«L’art urbain est un peu passé de la subversion à la subvention »
Stéphanie Lemoine est journaliste, critique d’art, auteure et intervenante à Paris 1 Panthéon-Sorbonne en histoire de l’art urbain.
Elle revient sur les racines et fondamentaux de cette discipline. Et ses rapports avec les villes et l’urbanisme, comme sujets et comme supports.
Que désigne le terme « street art » ?
Le terme de « street art » est communément employé aujourd’hui pour désigner de manière générique toutes les interventions visuelles et plastiques dans l’espace urbain. De l’illicite, comme le graffiti, à l’institutionnel, comme les fresques murales déployées sur de grands murs de pignon.
Or, parmi les acteurs de cette très vaste scène, ce terme est loin de faire consensus. Pour désigner les interventions artistiques spontanées ou sauvages en milieu urbain, il est plus juste d’employer le terme « art urbain ». Lui-même est assez peu satisfaisant, car trop vague. Il peut se confondre avec l’art public, c’est-à-dire l’art de la commande publique, et avec l’art de la rue, qui concerne le spectacle vivant.
En réalité, le street art désigne plutôt un champ spécifique de l’art urbain : des formes figuratives, souvent « pop » et « engagées », bien que les artistes qui le pratiquent soient souvent issus du graffiti. Il est considéré par le grand public comme une forme d’art à part entière, d’autant qu’il n’est pas encore totalement intégré à l’art contemporain dont il n’a pas forcément adopté les codes esthétiques et formels.
Il est même souvent présenté comme une alternative, voire un remède à l’art contemporain qui serait trop élitiste, hermétique, là où le street art serait capable de « parler » à un plus grand public.
Pour de nombreux observateurs, l’art urbain est grandement défini par ses acteurs ou sa pratique, voire ses intentions et engagements.
L’art urbain n’est pas un mouvement, mais une mosaïque de pratiques d’artistes qui obéissent à des motivations très diverses et exercent dans des espaces publics, communs, libres, sur des surfaces publiques ou privées, au départ sans autorisation des propriétaires.
C’est un art officieux. Même s’il est aujourd’hui largement institutionnalisé, il présente certains traits communs : il se fait à l’économie, avec peu de moyens et peu de matériel, mais avec l’objectif de produire un maximum d’impact (ce qui le rapproche de la publicité) au travers de formats très divers, du graffiti au muralisme.
Les motivations des artistes, partout dans le monde, et notamment aux États-Unis où est né le graffiti dans les années 1960, ne sont pas forcément politiques. Le graffiti writing ne porte aucun message explicite. Même si on peut le lire comme une critique en acte de l’espace urbain, une « insurrection par les signes », selon les termes de Baudrillard.
De même, nombre d’artistes urbains obéissent d’abord à des logiques individuelles. Œuvrer dans la rue leur permet d’orchestrer leur visibilité et de diffuser leur travail. Et sans passer par les circuits traditionnels de monstration des œuvres d’art, que ce soit par choix ou, le plus souvent, par défaut.
Julien Meyrignac
Photo : Stéphanie Lemoine. © Gaëlle Cognée