Vincent Fouchier, « Il y a beaucoup de solutions de densification et nous n’en exploitons qu’une petite partie »
Directeur Prospective, Partenariats et Innovations territoriales, au sein de la direction générale des services de la Métropole Aix-Marseille-Provence, Vincent Fouchier travaille de longue date sur les enjeux urbains. Défenseur de causes qu’il qualifie de mal comprises ou mal aimées, telles que les métropoles et la densification, son « caractère hybride » a toujours suivi deux lignes directrices : la concertation et la transversalité.
Pouvez-vous revenir sur votre parcours ?
Mon parcours a un caractère hybride, car je n’ai jamais su choisir entre recherche et action (rires). J’ai d’abord fait des études au Centre d’études supérieures en aménagement de Tours, où j’ai obtenu un diplôme en aménagement du territoire, aussitôt après le bac. Puis j’ai suivi le magistère de Paris I‑Paris VII de l’École des Pont et de l’École normale supérieure, sous la haute autorité de Pierre Merlin, qui a fondé et longtemps présidé l’Institut français d’urbanisme (IFU). J’étais le représentant des étudiants au conseil d’administration de l’IFU, et lorsque j’ai été diplômé, son directeur, Charles Goldblum, m’a proposé un poste de coopérant à Hong Kong que j’ai accepté avec enthousiasme. J’ai donc fait mon service national au consulat de France, où j’étais en charge, dans le service culturel, de l’aménagement, de l’urbanisme, de l’architecture et de l’environnement. Je me suis totalement immergé dans ce territoire fou et j’ai développé de nombreuses coopérations avec le gouvernement de Hong Kong, l’université et différents acteurs internationaux. Bien évidemment, la question de la densité était omniprésente.
À mon retour, j’ai décidé de faire une thèse. J’ai bénéficié alors de la première convention Cifre en urbanisme (convention industrielle de formation par la recherche en entreprise) : un emploi à l’établissement public d’aménagement de la ville nouvelle d’Évry, cofinancé par l’Agence nationale pour la recherche. Cela m’a permis de réaliser mes recherches non pas en laboratoire entre chercheurs, mais au cœur du monde professionnel, auprès des acteurs, avec un pied dans l’activité et un pied dans la recherche. Une fois ma thèse achevée, au bout de trois ans, j’ai été recruté par le Secrétariat général aux villes nouvelles, où j’ai été chargé, au niveau interministériel, de l’urbanisme et des études. J’y ai animé de nombreuses réflexions communes aux villes nouvelles, notamment sur la question des densités, mais pas uniquement. Puis ce Secrétariat général s’est transformé en Secrétariat général des grandes opérations d’urbanisme, pour intégrer les grandes opérations telles que Euroméd, à Marseille, ou Euratlantique, à Bordeaux, qui étaient encore balbutiantes. Lorsque l’État a commencé à fermer des établissements publics d’aménagement de certaines villes nouvelles, à la fin des années 1980, on m’a confié un programme interministériel d’histoire et d’évaluation des villes nouvelles, dont j’ai été le secrétaire général durant deux ans.
Après quoi j’ai intégré la Datar (Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale), responsable de la question urbaine puis du programme de prospective. Rapidement, le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, et le délégué à l’aménagement du territoire, Nicolas Jacquet, m’ont demandé de prépare une politique nationale pour les métropoles. Ce qui fut fait en comité interministériel d’aménagement du territoire, à Matignon, en décembre 2003 : un grand moment pour moi, à la table de tout le gouvernement pour acter une politique révisant en profondeur les « métropoles d’équilibre » des années 1960 ! Autres temps, autres objectifs, autres outils. Pour mémoire, c’est dans ce comité qu’a été décidé, par exemple, d’installer Le Louvre, à Lens-Liévin, ou le Centre Pompidou, à Metz, mais aussi de créer le Mucem, à Marseille… J’ai lancé, à la suite de cela, en juin 2004, l’appel à coopération métropolitaine, sur la base du volontariat des élus (appuyé à cette époque par Pierre Mauroy, Gérard Collomb, André Rossinot et le réseau des agences d’urbanisme), qui a initié le processus de métropolisation au sens législatif, avec les lois qui se sont succédé sur le sujet. Après la Datar, j’ai rejoint l’Institut d’aménagement d’urbanisme de la région Ile-de-France comme directeur général adjoint délégué au schéma directeur (SDRIF), dont j’ai piloté deux révisions (2007 et 2013), avec Valérie Mancret-Taylor et Jean-Claude Gaillot, côté Région. C’était des années passionnantes : une métropole exceptionnelle, 1 300 communes, un outil de planification unique, une bataille politique de haut vol, un défi d’ingénierie technique et juridique rare… et le réseau du Grand Paris Express à intégrer au chausse-pied dans l’espace régional. Et puis, il y a eu la consultation internationale du Grand Paris avec dix équipes d’architectes de renom, lancée par l’État, qui a déstabilisé un temps l’exercice planificateur de la Région. J’étais membre de son comité scientifique. Cela s’est terminé en osmose, dans un foisonnement intellectuel hyper stimulant.
