La densification, source d’innovations pour la construction de logements abordables et durables

Depuis 2023, Carole Abbey est directrice du développement urbain et des résidences spécifiques au sein de CDC Habitat.

 

Pour répondre aux enjeux de la loi cli­mat et rési­lience et du « zéro arti­fi­cia­li­sa­tion nette » (ZAN) des sols, dans un contexte de rare­té du fon­cier dans les zones où la demande de loge­ments est la plus forte, les acteurs de la fabrique de la ville innovent en den­si­fiant le tis­su urbain. Ain­si, le groupe CDC Habi­tat déve­loppe, d’une part, les opé­ra­tions de recy­clage fon­cier et d’aménagement de nou­veaux quar­tiers, menées en par­te­na­riat avec des pro­mo­teurs et amé­na­geurs ; d’autre part, la den­si­fi­ca­tion de notre parc exis­tant, sur des ter­rains libres ou via des sur­élé­va­tions. Deux exemples : près de Lille, à Lam­ber­sart, en par­te­na­riat avec le pro­mo­teur Quar­tus, nous avons fait l’acquisition du site de 5,7 hec­tares, très arti­fi­cia­li­sé, d’une ancienne bri­que­te­rie qui avait été rat­tra­pée par la ville. Le futur « quar­tier-jar­din » sera rena­tu­ré et végé­ta­li­sé, avec 50 % de pleine terre et accueille­ra à terme envi­ron 500 loge­ments, une rési­dence étu­diante, une crèche, des com­merces et des équi­pe­ments. À Paris, à l’occasion de la réno­va­tion de notre rési­dence Les toits de Bel­le­ville (363 loge­ments), 44 loge­ments sup­plé­men­taires (11 loge­ments sociaux et 33 loge­ments inter­mé­diaires) ont été créés par le biais d’une sur­élé­va­tion du bâti­ment en bois, sans arti­fi­cia­li­ser de nou­velles surfaces.

Opé­ra­teur glo­bal de l’habitat d’intérêt public, le groupe CDC Habi­tat gère plus de 550 000 loge­ments dans l’Hexagone et en outre-mer, dont 80 % de loge­ments sociaux. Notre groupe se carac­té­rise par une forte acti­vi­té de déve­lop­pe­ment, avec la pro­duc­tion de 15 000 à 20 000 loge­ments chaque année. Au-delà des acqui­si­tions en Vefa (ventes en l’état futur d’achèvement) à des pro­mo­teurs, qui repré­sentent une part signi­fi­ca­tive de la pro­duc­tion, nous condui­sons nos propres opé­ra­tions en maî­trise d’ouvrage directe et nous enga­geons des pro­jets de grande enver­gure en tant qu’aménageur et copro­mo­teur. Les opé­ra­tions de den­si­fi­ca­tion de la ville sou­lèvent de nou­velles ques­tions, qui nous conduisent à réin­ven­ter nos modes de travail.

Com­ment iden­ti­fier les fon­ciers qui per­mettent la densification ?

