Maider Darricau15 janvier 20258min0

Patrick Haddad, maire de Sarcelles

Sarcelles, commune dense de la grande couronne parisienne, célèbre le 70e anniversaire du grand ensemble des Lochères, qui abrite 40 000 des 59 000 habitants de la ville. Un quartier emblématique par sa cohésion architecturale et sociale.

 

Quelles sont les carac­té­ris­tiques qui dis­tinguent ce pro­jet urbain ?

Nous avons héri­té d’une ville remar­qua­ble­ment conçue avec un plan d’ensemble cohé­rent, dont nous sou­hai­tons faire le récit à l’occasion de cet anni­ver­saire. Le grand ensemble de Sar­celles offre des loge­ments de qua­li­té, sou­vent bâtis de pierres de taille, une carac­té­ris­tique peu com­mune ailleurs. L’abondance d’espaces verts, avec 13m² par loge­ment, témoigne d’une pla­ni­fi­ca­tion urbaine de qua­li­té bien que des qua­li­tés res­tent néces­saires. Aujourd’hui, nous fai­sons face à d’importants défis de réno­va­tion, tou­chant le bâti, le cadre de vie, les voi­ries et l’espace public. Ce chan­tier d’envergure s’inscrit dans la durée, La construc­tion rapide de Sar­celles, avec 12 500 loge­ments en moins de vingt ans, a pour consé­quence une obso­les­cence simul­ta­née de nom­breuses infra­struc­tures. Le bilan du pre­mier Pro­gramme natio­nal de réno­va­tion urbaine (NPNRU) est miti­gé. Cer­taines zones ont été désen­cla­vées, mais la qua­li­té archi­tec­tu­rale et le bâti n’ont pas tou­jours été trai­tés de manière satis­fai­sante. Nous avons par­tiel­le­ment per­du ce qui fai­sait le charme de la ville : son homo­gé­néi­té archi­tec­tu­rale. Cette répé­ti­ti­vi­té, fruit d’une construc­tion en série, créait une signa­ture dis­tinc­tive et un sen­ti­ment d’é­ga­li­té. Bien que cer­tains aient pu la juger mono­tone, elle consti­tuait l’i­den­ti­té unique de Sarcelles.

Avec 7 000 habitants/km², com­ment rendre la ville dense désirable ?

Le grand ensemble des Lochères abrite plus de 40 000 des 59 000 habi­tants de Sar­celles, incar­nant une véri­table urba­ni­té avec son habi­tat ver­ti­cal, ses rues ani­mées, sa cir­cu­la­tion dense, ses com­merces et ses défis. Cette dyna­mique urbaine se reflète dans le faible taux de vacance des loge­ments sociaux et le suc­cès des nou­veaux pro­grammes immo­bi­liers. Bien que la mixi­té sociale reste un objec­tif, l’at­trac­ti­vi­té et la vita­li­té de la ville sont indé­niables. Cette den­si­té néces­site une ges­tion rigou­reuse de la cir­cu­la­tion auto­mo­bile, des déchets et du cadre de vie, la ville étant sou­mise à une uti­li­sa­tion intense. Le NPNRU 2 vise à main­te­nir cette den­si­té tout en cor­ri­geant cer­taines erreurs urba­nis­tiques, à tra­vers des démo­li­tions et recons­truc­tions ciblées. Pour enri­chir la vie urbaine, nous nous concen­trons sur le déve­lop­pe­ment d’ac­ti­vi­tés cultu­relles et spor­tives dans les dif­fé­rents quar­tiers, pal­liant ain­si le manque d’é­qui­pe­ments. Un accent par­ti­cu­lier est mis sur le réamé­na­ge­ment des places publiques, en repen­sant leurs usages : aires de jeux, équi­pe­ments spor­tifs, espaces d’a­ni­ma­tions cultu­relles. Notre objec­tif est d’a­mé­lio­rer conti­nuel­le­ment la qua­li­té de vie dans la cité.