Marseille, vue aérienne.
Ensuite, j’ai accompagné Laurent Théry, Grand Prix de l’urbanisme 2010, nommé préfet par le Premier ministre, pour le seconder comme directeur à la mission interministérielle de préfiguration de la Métropole d’Aix-Marseille-Provence. Il s’agissait de fusionner six intercommunalités pour créer une nouvelle métropole dans un contexte politique tendu, avec une forte mobilisation des acteurs socio-économiques. Ce fut une autre aventure intellectuelle, qui mériterait à elle seule un roman ! Une fois la mission interministérielle terminée, j’ai basculé dans la nouvelle institution pour devenir directeur général adjoint en charge notamment du projet métropolitain. Enfin, depuis deux ans, j’anime une équipe au sein de la direction générale des services (DGS), qui porte la prospective, la stratégie, la contractualisation, la concertation avec les forces vives et avec les jeunes…, une position originale d’impulsion et de coordination, directement rattachée à Domnin Rauscher, le DGS, lui-même urbaniste. Autant dire que le défi, ici, est vraiment captivant.
En plus de ces responsabilités successives, vous avez œuvré dans de multiples réseaux professionnels. Lesquels ont joué un rôle particulier dans votre carrière ?
Il y en a un qui a beaucoup compté. J’ai été, de 2011 à 2021, délégué de la France et président du groupe urbain à l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques, ndlr], élu tous les ans par les représentants de quarante pays. Nous avons produit énormément de travaux sur les enjeux urbains, la gouvernance des métropoles, les indicateurs du développement durable, la relation ville-campagne, etc. Une activité très prenante, sans contrepartie financière. Je retiens, en particulier, outre les séances officielles de mon groupe, les grandes réunions des maires et des ministres : celle de Marseille, en 2013, mémorable, celle de Mexico, en 2016, sur le « siècle métropolitain », ou celle d’Athènes, pour restituer dix ans de réflexions du groupe « Urbain » de l’OCDE, en 2019. Avec l’OCDE, mais aussi avec quelques autres réseaux, comme Metrex [plateforme européenne d’échange de connaissances, d’expertise et d’expériences sur les questions métropolitaines] ou l’Inta (association internationale de développement urbain), j’ai effectué de multiples missions d’expertises internationales : Hanoi, Moscou, Tokyo, Shanghai, Rabat, Portland, Melbourne, etc., et dans presque toutes les capitales européennes. Cela a évidemment contribué à forger ma culture urbaine. J’ai souvent enseigné en parallèle de mes activités professionnelles, parfois en formation initiale (Science-Po Paris, Évry) et parfois en formation continue (École des Ponts). Je reprends d’ailleurs une fonction de maître de conférences associé et chercheur associé à Aix-Marseille-Université (laboratoire TELEMMe) dans quelques jours. Je suis membre, ou je l’ai été, de nombreux comités scientifiques (revue Urbanisme, Institut des hautes études sur les métropoles, labex Dynamite, consultation internationale sur le Grand Paris, diverses écoles doctorales, etc.) et j’ai aussi été secrétaire général de l’association Études Foncières, qui publiait la revue du même nom.
Quels sont les fils directeurs de ce parcours atypique ?
