Philippe Baffert : « Le système de la loi SRU mériterait d’être amélioré »
Philippe Baffert est l’un des rédacteurs de la loi SRU, qui fête cette année ses 25 ans. Il revient sur l’élaboration de ce texte emblématique, qui a profondément modifié le droit de l’urbanisme en France, et évoque des pistes pour de possibles améliorations.
Comment avez-vous été amené à travailler sur la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite SRU ?
J’ai été amené à travailler sur deux aspects de ce projet de loi. Le premier était la rédaction du volet « urbanisme », le deuxième était de tenter d’assurer une coordination entre les trois parties du projet, clairement énoncées dans l’intitulé de l’avant-projet pendant sa préparation : « Urbanisme, Habitat, Transport ». L’objectif était de synchroniser ces trois aspects. Aujourd’hui, on a un peu oublié cet objectif premier de coordination. Lors de la présentation du projet de loi, nous citions des exemples comme le fait d’avoir construit l’École nationale des travaux publics de l’État, à Vaulx-en-Velin, dans les années 1970, en justifiant notamment ce choix par le fait que le métro devait y arriver prochainement. Or, la ligne n’a été ouverte qu’une vingtaine d’années plus tard. Dans les grands ensembles de la région parisienne, on a construit très longtemps après la livraison des premiers logements, de sorte que les enfants qui habitaient là-bas étaient déjà grands et n’allaient plus à l’école. Il avait été initialement prévu de fusionner purement et simplement les schémas de cohérence territoriale (SCoT), les programmes locaux de l’habitat (PLH) et les plans de déplacements urbains (PDU) dans un seul et unique document, afin qu’il y ait une programmation d’ensemble.
On le voit aujourd’hui : ce ne sont pas les SCoT qui ont absorbé les PLH, ce sont plutôt les PLUi (plans locaux d’urbanisme intercommunaux), avec la possibilité de faire les fameux PLUiH (PLUi habitat) – qui sont des projets difficiles à porter pour les collectivités. On est encore sur un format avec des documents qui ont des périmètres différents, une temporalité différente…
On règle le problème d’échelle en augmentant le périmètre des plans locaux d’urbanisme (PLU). Pour ma part, j’ai toujours pensé que ce n’était pas la bonne solution. Il serait utile de dis- poser d’un document de programmation à une vaste échelle, l’agglomération, et d’un document opérationnel à une échelle plus adaptée. Le PLU est né de la fusion du plan d’occupation des sols (POS) et du plan d’aménagement de zone (PAZ) des zones d’aménagement concerté (ZAC). L’objectif était d’instiller un peu de réflexion urbaine et opérationnelle dans les POS, qui avaient un caractère essentiellement réglementaire et étaient souvent rédigés en recopiant un règlement type, peu adapté à la situation locale.
Il ne faut pas oublier que les POS ont été conçus à une époque où la bible du ministère était la charte d’Athènes, qui considérait que la création de quartiers modernes impliquait la destruction des quartiers anciens, à l’exception de quelques monuments protégés. L’enseignement donné aux futurs ingénieurs des travaux publics préconisait de retenir, dans les quartiers existants, un règlement type départemental, ce qui simplifiait l’instruction des permis de construire. Dans les quartiers nouveaux, on confierait l’élaboration d’un projet d’urbanisme d’ensemble à un architecte en chef, qui contrôlerait ensuite la conformité des permis de construire. C’est comme cela que fonctionnaient les zones à urbaniser en priorité (ZUP) et les grands ensembles. Contrairement à ce qui se dit parfois, les études d’urbanisme des grands ensembles n’ont pas été pas bâclées, à l’économie. Elles ont été confiées à des architectes de haut niveau, souvent prix de Rome, qui ont d’ailleurs été payés fort cher !
Le POS avait été conçu comme cela, même si, à la fin, on y a progressivement intégré un peu d’urbanisme. Mais le cadre réglementaire était mal adapté. Par exemple, le traitement de l’espace public, qui est essentiel dans un projet urbain, n’était pas prévu dans les règlements. Les auteurs de certains POS avaient ainsi été amenés à placer dans le rapport de présentation, sans opposabilité juridique, les éléments qui font, ou devraient faire l’objet, dans les PLU, des orientations d’aménagement et de programmation (OAP).
L’ambition de la loi SRU était double : coordonner l’habitat, les transports et l’urbanisme, d’une part, et refaire du projet, d’autre part. Pensez-vous qu’elle soit allée au bout de ce qui était attendu ?
Entre l’élaboration, la saisine du Parlement et la sortie, la loi a été considérablement améliorée. Le Sénat, qui n’a pas voté la loi, car il était opposé à ce qui est devenu l’article 55 [qui obligeait les communes à la construction de 20 % de logements sociaux, ndlr], a proposé de nombreuses améliorations sur le volet urbanisme. Mais il faut bien reconnaître que les trois parties du texte, urbanisme, habitat et déplacements, ont connu une vie séparée pendant tout le débat parlementaire.
Vous avez ensuite poursuivi vos travaux sur la révision de la loi, en 2003. En quoi consistaient-ils ?
Après le changement de majorité, quand le gouvernement a envisagé de remettre en cause la partie d’urbanisme de la loi SRU, c’est notamment une intervention de sénateurs qui a convaincu le ministre de ne pas modifier fondamentalement cette partie de la loi. Finalement, la seule chose qui a été supprimée, c’est la disposition de fiscalité de l’urbanisme qui visait à lutter contre le mitage : la participation pour voie nouvelle et réseau. Le Parlement l’a sérieusement remise en cause, car elle interdisait de demander des participations pour établir ou renforcer les réseaux nécessaires en cas d’urbanisation diffuse.
La loi de 2003 a amélioré les PLU. Elle a progressé en particulier pour le traitement de l’espace public dans les PLU. Il y avait une forte demande pour que les PLU définissent en détail le projet d’ouvrage prévu. Mais il n’est pas possible d’étudier un emplacement réservé avec le degré de précision d’une déclaration d’utilité publique (DUP). La solution intermédiaire a consisté à trouver une place dans le document d’urbanisme pour préciser les orientations retenues pour le traitement de l’espace public. La loi de 2003 a créé les orientations d’aménagement, dont le contenu était compris dans le projet d’aménagement et de développement durables (PADD) dans le texte initial de la loi SRU, prévoyant que ces orientations s’imposeraient en termes de compatibilité.
Propos recueillis par Rodolphe Casso et Timothée Hubscher
Lire la suite de cet entretien dans le numéro 442 « Planifier versus réglementer » en version papier ou en version numérique
Photo de couverture : Panneau portant un PLU imaginaire dans la nature. Crédit : Francesco Scatena
Photo : Philippe Baffert. Crédit : D. R.