Le Grand Nord de Mayotte ou la planification à deux temps

L’exemple de l’élaboration du PLUi-HD (plan local d’urbanisme intercommunal-habitat et déplacements) du Grand Nord de Mayotte révèle toutes les difficultés rencontrées sur l’archipel, à commencer par celle d’y appliquer le cadre juridique hexagonal alors que les réalités locales sont tout autres. Comment dans ces conditions, et alors que le cyclone Chido a récemment aggravé la situation, concilier l’urgence et la planification ?

 

Dans son album Mayotte Département ? (2009), l’artiste Nadhuri Ben Saïd, alias Lathéral, originaire d’Acoua et participant actif aux réunions de concertation dans le cadre de l’élaboration du PLUi-HD de la communauté d’agglomération du Grand Nord de Mayotte, exprime la lassitude de la population mahoraise d’être considérée comme un département français « à part ». Il évoque également l’inadaptation du cadre juridique pour cette île dont les réalités sont tout autres que celles de l’Hexagone. Mayotte est un département français complexe et singulier, marqué par un désir et une nécessité de transformation urgents. Ses représentants mesurent l’intérêt de concevoir un cadre réglementaire opposable afin de planifier, hiérarchiser et anticiper les services nécessaires. Cependant, ils se confrontent chaque jour à la réalité quotidienne des pratiques et coutumes clairement en décalage avec cet objectif. Le Code de l’urbanisme ne fait pas exception à ce constat.

Le processus de départementalisation, engagé en 2011, transforme progressivement les modes de faire, d’habiter et de vivre sur le territoire. À titre d’exemple : la vente informelle en bord de route des brochetti (brochettes), la présence de cabris et de zébus dans l’espace public ou encore la végétation luxuriante sont autant d’éléments du paysage et de la culture locale qui s’effacent progressivement au profit d’infrastructures et de bâtiments standardisés, sans pour autant atteindre systématiquement les résultats escomptés ou répondre aux besoins identifiés. Et Lathéral de chanter : « À Bandraboua, où sont passés les cabris ? / Plus de zébus sur le bord de la route / Plus de moutons sur le terrain de foot / C’est la fourrière qui les a emmenés / Même pour eux il n’y a plus de liberté. » Dans le 101e département de France et de manière plus prononcée que dans les autres territoires d’outre-mer, tout ou presque est à contre-courant des dynamiques hexagonales et ultramarines en cours : très forte croissance démographique, crises multiples (logement, sociale, économique, insécurité), accès difficile aux services et réseaux (eau potable, numérique, assainissement, gestion des déchets, etc.) et aux ressources…

À Mayotte, les besoins essentiels pour une vie décente ne sont pas toujours assurés pour ses habitants. Tiraillé entre le besoin de planifier et de répondre aux urgences quotidiennes, l’archipel s’approprie, de fait et à sa manière, les outils réglementaires en vigueur pour concevoir et dessiner l’aménagement de son territoire. Comme l’explique Vanille Guichard, directrice de l’Aménagement et du Renouvellement urbain à la Ville de Koungou, « l’objectif est bien plus souvent d’agir pour proposer des solutions plutôt que d’attendre qu’un cadre parfait existe ». Dans un contexte aussi complexe, auquel est venu s’ajouter le passage dévastateur du cyclone Chido, comment concilier l’urgence et la planification ?

La difficulté de s’approprier les outils

Avant la départementalisation, l’absence de documents d’urbanisme, couplé à la gestion coutumière des terres, a permis de laisser faire les habitudes endémiques d’indivisions successorales, qui sont de véritables freins pour le développement territorial de l’île et plus largement des outre-mer. L’application du droit français et du Code de l’urbanisme ont progressivement bouleversé la gestion du foncier et des autorisations d’urbanisme. Pourtant, même si toutes les communes sont désormais couvertes par des plans locaux d’urbanisme (PLU), la pratique en est encore à ses débuts. Le contexte, galopant, d’évolution et de modifications des lois sur cette dernière décennie, amplifie la difficulté de Mayotte à s’approprier ces outils. C’est certainement une des raisons qui explique qu’ils sont souvent perçus comme trop techniques, contraignants ou inadaptés, alors qu’ils devraient avoir une portée puissante et stratégique. En effet, le PLUi (PLU intercommunal) a pour objectif de créer les conditions concrètes, afin de mettre en œuvre un projet de territoire guidé par une vision politique forte, désirée et adaptée. Le contexte local, l’urgence, et l’inadéquation du cadre réglementaire observés invitent donc à requestionner les pratiques de la planification territoriale pour Mayotte. L’exemple de l’élaboration du PLUi-HD du Grand Nord de Mayotte montre qu’aux difficultés couramment rencontrées, pour réaliser un tel document, s’ajoutent des blocages dès le démarrage du travail.

L’absence ou le manque de fiabilité des données d’entrée (statistiques, géoréférencées…) limitent, d’une part, la réalisation de diagnostics objectivés, analytiques et prospectifs pourtant nécessaires aux fondements d’un projet. D’autre part, elles conduisent à des décalages, voire des erreurs importantes, avec la réalité vécue, entraînant des frustrations, incompréhensions, et même des tensions entre les différentes parties prenantes (élus, partenaires institutionnels, habitants…) et par nature défavorables à la construction d’un projet partenarial. La culture d’une urbanisation spontanée et la transmission orale de la terre, dérogeant aux logiques d’autorisations d’urbanisme, sont une réponse à la pression foncière et au très fort besoin en logements sur l’île. Elles ont occasionné, année après année, le développement rapide d’un urbanisme sans cesse en mouvement, qui n’a ni le temps d’être intégré par les bases de données nationales, ni anticipé. Il en résulte des recompositions de tissus urbains avec des constructions hétéroclites et informelles qui constituent une part importante du parc de logements et qu’il convient d’évaluer et quantifier, au mieux, au fil de la fabrication du projet.

Dans ce contexte, le travail de terrain et collaboratif s’avère une solution nécessaire pour apprécier la réalité des dynamiques en place et pour régulièrement réajuster le PLUi, au gré des rencontres et des déplacements. Il peut ainsi arriver de devoir intégrer un projet en cours de réalisation, afin d’adapter le cadre aux besoins du territoire. Le PLUi en cours d’élaboration devient en quelque sorte un espace de référence évolutif, dans lequel les projets puisent leur légitimité. Cela questionne sur le fond la manière de le créer et sa portée réglementaire à Mayotte.

Mathilde Loncle, Christelle Oghia, Frédéric Régnier, Amélie Hoarau et Gaël Penaud

À retrouver dans le numéro 442 « Planifier versus réglementer » en version papier ou en version numérique

Photos : Projection 3D du zonage du PLU existant par rapport à la tache urbaine sur la commune d’Acoua pour constater l’urbanisation effective, crédit : D. R ; Panneau portant un PLU imaginaire dans la nature, crédit : Francesco Scatena.

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