Que retenir en termes d’urbanisme des incendies de Los Angeles ?

Une analyse de Cynthia Ghorra-Gobin, géographe, directrice de recherche émérite CNRS (Creda / Iheal), rédactrice en chef de la revue L’Information géographique et membre du Conseil scientifique de la revue Urbanisme.

 

L’incendie (1) ou plu­tôt les cinq incen­dies qui ont tou­ché Los Angeles pen­dant plu­sieurs jours début jan­vier 2025 (quelques jours avant la prise de fonc­tion du pré­sident Donald Trump) a été décla­ré « catas­trophe la plus chère » de l’histoire des États-Unis. L’ampleur du désastre qui a fait dis­pa­raître un grand nombre de structures/bâtiments et réduit à l’état de cendres des ter­ri­toires du com­té de Los Angeles serait due à la conju­gai­son des vents de San­ta Ana et de l’absence de pré­ci­pi­ta­tions (2) au cours des deux der­nières années ayant entraî­né une forte séche­resse de la végé­ta­tion. Si les his­to­riens rap­pellent com­bien les éco­sys­tèmes natu­rels de l’ouest du pays sont sou­vent tou­chés par des feux, de nom­breux obser­va­teurs évoquent le rôle du chan­ge­ment cli­ma­tique, en rai­son notam­ment de la vio­lence inédite des vents en début d’année.

Les belles vil­las du quar­tier Paci­fic Pali­sades (27 000 habi­tants) sur les col­lines des monts San­ta Moni­ca ain­si que celles d’une par­tie de Brent­wood (Man­de­ville Canyon) ont brû­lé. Il en est de même pour celles de la ville voi­sine de Mali­bu (3) (12 000 habi­tants) située le long de la côté Paci­fique et pour le ter­ri­toire non-incor­po­ré d’Altadena (4) (42 000 habi­tants rele­vant du com­té de Los Angeles) sur les pentes des monts San Gabriel. Le méga­feu a concer­né les quar­tiers riches de la ville, sauf pour Alta­de­na où le taux de pau­vre­té atteint 10%. Quant aux quar­tiers popu­laires et raci­sés de Watts, South Cen­tral et East Los Angeles (5) à proxi­mi­té du down­town, ils n’ont pas été tou­chés, mais leurs habi­tants sont affec­tés par la mau­vaise qua­li­té de l’air (toxic smoke)(6).

La fin d’un cadre de vie exceptionnel

Contrai­re­ment aux incen­dies pré­cé­dents, le méga­feu de 2025 a trans­mis la fin d’un habi­ter dans un pay­sage excep­tion­nel et doté d’une grande valeur esthé­tique. Les demeures (man­sions) construites sur les pentes étaient vastes, dotées d’une pis­cine et par­fois d’un ciné­ma : elles auto­ri­saient un mode de vie urbain au cœur de la nature.  Les plus chères d’entre elles, c’est-à-dire celles offrant une vue fabu­leuse sur l’océan Paci­fique, dépas­saient faci­le­ment 100 mil­lions de dol­lars (7). Si toute catas­trophe (incen­die, stress hydrique, tem­pé­ra­tures extrêmes, inon­da­tion) est per­çue comme un révé­la­teur des failles sociales, le prin­ci­pal enjeu (outre l’intransigeance de cer­taines com­pa­gnies d’assurances) concerne ici le per­son­nel domes­tique (jar­di­niers inclus) com­po­sé de per­sonnes raci­sées au ser­vice des riches (8).

Le carac­tère inédit de la vio­lence des vents peut être asso­cié au chan­ge­ment cli­ma­tique mais l’ampleur de la catas­trophe relève avant tout d’un amé­na­ge­ment urbain s’inscrivant dans l’étalement spa­tial, c’est-à-dire l’artificialisation des sols au détri­ment des éco­sys­tèmes natu­rels. Un argu­ment bien dif­fé­rent de celui du pré­sident Trump cri­ti­quant la ges­tion démo­crate incar­née par le gou­ver­neur de Cali­for­nie, Gavin New­son (9). La ville et l’État pour­raient alors ne pas être éli­gibles à l’aide fédé­rale, une situa­tion qui avec la réti­cence des com­pa­gnies d’assurances à ver­ser des indem­ni­tés, risque d’être explo­sive (10).

Pho­to : Le quar­tier Paci­fic Pali­sades en proie aux flammes. Cré­dit : AP Photo/Ethan Swope

Les fon­de­ments de la vul­né­ra­bi­li­té d’un ter­ri­toire urbanisé 

Le peu­ple­ment de Los Angeles, un pue­blo espa­gnol deve­nu par la suite une petite ville de la fron­tière mexi­caine, puis de la fron­tière éta­su­nienne, par­ti­cipe de la tra­jec­toire d’individus en quête d’un cadre de vie excep­tion­nel. Les migrants amé­ri­cains fuyaient toute forme de den­si­té au pro­fit de la mai­son indi­vi­duelle et d’un cadre de vie rele­vant du « jar­din d’Eden » (11). Ce mythe de l’habiter remon­tant au milieu du XIXe siècle a façon­né Los Angeles, il est bien anté­rieur à la dif­fu­sion de la voi­ture et à la per­for­mance du réseau autoroutier.

