Professeur des universités à Paris 1 Panthéon-Sorbonne et expert de la smart city humaine, Carlos Moreno est notamment reconnu pour avoir théorisé la « ville du quart d’heure » et le « territoire de la demi-heure ». Il revient ici sur le concept de « prosilience », qui combine réduction de l’empreinte carbone des villes et développement de l’économie locale et des interactions sociales.
Nos villes sont aujourd’hui confrontées à un triple défi: écologique, économique et social. Une étude publiée dans la revue Nature, du 17avril 2024, par une équipe de chercheurs de l’Institute for Climate Impact Research de Potsdam (Allemagne), a estimé le coût annuel du changement climatique à 39 trillions de dollars, avec une perte économique mondiale du chiffre d’affaires annuel de 19 %.
Des évènements récents illustrent ces impacts et, hélas, nous pourrions lister de nombreux autres malheureux exemples: Athènes, frappée fin mai 2024 par une canicule précoce meurtrière, provoquant la fermeture de ses écoles, sites touristiques et lieux de travail ; Dubaï et des villes du Moyen-Orient, inondées en avril 2024 en quelques heures par des pluies torrentielles; Acapulco, détruite en octobre 2023 par Otis, le premier ouragan de catégorie 5 dévastant la zone, avec un coût de reconstruction de 3,5 milliards de dollars. La crise de l’eau sévit dans de nombreuses régions. Bogotá, capitale de la Colombie avec 9 millions d’habitants, fait l’objet d’un rationnement strict et, un peu partout dans le monde, nos villes connaissent des vagues de chaleur et sécheresse sans précédent, dépassant à chaque fois les records, déjà considérés comme historiques.
Dans cette période de « l’ébullition globale », pour reprendre la formule du secrétaire général de l’ONU, António Guterres, les villes, où habite la majorité de la population mondiale, sont au cœur du problème, par leurs taux d’émissions de CO2, de consommation d’énergie et de concentration d’activités anthropiques, mais elles détiennent aussi la clé de la solution.
L’urgence de la « prosilience »
La crise climatique souligne le besoin impératif de changer notre mode d’organisation urbain face à la zonification héritée du fonctionnalisme de la charte d’Athènes [Ciam 1933, ndlr], avec sa cohorte de facteurs de dégradation de la qualité de vie : longues distances, dépendance à la voiture individuelle, kilomètres de bouchons quotidiens, mono-usage des bâtiments, déplacements massifs aux mêmes tranches horaires, avec la généralisation d’un mode de vie incompatible avec les enjeux climatiques. Ils ont été les catalyseurs de l’émergence du concept de la « ville du quart d’heure » qui – par la suite, avec les impacts du Covid-19 – sont venus amplifier ce désir de changement.
Une autre dynamique s’est créée avec le désir de nouvelles manières de vivre, de travailler, l’envie de plus de temps disponible, le changement des formes d’organisation hiérarchique traditionnelles, la bascule vers des démarches hybrides utilisant massivement les nouvelles technologies. Des villes, de toutes tailles, se sont jointes à cette démarche de transformation autour des nouvelles proximités, comme un axe clé du changement de modes de vie, faisant voyager cette proposition partout dans le monde. C’est un travail de recherche aujourd’hui largement reconnu au niveau international. Mes livres ont été traduits dans de nombreuses langues, nos publications scientifiques sont amplement diffusées, des méthodologies et outils accompagnent une démarche pragmatique, qui propose des solutions concrètes pour faire face aux défis actuels de l’urbanisation, du changement climatique et de la recherche de la qualité de vie urbaine. Une communauté mondiale des chercheurs s’est créée autour de cette thématique et un large écosystème a vu le jour. Il est animé sur les cinq continents, avec la création de l’Observatoire mondial des proximités durables, à notre initiative, avec le concours de UN-Habitat, de deux des plus importantes organisations internationales des maires – C40 Cities et UCLG (United Cities and Local Governments) – et d’autres partenaires.
Carlos Moreno
Photo : Flickr/besopha/CC-BY-SA