« L’infrastructure est un outil de stratégie territoriale »

Béatrice Cuif-Mathieu, directrice générale de Destination Nancy, est également coprésidente de l’Union française des métiers de l’évènement (Unimev) aux côtés de Philippe Pasquet. Première femme à occuper ce poste, elle accompagne l’évolution des grandes infrastructures évènementielles pour répondre à une double exigence : favoriser la socialisation professionnelle et renforcer l’attractivité des territoires accueillants.

 

Photo : Laurence Deleau

Quel est le rôle d’Unimev dans la profession ?

Unimev fête cette année ses 100 ans. À l’origine, c’était une association des organisateurs de foires qui a été fondée le 19 janvier 1925 par Gaston Gérard, le maire de Dijon, qui deviendra plus tard le premier titulaire du portefeuille ministériel du Tourisme. À l’image de l’évolution de nos métiers, notre association a ainsi rapproché les différents maillons de la chaîne évènementielle, intégré de nouveaux métiers débouchant sur l’actuelle Unimev et sa très forte représentativité. Nous regroupons des organisateurs de salons, de congrès, d’évènements d’entreprises, de foires, de manifestations sportives, des gestionnaires de sites, des concepteurs de stands, des prestataires de services…, toute entreprise qui concourt à la production et à la réussite de ces évènements. Notre filière représente 9 173 milliards d’euros de chiffre d’affaires et contribue à maintenir 455 000 emplois, dont 40 600 emplois directs. L’évènement professionnel est un média d’influence, qui permet de décloisonner les communautés et d’échanger librement.

 

Vous avez collaboré avec le think tank la Fabrique Spinoza sur une étude renforçant la conviction qu’il est essentiel de préserver ces lieux de socialisation professionnelle.

En effet, il faut maintenir ces possibilités d’échanges pour ce qu’elles permettent d’accomplir ensemble. Le capital immatériel lié aux rencontres professionnelles est précieux. La suppression progressive des lieux de convivialité dans de nombreux territoires a aggravé la segmentation sociale et professionnelle. L’évènementiel professionnel, repensé avec des nouveaux formats, contribue à cette société des liens qui a été affaiblie. Pour aller dans le même sens, lors d’une séance de travail sur l’innovation dans les rencontres professionnelles avec Atout France l’an passé, les jeunes de la génération Z avaient une position intéressante qui était la suivante : « Arrêtez de nous proposer des applications et du distanciel. Nous sommes nés avec un téléphone portable dans la main et des réseaux sociaux, nous avons besoin de lieux de rencontres et de liens sociaux ! » Notre activité est aujourd’hui à 98 % en présentiel, et le distanciel est un complément, ô combien important, mais un complément. Ces jeunes, mais aussi les participants aux évènements, désirent des rencontres humaines pour pouvoir échanger, innover ; c’est un aspect vraiment très important à prendre en compte au-delà des retombées économiques générées.

 

Ces infrastructures de grande taille ne sont donc pas surdimensionnées comme on l’entend parfois ?

Les besoins d’espaces dépendent des marchés servis, ils sont donc adaptés pour gérer au mieux ces communautés liées aux filières économiques rassemblées. Ces lieux, qu’ils soient des parcs d’exposition ou des centres de congrès, sont dimensionnés pour des usages précis. Par exemple, l’organisation du Jumping international de Bordeaux [une manifestation équestre, ndlr] nécessite des espaces adaptés à l’accueil de grands évènements, sans quoi ils devraient se tenir à l’étranger. Un autre exemple avec la dernière édition du Sirha à Lyon [réunissant des acteurs mondiaux de la restauration, de l’hospitalité et de l’alimentation], qui, au sein du salon lui-même, propose des espaces de concours et de démonstration, rassemble les innovations, les échanges de savoir-faire et grandes compétitions. Les salons agricoles disposent souvent d’importantes surfaces pour présenter de même des innovations et des échanges de savoir-faire. Ce qui a été remarquable, d’une manière générale, c’est qu’alors que nos activités étaient interdites pendant le Covid, elles n’ont jamais autant démontré leur utilité dès que les rencontres furent à nouveau possibles. À Cannes et à Nancy, nos sites fermés ont été rapidement transformés en vaccinodromes sous l’impulsion des élus. Cette adaptabilité a impressionné les organisateurs de la vaccination, qui ont découvert notre agilité et capacité à monter une installation complète en quelques heures. Cette polyvalence s’étend au-delà des situations de crise. Les centres de congrès et parcs d’exposition sont ouverts sur leurs territoires et accueillent désormais une grande variété d’évènements au-delà de leurs stricts cœurs de métiers : concerts, expositions culturelles, et même des procès hors norme.

À Nancy, par exemple, nous avons transformé le grand amphithéâtre en salle d’audience pour le procès « carton rouge » [un procès géant qui s’est tenu en 2024 sur une affaire d’escroquerie dans le monde du football], tout en continuant à accueillir d’autres évènements dans le même équipement. Cette mixité fonctionnelle démontre notre capacité à nous adapter rapidement aux besoins variés de nos clients, tout en assurant une gestion efficace des flux et une cohabitation harmonieuse entre différents types de manifestations. C’est cette capacité à accueillir ou organiser, simultanément ou non, tout type d’évènements qui contribue à la viabilité financière de nos sites.

Ces espaces sont donc particulièrement modulables et essentiels à la dynamique d’un territoire ?

Le fait d’avoir des sites de grande capacité a contribué au succès des Jeux olympiques et paralympiques, qui a reposé en partie sur la disponibilité d’équipements évènementiels de grande envergure. Des lieux comme Paris Nord Villepinte, Le Bourget ou l’Accor Arena ont démontré leur capacité à se transformer rapidement pour accueillir diverses compétitions, puis à s’adapter pour d’autres manifestations. Aujourd’hui, l’hybridation des formats est au cœur de notre offre. Nous ne proposons plus simplement des salons, des foires ou des congrès séparés, mais des évènements qui combinent différents formats. Par exemple, un congrès peut inclure une partie salon-exposition, ou un évènement d’entreprise peut accueillir un grand speaker. Cette approche contribue à associer différentes communautés et à attirer un public diversifié, renforçant ainsi son modèle économique.

Propos recueillis par Maider Darricau

Lire la suite de cet article dans le numéro 443 « Infra et superstructures » en version papier ou en version numérique

Couverture : Jean-Louis Chapuis, Studio Warmgrey

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