Patrick Haddad, maire de Sarcelles
Sarcelles, commune dense de la grande couronne parisienne, célèbre le 70e anniversaire du grand ensemble des Lochères, qui abrite 40 000 des 59 000 habitants de la ville. Un quartier emblématique par sa cohésion architecturale et sociale.
Quelles sont les caractéristiques qui distinguent ce projet urbain ?
Nous avons hérité d’une ville remarquablement conçue avec un plan d’ensemble cohérent, dont nous souhaitons faire le récit à l’occasion de cet anniversaire. Le grand ensemble de Sarcelles offre des logements de qualité, souvent bâtis de pierres de taille, une caractéristique peu commune ailleurs. L’abondance d’espaces verts, avec 13m² par logement, témoigne d’une planification urbaine de qualité bien que des qualités restent nécessaires. Aujourd’hui, nous faisons face à d’importants défis de rénovation, touchant le bâti, le cadre de vie, les voiries et l’espace public. Ce chantier d’envergure s’inscrit dans la durée, La construction rapide de Sarcelles, avec 12 500 logements en moins de vingt ans, a pour conséquence une obsolescence simultanée de nombreuses infrastructures. Le bilan du premier Programme national de rénovation urbaine (NPNRU) est mitigé. Certaines zones ont été désenclavées, mais la qualité architecturale et le bâti n’ont pas toujours été traités de manière satisfaisante. Nous avons partiellement perdu ce qui faisait le charme de la ville : son homogénéité architecturale. Cette répétitivité, fruit d’une construction en série, créait une signature distinctive et un sentiment d’égalité. Bien que certains aient pu la juger monotone, elle constituait l’identité unique de Sarcelles.
Avec 7 000 habitants/km², comment rendre la ville dense désirable ?
Le grand ensemble des Lochères abrite plus de 40 000 des 59 000 habitants de Sarcelles, incarnant une véritable urbanité avec son habitat vertical, ses rues animées, sa circulation dense, ses commerces et ses défis. Cette dynamique urbaine se reflète dans le faible taux de vacance des logements sociaux et le succès des nouveaux programmes immobiliers. Bien que la mixité sociale reste un objectif, l’attractivité et la vitalité de la ville sont indéniables. Cette densité nécessite une gestion rigoureuse de la circulation automobile, des déchets et du cadre de vie, la ville étant soumise à une utilisation intense. Le NPNRU 2 vise à maintenir cette densité tout en corrigeant certaines erreurs urbanistiques, à travers des démolitions et reconstructions ciblées. Pour enrichir la vie urbaine, nous nous concentrons sur le développement d’activités culturelles et sportives dans les différents quartiers, palliant ainsi le manque d’équipements. Un accent particulier est mis sur le réaménagement des places publiques, en repensant leurs usages : aires de jeux, équipements sportifs, espaces d’animations culturelles. Notre objectif est d’améliorer continuellement la qualité de vie dans la cité.
Quelle est l’appréciation des habitants sur les espaces verts à disposition ?
Les habitants de Sarcelles n’ont pas toujours pleinement conscience des enjeux et de l’importance des espaces verts, ayant grandi dans cet ensemble urbain. Ils sont souvent attachés à un modèle de nature apprivoisée et aseptisée, au service d’une urbanisation croissante. Lorsqu’on leur explique la nécessité de redonner de la place à la nature, ils se montrent sceptiques. Par exemple, lorsque l’herbe est laissée à pousser pour favoriser la biodiversité et créer des îlots de fraîcheur, ils craignent que cela génère des nuisances et attire des rongeurs. Ils ont ainsi le sentiment de vivre dans un environnement sale. Il est essentiel de poursuivre la sensibilisation sur ce sujet. Dans les neuf quartiers, nous organisons 27 temps d’échange thématiques par an, dont un qui sera dédié aux espaces naturels.
Bien que nous exposions les considérations climatiques qui imposent la présence croissante de nature, la prise conscience n’est pas encore instinctive. En outre, on me demande souvent davantage de places de parking. Il est crucial que la place accordée à la voiture diminue ; nous travaillons notamment avec les bailleurs pour ajuster le nombre de places par habitant tout en laissant des espaces de jeux et des espaces verts. Nous avons parfois perdu de vue qu’un espace vert est un projet en soi et un besoin fondamental. Il est important d’éduquer à ce sujet, car ce n’est pas toujours perçu comme tel. Quand nous l’expliquons, cela est généralement bien compris. Il reste néanmoins nécessaire de limiter certaines nuisances, notamment celles liées aux rongeurs, car les habitants sont intransigeants sur ce point. Nous prévoyons la plantation de 200 arbres par an et la réhabilitation des grands parcs.
