs peinaient à travailler face à l’opposition des habitants au sulfate. La loi ZAN [« zéro artificialisation nette », ndlr] arrive à point nommé, nous convainquant qu’un développement alternatif, préservant les terres agricoles, est possible. Cependant, le modèle de financement communal, reposant principalement sur la taxe d’aménagement liée à l’urbanisation pose problème. Les ressources communales sont limitées, la plupart des services étant vendus à perte. Notre réflexion visait à rompre avec ce modèle d’expansion effrénée. Nous avons identifié des zones propices au développement en cohérence avec l’environnement. Par exemple, une ancienne décharge entre la voie ferrée et la zone industrielle a été reclassée en zone industrielle, tandis qu’un pré donnant sur la Dordogne a été restitué à l’agriculture. Le financement actuel des collectivités pousse les maires à s’opposer à l’arrêt de l’artificialisation. Pourtant, je doute qu’un maire se réjouisse de voir disparaître une forêt ou une vallée. Mais face au besoin de financer une école ou une salle des fêtes, sans alternative, il cédera un pré. Sans nouvelles perspectives financières, l’aménagement du territoire restera lié aux ressources communales. Si la rénovation rapportait deux fois plus de taxes que le neuf, les maires privilégieraient cette option.
Votre commune peut se targuer d’être une ville à la campagne dotée de toutes les aménités. Vous avez ainsi modifié l’orientation du PLU pour préserver ce cadre, quelles ont été les grandes mesures ?
Nous l’avons effectivement modifié deux fois depuis notre arrivée. Le premier changement reflétait nos orientations politiques, visant à réduire l’artificialisation et à favoriser la transition énergétique et écologique. Ensuite, les lois SRU et climat et résilience nous ont contraints à une troisième révision, notamment concernant le logement et l’artificialisation des terres. La première intention du PADD [projet d’aménagement et de développement durables] était de maîtriser la croissance démographique. Nous avons visé un taux annuel de 1,1 % sur dix ans, contre 2 à 3 % auparavant, pour limiter la construction de grands ensembles. La deuxième intention était de préserver les terres agricoles, les espaces naturels, les zones boisées et les arbres remarquables. Enfin, la troisième intention concernait l’aménagement du territoire et le vivre-ensemble, avec une OAP [orientation d’aménagement et de programmation] axée sur les mobilités, privilégiant la sécurité des piétons et des cyclistes.
Comment baisser la croissance de la population tout en répondant à l’obligation légale de construction de logements ?
Oui, nous devons construire 700 logements, mais nous le faisons intelligemment et avec précision. Notre ville étant principalement pavillonnaire, l’implantation de 150 logements à côté de pavillons existants serait difficilement acceptable. C’est ce constat qui a initié notre démarche d’urbanisation maîtrisée. Élus en 2020, nous avons hérité des conséquences de la loi Alur, qui avait permis des divisions parcellaires excessives. Nous avons constaté une multiplication d’allées en « drapeau », créant une myriade d’accès individuels. Par exemple, dans une rue du centre-ville, cinq allées côte à côte desservent chacune une maison sur une parcelle de 1 300 m², illustrant un aménagement non maîtrisé. Cette situation a engendré des conflits de voisinage, les nouvelles constructions étant souvent mal intégrées à l’existant. Notre défi est donc de freiner cette parcellisation excessive et d’améliorer sa gestion. Nous avons ainsi interdit les allées démesurées de 100 mètres de long. La division parcellaire est désormais plus encadrée, pensée de façon rationnelle, avec une artificialisation optimisée. Nous avons également imposé que le deuxième logement sur une parcelle soit social, ce qui limite les initiatives individuelles tout en favorisant la création de logements sociaux. Cette approche nous permet de réguler et de sécuriser l’apport de logements sociaux, qui demeure une nécessité absolue.
Avez-vous des friches ou des possibilités de travailler sur l’existant ?
Nous disposons principalement de friches industrielles et nous concentrons nos efforts sur la reconstruction de la ville sur elle-même. Il n’y a pas vraiment de zones en déprise, mais plutôt des secteurs du centre-ville avec des logements de qualité médiocre que nous ciblons pour la rénovation. Un projet exemplaire est en cours avec l’établissement public foncier. Nous avons acquis une parcelle sur laquelle ils collaborent avec un bailleur, en intégrant quelques parcelles publiques et privées adjacentes. L’objectif est de remplacer un ensemble actuel peu cohérent, comprenant un commerce et un logement de piètre qualité, par un projet homogène d’une quinzaine de logements de bien meilleure facture. La surélévation est une autre stratégie que nous exploitons. Toute la commune est éligible au R+1, et nous avons autorisé le R+2 dans certaines zones denses. Face à la croissance de notre ville, nous envisageons une densification modérée dans certains quartiers.
Quels ont été les bénéfices de la coconstruction avec les habitants ?
Cette démarche est cœur de notre approche : chaque projet de logement ou de résidence fait l’objet d’une réunion publique avec le quartier concerné avant la signature du permis. Ces réunions, qui abordent souvent des sujets plus larges, sont cruciales pour le dialogue avec les habitants. Cette méthode porte ses fruits : depuis notre élection, nous n’avons fait face à aucun recours, même pour les projets de logements sociaux habituellement contestés.
Lors de la révision du PLU, nous avons organisé cinq réunions publiques qui ont suscité un vif intérêt, avec plus de 100 participants lors des premières sessions. Une enquête en début de mandat a recueilli 600 réponses sur 7 000 électeurs, un taux de participation remarquable. Nous avons également mené des concertations individualisées concernant les OAP, rencontrant 100 propriétaires privés sur les 150 concernés par les aménagements. Cette démarche a grandement facilité la compréhension de notre projet. Des balades urbaines ont été organisées pour permettre aux habitants de visualiser concrètement les changements à venir dans leur quartier. Bien que des désaccords aient émergé, notre approche transparente et franche a été généralement bien accueillie. Nous ne cachons rien de l’action publique et évitons tout clientélisme, même face à des situations délicates comme celle d’un agriculteur comptant sur la possibilité de rendre ses terrains constructibles pour payer sa retraite. Cette honnêteté est appréciée, même si elle ne satisfait pas toujours. Nous avons néanmoins su adapter certains aménagements en tenant compte des retours reçus. Un projet majeur d’aménagement du territoire a été l’acquisition d’un domaine de 10 hectares en plein cœur du bourg. Initialement destiné au logement dans le PLU, nous avons décidé d’en faire un poumon vert pour la commune. Ce domaine, traversé par le ruisseau Canterane (qui signifie « chante grenouille », en girondin), comprend un château, une maison de maître et un magnifique parc. Nous prévoyons d’installer une école dans la maison de maître et de rénover le château, possiblement avec l’aide du loto du patrimoine. Pour faire découvrir ce nouveau lieu aux habitants, nous y avons organisé une course de cyclocross en décembre, qui a été très appréciée. Cette initiative illustre notre volonté de faire vivre ce nouvel espace vert au cœur de la commune.
Propos recueillis par Maider Darricau
Photo : Emmanuel Favre. Crédit : Damien Carles
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