Rétrospectivement, j’ai souvent défendu des causes mal comprises ou les sujets mal aimés : les métropoles et la densification, notamment ! Je n’avais pourtant aucun a priori, aucun dogme préalable. C’est là que mon caractère hybride intervient…, pour construire, et même démontrer, mes arguments, toujours dans l’objectif de peser sur l’action. Si je dois citer des lignes directrices, il y a d’abord celle de la concertation, ayant été très tôt adepte des méthodes d’intelligence collective et de l’association des acteurs et citoyens aux démarches des projets de territoire : je pense, par exemple, à la conférence citoyenne du SDRIF, à la « Fabrique du projet métropolitain » d’Aix-Marseille-Provence, aux assises citoyennes de l’habitat, après le drame de la rue d’Aubagne, à Marseille. Il y a aussi le fait d’avoir beaucoup œuvré pour des territoires XXL, y compris le Bassin parisien, car j’avais coordonné la première stratégie partagée par les six présidents de Région à cette échelle ! Il y a également la transversalité, qui a été un combat dans quasiment tous les postes que j’ai occupés : pas facile de coordonner des expertises techniques pointues quand on a un parcours de généraliste. N’étant ni énarque ni ingénieur des Ponts, trouver une place dans l’univers « normé » des ministères ou des ingénieries de la haute fonction publique des collectivités territoriales n’a pas toujours été simple. Je suis finalement passé d’une mission à une autre, sur des postes taillés sur mesure, pour lesquels on venait me chercher la plupart du temps pour remplir une feuille blanche… Et la dernière « marque de fabrique » que je peux citer, c’est le fait de publier beaucoup, pour alimenter le débat collectif, confronter les idées, partager les avancées conceptuelles sur les nouvelles manières d’aménager le territoire.
Pouvez-vous revenir sur la genèse de vos réflexions sur la densité ?
Elles ont commencé tôt ! Mon premier mémoire de jeune étudiant portait sur ma ville d’origine, Niort, et interrogeait déjà la politique municipale de création de lotissements périphériques qui dépeuplaient son centre-ville. Mon mémoire de master portait, quant à lui, sur la densification et la revalorisation des zones d’activité économique à Évry. Je ne comprenais pas pourquoi on planifiait de nouvelles zones pour accueillir le développement économique des dix à vingt années suivantes, alors que les zones existantes disposaient, selon moi, d’une capacité résiduelle suffisante. J’exposais quelle politique publique pouvait être mise en place pour la mobiliser. Ce mémoire avait reçu le Prix du développement local de la Caisse des Dépôts, en 1992, mais il était passé inaperçu et cette question n’est devenue une préoccupation des collectivités que depuis quelques années. À Hong Kong, j’ai pris davantage encore la mesure de ce qu’est la forte densité. Cela m’a réellement intrigué et j’ai voulu comprendre la boîte à outils hongkongaise en rencontrant tous ses protagonistes. Une conférence que j’ai organisée lors du congrès sur place de l’Inta, suivie d’une publication avec Pierre Merlin, en 1994, a lancé plus visiblement ma démarche. J’y ai croisé Newman et Kenworthy, deux Australiens dont les travaux sur les liens entre densité et consommation d’énergie m’avaient intéressé ; j’ai été un des premiers à les relayer en France. Ils démontraient, dans une courbe devenue fameuse, que les villes les plus denses sont beaucoup moins consommatrices d’énergie que les autres, dans la mobilité de leurs habitants. Ces préoccupations du développement durable étaient tout juste naissantes pour le grand public, quelques mois après le sommet de Rio [1992]. Mais, dans la profession et sur place, nous pressentions qu’elles allaient devenir majeures. De retour en Ile-de-France, j’ai retravaillé la courbe de Newman et Kenworthy pour la tester à l’échelle de l’agglomération parisienne et je suis parvenu aux mêmes résultats. J’ai ensuite développé mes travaux sur les métropoles et les densités et j’en ai fait mon sujet de thèse. Avec des financements de l’État, j’ai animé une équipe intitulée « Dense Cité » et un réseau européen sur le thème « densité et nature ». Et j’ai pu proposer plusieurs avancées méthodologiques, par exemple, la densité humaine nette, la notion d’intensification urbaine (on peut densifier sans construire), la densité végétale, les densités minimales… J’ai repris la réflexion récemment sur Aix-Marseille Provence, pour y anticiper les conséquences de la loi sur le « zéro artificialisation nette » (ZAN) : si on limite les extensions urbaines sans organiser quantitativement et qualitativement l’intensification urbaine, on court en effet à la catastrophe !
Propos recueillis par Julien Meyrignac
Lire la suite de cette interview dans le numéro 441 « Dense, dense, dense » en version papier ou en version numérique
Photo de couverture : Les ruelles étroites de Grasse (Alpes-Maritimes). Crédit : Lahcène Abib/Divergence
Photo : Vincent Fouchier. Crédit : David Girard
Photo : Marseille, vue aérienne. Crédit : saiko3p/Shutterstock