Comment l’expliquez-vous ?
Quand on remonte le fil de l’histoire, à l’époque de la construction du grand ensemble de Sarcelles, on se rend compte que cette période, marquée par le développement et l’urbanisation de l’après-guerre, était étroitement liée à l’industrialisation. À cette époque, l’objectif était de faire couler du béton, de maîtriser la nature et d’assécher les sols, sans prendre en compte les fonctions du sol ni l’équilibre naturel. Il est essentiel de sortir de cette approche, tout en tenant compte des 4 millions de mal-logés dans ce pays. Pour résoudre ce paradoxe, il est nécessaire de réhabiliter l’habitat vertical. On a parfois rejeté cette forme d’habitat en associant les tours à un mal-vivre généralisé. Cependant, tout dépend de l’organisation de la ville. Un habitat vertical peut être vivable si celui-ci est bien structuré et s’il favorise la mixité sociale, un enjeu crucial pour la dynamique de peuplement. Lorsque des projets culturels, sportifs et éducatifs sont mis en place pour encourager une vie commune, il devient tout à fait possible d’avoir des villes relativement denses. L’habitat vertical permet ainsi de répondre à la crise du logement sans empiéter sur la nature. L’expérience du grand ensemble de Sarcelles illustre bien cette possibilité.
Sarcelles va être connectée au Grand Paris avec la ligne 19 à horizon 2040, quelles sont vos attentes et vos craintes ?
Je n’ai aucune crainte si ce n’est que le projet ne se concrétise pas ! Malgré la forte volonté politique de la Région et du Département, il s’agit d’un investissement de plusieurs milliards d’euros. Si le projet se réalise en vingt ans, ce sera un délai remarquablement court. Sarcelles bénéficie déjà d’une bonne connexion avec Paris, ce qui explique d’ailleurs la construction historique du Grand Ensemble des Lochères en 1954, choisi pour sa proximité avec une gare reliant la gare du Nord en vingt minutes. Un meilleur raccordement pourrait permettre à Sarcelles de connaître une évolution similaire à celle des villes de la première couronne. La clé réside dans un transport rapide et accessible. Avec une liaison fluide vers les deux pôles de centralité de Nanterre et Roissy-Charles-de-Gaulle, fonctionnant sur des horaires élargis, la distance géographique devient moins contraignante. Actuellement, Sarcelles est bien desservie avec deux lignes de train, huit lignes de bus et une ligne de tramway. Cependant, le manque de trains après 22 h 40 enclave les habitants et complique leur vie sociale, culturelle et professionnelle dans la région. Une amélioration de cette situation est donc primordiale pour le développement futur de la ville.
De quelle ambition est né le projet des 70 ans de Sarcelles ?
Notre objectif est de porter un message de rassemblement et de briser les barrières, notamment celle du périphérique entre la banlieue et Paris. Nous voulons que cette célébration émane des habitants eux-mêmes. Pour illustrer ces 70 ans d’histoire, nous avons lancé un appel aux archives et photos, retraçant ainsi la transformation d’un village de 3 500 âmes en une ville de 60 000 résidents. Au-delà de cette chronologie, nous souhaitons intégrer un récit plus global, mettant en lumière les réussites tout en soulignant les défis, comme le manque de connexions de transport et la faible mixité sociale. Cette réflexion sur la ville de demain vise une société plus égalitaire, écologique et culturelle, favorisant le travail collaboratif et le rassemblement dans un contexte sociétal clivé et privatisé. Nous cherchons à démontrer que l’espace public offre des expériences uniques, impossibles à reproduire en restant chez soi. Les festivités, prévues de mi-mai à mi-juillet, débuteront avec la fête internationale du jeu le 24 mai et culmineront le 14 juillet. Un colloque international sur la ville du futur les 3 et 4 juillet mettra en avant la dimension intellectuelle de notre démarche. Cette célébration reflétera l’essence de Sarcelles, s’appuyant sur les maisons de quartier et les centres culturels comme autant de pavillons dédiés aux enjeux que nous considérions comme essentiel, offrant ainsi une vision holistique de notre ville.
Propos recueillis par Maider Darricau
Photo : Patrick Haddad. Crédit : D. R.
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