Les prin­ci­paux cri­tères sont le coût du chan­ge­ment d’usage, qui doit res­ter rai­son­nable, et le sou­tien de la popu­la­tion et des élus locaux. Pour exemple, la trans­for­ma­tion d’une friche (bureau, com­merce ou usine), par­fois à l’abandon, en un bâti­ment neuf, avec des espaces végé­ta­li­sés et des équi­pe­ments publics ou pri­vés dont pour­ra béné­fi­cier le quar­tier, est géné­ra­le­ment mieux accep­tée qu’une opé­ra­tion de construc­tion immo­bi­lière clas­sique. Ce sont des opé­ra­tions qui béné­fi­cient plus faci­le­ment d’un sou­tien poli­tique, car elles per­mettent de trans­for­mer la ville en la ren­dant plus attrac­tive. Pour que le coût du chan­ge­ment d’usage du bien n’obère pas l’équilibre éco­no­mique d’une opé­ra­tion, je retiens trois pistes pour les trois types de trans­for­ma­tion que nous menons. D’abord, s’intéresser aux zones com­mer­ciales d’entrée de ville lorsqu’elles sont véri­ta­ble­ment attrac­tives en termes de loge­ments (accès aux trans­ports, besoins avé­rés) et que les exploi­tants des com­merces sont inté­res­sés à la trans­for­ma­tion de leur immo­bi­lier et peuvent être relo­gés dans le cadre d’une opé­ra­tion plus glo­bale, sans indem­ni­té d’éviction trop impor­tante à payer. C’est ce que nous fai­sons chez CDC Habi­tat dans le cadre du par­te­na­riat « Repen­ser la ville » avec la Banque des Ter­ri­toires et la fon­cière de com­merce Frey. Pour mesu­rer l’attractivité rési­den­tielle de ces zones, Frey a iden­ti­fié, par­mi les 243 zones com­mer­ciales d’entrée de ville des 21 prin­ci­pales aires urbaines fran­çaises, 139 sites qui sont dans des zones ten­dues en termes de loge­ment et 167 qui sont en zones urbaines. Ensuite, cibler les bureaux tota­le­ment ou par­tiel­le­ment vacants dont les pro­prié­taires ont besoin de liqui­di­tés et sont prêts à accep­ter la perte comp­table cor­res­pon­dant à un prix qui reflète le nou­vel usage du bien, et non sa valeur d’usage his­to­rique en bureaux. Si les opé­ra­tions de trans­for­ma­tion de bureaux en loge­ments ne sont pas très nom­breuses, c’est parce que ces situa­tions sont fina­le­ment assez rares aujourd’hui. Enfin, uti­li­ser en prio­ri­té des ter­rains dont nous sommes déjà pro­prié­taire. Chez CDC Habi­tat, nous avons lan­cé des expé­ri­men­ta­tions sur notre patri­moine afin d’identifier les sites avec les meilleurs poten­tiels de den­si­fi­ca­tion, compte tenu de la régle­men­ta­tion en vigueur, des contraintes tech­niques du ter­rain et des bâti­ments exis­tants. Nous pou­vons ain­si iden­ti­fier les ter­rains non uti­li­sés sur les­quels de nou­veaux bâti­ments peuvent être construits et les immeubles qui peuvent être surélevés.

Com­ment sur­mon­ter les contraintes tech­niques par­ti­cu­lières des pro­jets de construc­tion de la ville sur la ville ?

Il est plus com­plexe tech­ni­que­ment, et par­fois plus coû­teux, de construire des loge­ments à par­tir d’un bâti­ment exis­tant, à démo­lir en tout ou par­tie, à désa­mian­ter, à trans­for­mer pour le chan­ger d’usage, ou d’un ancien ter­rain indus­triel à dépol­luer, que de construire des loge­ments à par­tir d’une terre agri­cole. Ces pro­jets de trans­for­ma­tion posent de nou­velles ques­tions qui appellent des réponses inno­vantes. Dans une opé­ra­tion de sur­élé­va­tion, quel est le coût de l’adaptation du bâti exis­tant ? Quel est le nombre maxi­mum de loge­ments que la struc­ture du bâti­ment est capable de sou­te­nir ? Avec quelles adap­ta­tions des ins­tal­la­tions tech­niques ? Sur quels cri­tères déci­der de conser­ver ou non l’existant ? Au sujet de la pré­ser­va­tion du patri­moine, par exemple, sur une friche indus­trielle telle que le site de l’ancienne bri­que­te­rie de Lam­ber­sart, nous aurions aimé conser­ver une par­tie de la struc­ture exis­tante, pour rap­pe­ler le pas­sé indus­triel du site, mais cela n’a pas été tech­ni­que­ment fai­sable. À prendre en compte éga­le­ment, l’impact car­bone, en termes de construc­tion, mais aus­si d’exploitation : sur un pro­jet de trans­for­ma­tion de bureaux en loge­ments en région pari­sienne, nous avons fina­le­ment abou­ti à la conclu­sion que la démolition/reconstruction pré­sen­tait un meilleur bilan car­bone que la restruc­tu­ra­tion de l’immeuble. Enfin, le sur­coût de ren­for­ce­ment de la struc­ture de l’existant est par­fois trop éle­vé finan­ciè­re­ment par rap­port à la construc­tion neuve. Com­ment inté­grer les contraintes de la trans­for­ma­tion d’actif sans dégra­der la qua­li­té des loge­ments ? Dans les trans­for­ma­tions de bureaux en loge­ments, que faire des mètres car­rés éloi­gnés des fenêtres au cœur de l’immeuble ? Inven­ter de nou­veaux espaces col­lec­tifs (pièce à par­ta­ger, espaces de ran­ge­ment pour les habi­tants, etc.) ? Chaque pro­jet néces­si­te­ra une approche sur mesure.

