On a coutume de dire que la vie est dure¹
Former des aspirations est un des traits saillants de la condition humaine : nous avons besoin de nous projeter et d’anticiper, parce que cela donne du sens à notre action quotidienne, et qu’en nous projetant, nous nous resituons dans notre contexte, dans le collectif et dans le temps. Les débats politiques et les projets d’aménagement, nationaux, régionaux ou locaux, sont depuis toujours structurés par la prospective.
Dans la deuxième partie du XXe siècle, elle traçait les trajectoires « positives » de la modernité triomphante : plus de développement, plus de population, plus d’économie, d’infrastructures… Mais, depuis une vingtaine d’années, la prise de conscience des limites planétaires, du changement climatique et du recul de la biodiversité, entre autres conséquences délétères de l’activité humaine, dessine des perspectives différentes, moins déraisonnablement prospères.
Chacun a pu constater à quel point il est plus difficile de faire adhérer n’importe quel public à un horizon de sobriété sinon de frugalité qu’à un horizon de prospérité. Car si le plus grand nombre comprend le « dessein », bien moins nombreux sont ceux qui acceptent de corriger ou d’indexer leurs comportements et aspirations afin de contribuer à sa réalisation.
Ce paradoxe est noué par les fils malins du doute, alimenté par des constats – eux – indubitables : si les prévisions de développement d’un avenir positif se sont toujours révélées incorrectes – telles les projections démographiques des Sdau² –, pourquoi ne pourrait-il pas en être de même pour des perspectives beaucoup moins réjouissantes ?
Pour autant, s’il semble difficile et même vain de partager une vision du futur, il n’en demeure pas moins nécessaire pour les décideurs d’engager les territoires et la société dans les bonnes directions. C’est ainsi que nous – législateurs, élus, professionnels – avons renoncé à planifier, au sens de prévoir, et programmer, pour réglementer.
Les documents d’urbanisme réglementaire en sont l’illustration la plus frappante : plutôt que de conduire des débats difficiles sur les fins – quel projet local ? Pour satisfaire quels besoins ? Justifiant quels arbitrages ? etc., – avec les personnes publiques associées et avec la population, les procédures se sont rabattues sur la mise en œuvre des moyens, c’est-à-dire les règles. Illustration avec l’artificialisation des sols : un projet politique ?
Non, un tableau des consommations foncières et des droits. Et peu importe que ce qui reste de la « vision » politique soit totalement déconnecté des règles édictées, comme ces orientations de projets d’aménagement et de développement durables (PADD) de territoires économiquement atones qui continuent d’appeler incantatoirement au développement, alors que zonages et règlement le limitent en bonne logique.
L’absence de projection et d’anticipation, issue du double constat implicite que les temps qui viennent s’annoncent difficiles et que nous ne parviendrons pas à nous entendre sur les dispositions à adopter, ne contient-elle pas les germes de terribles conséquences démocratiques ? En privant l’action publique de son sens, les élus, fonctionnaires et leurs conseils de tout ordre ne contribuent-ils pas au dangereux rejet des normes et des règles qui alimentent les populismes ?
N’est-ce pas quand le futur, par nature incertain, s’annonce morose que la vision se révèle nécessaire pour maintenir la cohésion et le pacte républicain ? Battons-nous pour le futur.
Julien Meyrignac
1/« Moi je m’bats pour le futur, quelle aventure » (Ménélik, 1995).
2/Schémas directeurs d’aménagement et d’urbanisme.
Photo de couverture : Panneau publicitaire PLU dans la nature. © Francesco Scatena
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