Si la Cali­for­nie du sud se carac­té­rise par une végé­ta­tion consti­tuée de chap­pa­ral (par­fait com­bus­tible en cas de séche­resse), les bota­nistes sou­lignent que l’introduction de plantes et arbres (pal­mier et euca­lyp­tus) ayant contri­bué au pay­sage idyl­lique a accen­tué la vul­né­ra­bi­li­té du ter­ri­toire. L’eucalyptus contient de la résine qui flambe faci­le­ment. L’État cali­for­nien avait recom­man­dé aux habi­tants de sup­pri­mer toute forme de végé­ta­tion à proxi­mi­té de leur mai­son mais la majo­ri­té d’entre eux ne l’ont pas sui­vi. Il est vrai que l’injonction allait à l’encontre d’un mar­ché immo­bi­lier valo­ri­sant toute forme d’alliance entre la mai­son en bois (conçue pour résis­ter au trem­ble­ment de terre) et son inté­gra­tion dans un pay­sage natu­rel et végétalisé.

Ima­gi­ner un modèle concep­tuel autre (urba­nisme et architecture) 

Le rap­pel de la vul­né­ra­bi­li­té de Los Angeles indique qu’elle s’est bâtie sur un ter­ri­toire où le feu est par­tie pre­nante du cadre natu­rel et où l’étalement urbain s’est fait en négli­geant toute forme de risque lié à l’interface de l’urbain et de la nature « wild­land-urban ». Suite aux reven­di­ca­tions des urba­nistes, des mesures prises en 2020 ont entraî­né le début d’une den­si­fi­ca­tion des quar­tiers au pro­fit de l’Accessory Dwel­ling Units (ADU) (12). La den­si­fi­ca­tion est per­çue comme un moyen d’endiguer l’urban sprawl, de réduire l’artificialisation des sols et de répondre à la demande de logements.

Paral­lè­le­ment aux urba­nistes, les archi­tectes aler­tés par le méga­feu de Camp Fire et de Para­dise (nord de la Cali­for­nie) de 2018 tra­vaillent selon le prin­cipe de l’écoconception (cli­mate-adap­tive desi­gn) des bâti­ments. Une mai­son bâtie en 2024 à Paci­fic Pali­sades par l’un d’entre eux sert à pré­sent d’exemple car elle a résis­té au feu et au vent. Conçue sur le prin­cipe d’une grande sim­pli­ci­té adap­tée au cli­mat déser­tique, la mai­son n’est entou­rée d’aucune végé­ta­tion, son toit est métal­lique et le maté­riau bois a été choi­si dans une gamme résis­tante au feu.

La récente expé­rience de Los Angeles incite désor­mais les pro­fes­sion­nels à construire des savoirs habi­tables et de renon­cer à toute réflexion en silos. Une concep­tion renou­ve­lée de l’urbanisme et de l’architecture a pour ambi­tion d’articuler sur un mode nou­veau l’habiter et le ter­ri­toire. Autre­ment dit, il revient de consi­dé­rer tout sché­ma d’urbanisme et d’architecture en prise avec la fini­tude de la nature, c’est-à-dire ancrés dans la nature (embed­ded in nature).

 

Cyn­thia Ghorra-Gobin

 

Pho­to : Les incen­dies qui ont notam­ment rava­gé Alta­de­na ont fait au moins 24 morts. Cré­dit : Patrick T. Fal­lon / AFP

1) Cer­tains pré­fèrent les termes de « méga­feu » ou « fires­torm » qui tous les deux évoquent l’idée d’un incen­die violent et de grande ampleur se déployant sur un vaste ter­ri­toire (pou­vant aller jusqu’à 10.000 hectares).

2) Sur la res­source en eau à Los Angeles, voir l’article du dos­sier Eau dans Urba­nisme N°431.  

3)  A Los Angeles, médias et habi­tants qua­li­fient la plage de Mali­bu de « Billionaires’Beach ». 

4) Le feu ayant tou­ché Alta­de­na a été nom­mé Eaton.

5) La révolte des Noirs en 1965 est par­tie du ghet­to de Watts, la révolte mul­ti-eth­nique de 1992 de celui de South Cen­tral. East Los Angeles est un quar­tier habi­té par les popu­la­tions hispaniques.

6) Les auto­ri­tés encou­ragent le port du masque face à l’air toxique qui repré­sente un risque pour la san­té publique et de mor­ta­li­té pour les per­sonnes souf­frant de mala­dies res­pi­ra­toires.  Un sérieux contraste avec les 25 décès liés au feu. 

7) Notons qu’une par­tie de ces mai­sons n’étaient que des rési­dences secondaires.

8) Des médias indiquent que cer­tains riches pro­prié­taires dis­po­saient d’un ser­vice de pom­piers offert par des entre­prises privées.

9) Le pré­sident Trump a décla­ré au moment de l’incendie, « It is not nature, it is Democrats ».

10) Les habi­tants qui se sou­viennent de l’incendie de Mali­bu en 1956, sou­ligne le contraste entre le pré­sident actuel et le pré­sident répu­bli­cain Eisen­ho­wer venu au secours de la Californie. 

11) Pour plus de détails sur cet ima­gi­naire, voir C. Ghor­ra-Gobin, Los Angeles, le mythe amé­ri­cain inache­vé, CNRS édi­tions.

12) Voir le dos­sier d’Urbanisme N°441 sur la den­si­té évo­quant la mise en œuvre du ZAN à Los Angeles.  L’analyse met l’accent sur le pro­ces­sus de négo­cia­tion entre les acteurs concer­nés qu’il exige. 

 

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