Quelle est l’appréciation des habi­tants sur les espaces verts à disposition ? 

Les habi­tants de Sar­celles n’ont pas tou­jours plei­ne­ment conscience des enjeux et de l’im­por­tance des espaces verts, ayant gran­di dans cet ensemble urbain. Ils sont sou­vent atta­chés à un modèle de nature appri­voi­sée et asep­ti­sée, au ser­vice d’une urba­ni­sa­tion crois­sante. Lors­qu’on leur explique la néces­si­té de redon­ner de la place à la nature, ils se montrent scep­tiques. Par exemple, lorsque l’herbe est lais­sée à pous­ser pour favo­ri­ser la bio­di­ver­si­té et créer des îlots de fraî­cheur, ils craignent que cela génère des nui­sances et attire des ron­geurs. Ils ont ain­si le sen­ti­ment de vivre dans un envi­ron­ne­ment sale. Il est essen­tiel de pour­suivre la sen­si­bi­li­sa­tion sur ce sujet. Dans les neuf quar­tiers, nous orga­ni­sons 27 temps d’é­change thé­ma­tiques par an, dont un qui sera dédié aux espaces naturels.

Bien que nous expo­sions les consi­dé­ra­tions cli­ma­tiques qui imposent la pré­sence crois­sante de nature, la prise conscience n’est pas encore ins­tinc­tive. En outre, on me demande sou­vent davan­tage de places de par­king. Il est cru­cial que la place accor­dée à la voi­ture dimi­nue ; nous tra­vaillons notam­ment avec les bailleurs pour ajus­ter le nombre de places par habi­tant tout en lais­sant des espaces de jeux et des espaces verts. Nous avons par­fois per­du de vue qu’un espace vert est un pro­jet en soi et un besoin fon­da­men­tal. Il est impor­tant d’é­du­quer à ce sujet, car ce n’est pas tou­jours per­çu comme tel. Quand nous l’ex­pli­quons, cela est géné­ra­le­ment bien com­pris. Il reste néan­moins néces­saire de limi­ter cer­taines nui­sances, notam­ment celles liées aux ron­geurs, car les habi­tants sont intran­si­geants sur ce point. Nous pré­voyons la plan­ta­tion de 200 arbres par an et la réha­bi­li­ta­tion des grands parcs.

Com­ment l’expliquez-vous ? 

Quand on remonte le fil de l’histoire, à l’époque de la construc­tion du grand ensemble de Sar­celles, on se rend compte que cette période, mar­quée par le déve­lop­pe­ment et l’urbanisation de l’après-guerre, était étroi­te­ment liée à l’industrialisation. À cette époque, l’ob­jec­tif était de faire cou­ler du béton, de maî­tri­ser la nature et d’assécher les sols, sans prendre en compte les fonc­tions du sol ni l’équilibre natu­rel. Il est essen­tiel de sor­tir de cette approche, tout en tenant compte des 4 mil­lions de mal-logés dans ce pays. Pour résoudre ce para­doxe, il est néces­saire de réha­bi­li­ter l’habitat ver­ti­cal. On a par­fois reje­té cette forme d’habitat en asso­ciant les tours à un mal-vivre géné­ra­li­sé. Cepen­dant, tout dépend de l’organisation de la ville. Un habi­tat ver­ti­cal peut être vivable si celui-ci est bien struc­tu­ré et s’il favo­rise la mixi­té sociale, un enjeu cru­cial pour la dyna­mique de peu­ple­ment. Lorsque des pro­jets cultu­rels, spor­tifs et édu­ca­tifs sont mis en place pour encou­ra­ger une vie com­mune, il devient tout à fait pos­sible d’avoir des villes rela­ti­ve­ment denses. L’ha­bi­tat ver­ti­cal per­met ain­si de répondre à la crise du loge­ment sans empié­ter sur la nature. L’expérience du grand ensemble de Sar­celles illustre bien cette possibilité.