Le pro­jet Lam­ber­sart, près de Lille, situé sur le site d’une ancienne bri­que­te­rie, accueille­ra un « quar­tier-jar­din » et, à terme, envi­ron 500 loge­ments, une rési­dence étu­diante, une crèche, des commerces.

Com­ment répar­tir les rôles et les prises de risques entre les dif­fé­rents acteurs ?

Ces opé­ra­tions com­plexes de den­si­fi­ca­tion urbaine et de recy­clage fon­cier néces­sitent sou­vent d’innover dans leur mon­tage finan­cier, compte tenu de leurs spé­ci­fi­ci­tés : des besoins de fonds propres impor­tants et une durée de pro­jet par­fois très longue. Les pro­prié­taires de ces fon­ciers déjà bâtis (indus­triels, pro­prié­taires de bureaux ou de com­merces) n’acceptent pas tou­jours les clauses sus­pen­sives habi­tuelles qui per­mettent de sécu­ri­ser le chan­ge­ment d’usage du site en condi­tion­nant l’achat à la déli­vrance du per­mis de construire. En consé­quence, les ter­rains doivent par­fois être acquis très en amont, géné­rant des besoins de fonds propres importants.

De nou­veaux acteurs sont appa­rus aux côtés des pro­mo­teurs immo­bi­liers : finan­ciers ou acteurs ins­ti­tu­tion­nels du loge­ment, qui ont les moyens finan­ciers d’accompagner ce type de pro­jet en por­tage fon­cier. C’est ce que nous fai­sons aus­si chez CDC Habi­tat aux côtés d’aménageurs publics et pri­vés, de pro­prié­taires fon­ciers et de pro­mo­teurs immo­bi­liers. Les opé­ra­tions de trans­for­ma­tion de fon­ciers déjà bâtis et de chan­ge­ment d’usage peuvent s’étaler sur des durées de trois à dix ans, avec une appré­hen­sion des risques plus dif­fi­cile. Pour com­pen­ser les incer­ti­tudes liées à cette tem­po­ra­li­té, l’implication, dès le démar­rage, d’investisseurs ins­ti­tu­tion­nels tels que CDC Habi­tat, qui s’engagent à ache­ter des loge­ments à l’aboutissement du pro­jet, peut per­mettre de se lan­cer plus serei­ne­ment, et de confor­ter la col­lec­ti­vi­té locale sur le fait que le pro­jet va abou­tir. Ces pro­jets de den­si­fi­ca­tion urbaine, de trans­for­ma­tion, sont riches d’innovations tech­niques et finan­cières qui doivent contri­buer à une meilleure qua­li­té de vie pour les futurs habi­tants. Ils font émer­ger de nou­velles col­la­bo­ra­tions pour construire la ville de façon plus effi­cace et plus durable. Force est de consta­ter que la sin­gu­la­ri­té de ces pro­jets com­plexes et leurs ambi­tions tech­niques, envi­ron­ne­men­tales et sociales sont des vec­teurs de fier­té col­lec­tive pour les opé­ra­teurs publics et pri­vés qui y contribuent.

 

Carole Abbey

Pho­tos : D. R.

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


À pro­pos

Depuis 1932, Urba­nisme est le creu­set d’une réflexion per­ma­nente et de dis­cus­sions fécondes sur les enjeux sociaux, cultu­rels, ter­ri­to­riaux de la pro­duc­tion urbaine. La revue a tra­ver­sé les époques en réaf­fir­mant constam­ment l’originalité de sa ligne édi­to­riale et la qua­li­té de ses conte­nus, par le dia­logue entre cher­cheurs, opé­ra­teurs et déci­deurs, avec des regards pluriels.


CONTACT

01 45 45 45 00


News­let­ter

Infor­ma­tions légales
Pour rece­voir nos news­let­ters. Confor­mé­ment à l’ar­ticle 27 de la loi du 6 jan­vier 1978 et du règle­ment (UE) 2016/679 du Par­le­ment euro­péen et du Conseil du 27 avril 2016, vous dis­po­sez d’un droit d’ac­cès, de rec­ti­fi­ca­tions et d’op­po­si­tion, en nous contac­tant. Pour toutes infor­ma­tions, vous pou­vez accé­der à la poli­tique de pro­tec­tion des don­nées.


Menus