Abandonnées avant d’être reconquises, les périphéries ont connu des transformations sociologiques profondes qui n’ont pas modifié la défiance des villes à leur égard. Pour quelles raisons ?
Le terme de périphérie n’a investi le champ de l’aménagement du territoire qu’assez récemment. Il est apparu en géographie dans les années 1970, dans les travaux des chercheurs dits régionalistes – autour de Roger Brunet –, et notamment ceux d’Alain Reynaud. Leurs analyses et modélisations de l’époque s’appuyaient sur les dynamiques constatées après‑guerre, soit l’exode rural et le renforcement des villes grandes et moyennes et, en l’occurrence, des faubourgs et banlieues, formes dominantes de la constitution de leur périphérie. Le terme était alors parfaitement adapté, dans la mesure où il décrivait des espaces inféodés à des centres urbains, concentrant population, activités, équipements, richesses et pouvoirs. Des années 1950 au début des années 1970, le tissu urbain s’est ainsi renforcé en couches aréolaires pour accueillir des populations issues de ce que l’on appelait alors la/les province(s) ou la/les campagne(s), qui venaient occuper des emplois productifs dans le tissu industriel, lui-même le plus souvent implanté dans cet espace périphérique.
Lorsque le terme « périphérie » s’est généralisé dans les réflexions et discours des politiques d’aménagement du territoire, et notamment dans les publications de la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (Datar), au milieu des années 1970, l’exode rural était contenu et de nouvelles dynamiques étaient déjà à l’œuvre : celles de la « rurbanisation », produit du desserrement des centres-villes et banlieues vers la proche périphérie pour échapper aux nuisances urbaines liées aux activités et au développement urbain (pollution industrielle, congestion automobile, etc.), pour accéder à un « confort moderne » difficile à introduire dans les centres-villes… Mais aussi, il faut bien l’écrire, pour la bourgeoisie et les classes supérieures, fuir les populations prolétariennes de plus en plus présentes dans les villes et leurs extensions continues. Une dynamique soutenue par les gouvernements de l’époque, d’Albin Chalandon, ministre de l’Équipement et du Logement de 1968 à 1972 (et les fameuses chalandonnettes, ces maisons individuelles préfabriquées visant à permettre au plus grand nombre de devenir propriétaire d’une maison individuelle) à Raymond Barre, Premier ministre (1976 à 1981), qui met en place une politique d’aide à la pierre en faveur des maisons individuelles qui va faire la fortune de groupes immobiliers (comme les maisons Phénix). À cette époque, les directions départementales de l’Équipement (DDE) consacrent une énergie considérable à créer d’innombrables lotissements à travers le pays.
Ce tissu s’est principalement développé autour de centralités secondaires – petites villes ou villages – très souvent desservies par des infrastructures de transports en commun (train, RER, métro…) et grâce à la démocratisation de la voiture individuelle. Ce qui a été constaté, c’est le développement d’une périphérie des premières périphéries, et l’avènement des grands lotisse- ments « cossus » dans les villes de seconde couronne, comme Saint-Gilles à 20 minutes de voiture de Rennes, passée de 1137 habitants, en 1968, à 2808, en 1982, en accueillant de nombreux cadres moyens et supérieurs. Ainsi se sont construites les « périphéries des années 1980 », avec une impulsion et un accompagnement clairs de l’État, l’appui de grands groupes industriels et dans des formes organisées, pour ne pas dire normées (comme l’attestent les guides à l’attention des aménageurs de lotissements diffusés par les DDE à cette période).
Julien Meyrignac
Meulan-en-Yvelines (78), ligne de banlieue pour Paris. Photo : John New/Shutterstock