La densité fut économique, elle est devenue écologique, quand sera-t-elle sociale ?

Qui est le mieux placé pour discuter de la densité ?

Ceux qui la pensent ou ceux qui la vivent ? Dif­fi­cile de se sai­sir de cette notion aux contours flous, aux défi­ni­tions mul­tiples et contro­ver­sées. De quoi parle-t-on ? D’habitants au kilo­mètre car­ré ? Quand on com­pare des pays entre eux, 106 envi­ron, en France, ce qui n’est pas très éle­vé, et pour­tant 9 fois plus qu’en Nor­vège, mais 10 fois moins qu’au Ban­gla­desh… D’emprise au sol ? De loge­ments à l’hectare ? D’habitants par logement ?

Selon qui aborde la ques­tion et ce que vise la démons­tra­tion, les pré­sup­po­sés et les indi­ca­teurs rete­nus ne sont pas les mêmes. Veut-on encou­ra­ger le regrou­pe­ment des bas­sins d’emploi et de vie, concen­trer les richesses maté­rielles et intel­lec­tuelles, garan­tir le droit à la ville ? Ou pré­ser­ver les res­sources natu­relles et les autres habi­tants de la pla­nète, en enfer­mant les humains, deve­nus nui­sibles, dans des péri­mètres voués à ne plus s’étendre ?

Depuis 1962 et la défi­ni­tion par la Datar des métro­poles d’équilibre, qui visaient à amoin­drir l’écart entre Paris et le désert fran­çais, les objec­tifs ont chan­gé. Pen­dant des décen­nies, métro­po­li­sa­tion et éta­le­ment urbain ont fait rela­ti­ve­ment bon ménage, l’une étant d’ailleurs la cause de l’autre, jusqu’à den­si­fier la péri­phé­rie des centres. Puis, cette proxi­mi­té, cri­ti­quée comme une pro­mis­cui­té, est deve­nue sus­pecte au moment de la pan­dé­mie de Covid 19, depuis jugée cause de tous les maux. Pro­tec­trice de la bio­di­ver­si­té, puisque c’est désor­mais ain­si qu’elle se jus­ti­fie, la den­si­té ne le serait plus de ceux qu’elle accueille, nous, les humains, assom­més de bruit, de pol­lu­tion, appau­vris, au cœur de struc­tures urbaines dont les flux trop abon­dants deviennent dif­fi­ci­le­ment gérables.

Pour de très nom­breux habi­tants, qui entraînent par­fois leurs repré­sen­tants élus dans la bataille, c’est donc NON. Un non col­lec­tif, de plus en plus audible… Mais à quoi s’adresse ce non ? À la hau­teur, sou­vent confon­due avec l’emprise au sol pour évo­quer la den­si­té ; à la lai­deur sup­po­sée de la moder­ni­té et de ses immeubles, hauts, mais aus­si longs et larges ; non à un pos­sible futur voi­sin, qui vien­drait aug­men­ter l’utilisation de l’espace, des places de sta­tion­ne­ment, dont les enfants gon­fle­raient les classes des écoles, dont les mala­dies satu­re­raient les urgences, dont les
dépla­ce­ments engor­ge­raient les trans­ports en com­mun ou les routes, avec qui il fau­drait par­ta­ger. Non à des prix que la den­si­té fait aug­men­ter, loin de pro­duire des chocs d’offre cen­sés les faire bais­ser, non à des impôts sup­plé­men­taires pour finan­cer les nou­veaux équi­pe­ments publics…

En l’absence d’instruments de mesure per­ti­nents et/ou adap­tés, c’est bien le res­sen­ti qui pré­vaut et qui fait de la den­si­té un sujet poli­tique écar­te­lé entre des contraintes éco­no­miques et éco­lo­giques, qui ont peu à peu lais­sé de côté la qua­li­té de vie dans les espaces urbains. On dirait bien que tout le monde déteste la den­si­té. Ou plu­tôt que cha­cun ne trouve guère accep­table – et même injuste – ce qui ne lui est pas ou plus acces­sible. La ville dense, célé­brée pour ses oppor­tu­ni­tés d’apprentissage ou pro­fes­sion­nelles, ses ser­vices, ses richesses cultu­relles, son inten­si­té créa­trice, son dyna­misme… ne réserve ses bien­faits qu’à quelques-uns, les bien logés, bien payés dis­po­sant aus­si du temps de loi­sir pour en pro­fi­ter. Éco­no­mique, puis éco­lo­gique, la den­si­té a oublié d’être sociale. D’émancipatrice, elle est deve­nue contrai­gnante. Alors que bien pen­sée, mélan­geant les usages et les fonc­tions, la ville dense est la condi­tion même, voire la seule, de la ren­contre et de la mixité.

Peut-on la réha­bi­li­ter ? Com­ment la rendre à nou­veau aimable à ceux qui la fuient ? Faire tom­ber l’octroi que consti­tue le prix des loge­ments, et donc des ter­rains à bâtir, serait un grand pre­mier pas qui pas­se­ra par une régu­la­tion forte tant le ZAN [« zéro arti­fi­cia­li­sa­tion nette », ndlr] et l’impossibilité future de gran­dir risquent d’alimenter la spé­cu­la­tion. Le deuxième serait de cocons­truire, avec les habi­tants, le futur de leur ville grâce à des docu­ments d’urbanisme com­pré­hen­sibles et par­ta­gés, qui les asso­cie­raient aux déci­sions qui les concernent. Le troi­sième consis­te­rait à inven­ter une échelle inter­mé­diaire entre les réflexions immo­bi­lières et urbaines. Les pre­mières s’arrêtent à l’objet construit et ignorent son voi­si­nage, les secondes l’observent de trop loin. Un nou­vel urba­nisme, moins sur­plom­bant, plus atta­ché aux usages des espaces bâtis ou non, plus atten­tif, plus humain, ren­drait la ville et la vie plus faciles.

 

Cathe­rine Sabbah

 

Pho­to : Cha­pelle Inter­na­tio­nal, venelle, Soho et immeubles de loge­ments Cré­dit : Dimitri-Djuric

 

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