Sar­celles va être connec­tée au Grand Paris avec la ligne 19 à hori­zon 2040, quelles sont vos attentes et vos craintes ?

Je n’ai aucune crainte si ce n’est que le pro­jet ne se concré­tise pas ! Mal­gré la forte volon­té poli­tique de la Région et du Dépar­te­ment, il s’a­git d’un inves­tis­se­ment de plu­sieurs mil­liards d’eu­ros. Si le pro­jet se réa­lise en vingt ans, ce sera un délai remar­qua­ble­ment court. Sar­celles béné­fi­cie déjà d’une bonne connexion avec Paris, ce qui explique d’ailleurs la construc­tion his­to­rique du Grand Ensemble des Lochères en 1954, choi­si pour sa proxi­mi­té avec une gare reliant la gare du Nord en vingt minutes. Un meilleur rac­cor­de­ment pour­rait per­mettre à Sar­celles de connaître une évo­lu­tion simi­laire à celle des villes de la pre­mière cou­ronne. La clé réside dans un trans­port rapide et acces­sible. Avec une liai­son fluide vers les deux pôles de cen­tra­li­té de Nan­terre et Rois­sy-Charles-de-Gaulle, fonc­tion­nant sur des horaires élar­gis, la dis­tance géo­gra­phique devient moins contrai­gnante. Actuel­le­ment, Sar­celles est bien des­ser­vie avec deux lignes de train, huit lignes de bus et une ligne de tram­way. Cepen­dant, le manque de trains après 22 h 40 enclave les habi­tants et com­plique leur vie sociale, cultu­relle et pro­fes­sion­nelle dans la région. Une amé­lio­ra­tion de cette situa­tion est donc pri­mor­diale pour le déve­lop­pe­ment futur de la ville.

De quelle ambi­tion est né le pro­jet des 70 ans de Sarcelles ?

Notre objec­tif est de por­ter un mes­sage de ras­sem­ble­ment et de bri­ser les bar­rières, notam­ment celle du péri­phé­rique entre la ban­lieue et Paris. Nous vou­lons que cette célé­bra­tion émane des habi­tants eux-mêmes. Pour illus­trer ces 70 ans d’his­toire, nous avons lan­cé un appel aux archives et pho­tos, retra­çant ain­si la trans­for­ma­tion d’un vil­lage de 3 500 âmes en une ville de 60 000 rési­dents. Au-delà de cette chro­no­lo­gie, nous sou­hai­tons inté­grer un récit plus glo­bal, met­tant en lumière les réus­sites tout en sou­li­gnant les défis, comme le manque de connexions de trans­port et la faible mixi­té sociale. Cette réflexion sur la ville de demain vise une socié­té plus éga­li­taire, éco­lo­gique et cultu­relle, favo­ri­sant le tra­vail col­la­bo­ra­tif et le ras­sem­ble­ment dans un contexte socié­tal cli­vé et pri­va­ti­sé. Nous cher­chons à démon­trer que l’es­pace public offre des expé­riences uniques, impos­sibles à repro­duire en res­tant chez soi. Les fes­ti­vi­tés, pré­vues de mi-mai à mi-juillet, débu­te­ront avec la fête inter­na­tio­nale du jeu le 24 mai et culmi­ne­ront le 14 juillet. Un col­loque inter­na­tio­nal sur la ville du futur les 3 et 4 juillet met­tra en avant la dimen­sion intel­lec­tuelle de notre démarche. Cette célé­bra­tion reflé­te­ra l’es­sence de Sar­celles, s’ap­puyant sur les mai­sons de quar­tier et les centres cultu­rels comme autant de pavillons dédiés aux enjeux que nous consi­dé­rions comme essen­tiel, offrant ain­si une vision holis­tique de notre ville.

Pro­pos recueillis par Mai­der Darricau

 

Pho­to : Patrick Had­dad. Cré­dit : D. R.

 

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