L’art et la manière

En avant, l’art

 

Il existe un lien puis­sant entre l’art, les villes et les ter­ri­toires. De très nom­breuses études uni­ver­si­taires l’ont étu­dié au prisme his­to­rique, poli­tique, socio­lo­gique ou éco­no­mique, pour éta­blir que les artistes, mieux que qui­conque, savent cap­ter les forces du réel ou les pré­mo­ni­tions du deve­nir des pay­sages urbains ou natu­rels afin de les « mettre en œuvre », et ain­si cap­ti­ver et ren­sei­gner les observateurs.

Il faut dire qu’ils sont – inves­tis à res­sen­tir et sug­gé­rer une émo­tion véri­table – libé­rés de toute exi­gence d’objectivité et de réa­lisme, quand les urba­nistes, archi­tectes et pay­sa­gistes s’appliquent à pro­duire des diag­nos­tics irré­fu­tables sur les­quels ils déve­loppent des pro­jets ration­nels et mesu­rés (entendre : sobres, inclu­sifs, etc.). Rare­ment – jamais ? – les concep­teurs de l’urbain ne convoquent la beau­té en tant que telle à leurs pro­jets, bien que cette der­nière contienne intrin­sè­que­ment une forme d’évidence et de justice.

Par­tant de ce constat, nous pour­rions sous­crire à l’idée que l’art est une forme de connais­sance et com­pré­hen­sion des villes et leurs réa­li­tés sen­sibles, autant qu’un moyen d’imaginer et conce­voir leur deve­nir. Et, par­fois même, les deux en même temps.

Quand Pie­ro del­la Fran­ces­ca a peint le décor urbain en subli­mant l’art de la pers­pec­tive éta­bli par Bru­nel­les­chi, a‑t-il repré­sen­té ou inven­té la ville de la Renais­sance ? L’Angélus, de Millet, n’est-il pas un témoi­gnage extra­or­di­naire des réa­li­tés des cam­pagnes fran­çaises au mitan du XIXe siècle ? Les espaces urbains méta­phy­siques de Gior­gio De Chi­ri­co ne consti­tuent-ils pas des repré­sen­ta­tions qua­si pré­mo­ni­toires de la ville moderniste ?

La liste des réfé­rences d’œuvres peut être éten­due indé­fi­ni­ment et élar­gie aux arts autres que plas­tiques : Metro­po­lis, de Fritz Lang, et la somme d’images hyper-struc­tu­rantes de la ville futu­riste qui ont ali­men­té – et conti­nuent d’alimenter – les repré­sen­ta­tions de l’environnement urbain et la créa­tion archi­tec­tu­rale ; Cité de verre, de Paul Aus­ter, por­trait macabre (l’aliénation des hommes, la fin des avant-gardes…) de la ville post­mo­derne, avant même (le roman a paru en 1985) son avè­ne­ment digi­tal ; ou bien encore, les mondes urbains vir­tuels des clips de Gorillaz ou Daft Punk…

Face à ces œuvres, ce que nous pro­je­tons dans les villes et les ter­ri­toires, réels ou fic­tion­nels, c’est notre huma­ni­té, et avec elle, nos émo­tions ne sont jamais loin de nos valeurs et de toutes nos pré­oc­cu­pa­tions, sociales, éco­lo­giques ou autres. Sans doute les artistes par­viennent-ils à sai­sir ce qui se cache dans l’épaisseur des villes, qui en consti­tue l’identité et la force, et qui semble par­fois man­quer dans les tra­vaux des urbanistes.

Mais pas ques­tion d’opposer les uns aux autres, plu­tôt d’appeler de nos vœux à de plus fré­quentes et intenses col­la­bo­ra­tions, qui per­mettent d’instiller un esprit et une audace d’avant-garde auprès de tous les don­neurs d’ordres. Et de dis­po­ser de plus nom­breuses repré­sen­ta­tions affec­tives des défis aux­quels nous sommes confron­tés, mais aus­si, et sur­tout, d’un ave­nir post-car­bone hau­te­ment désirable.

Julien Mey­ri­gnac 

 

Pho­to de cou­ver­ture : Phi­lippe Ramette, Éloge de la trans­gres­sion – Cour­te­sy de l’ar­tiste et Gale­rie Xip­pas – Le Voyage à Nantes 2018. © Marc Domage/LVAN, ADAGP 2018

 

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Depuis 1932, Urba­nisme est le creu­set d’une réflexion per­ma­nente et de dis­cus­sions fécondes sur les enjeux sociaux, cultu­rels, ter­ri­to­riaux de la pro­duc­tion urbaine. La revue a tra­ver­sé les époques en réaf­fir­mant constam­ment l’originalité de sa ligne édi­to­riale et la qua­li­té de ses conte­nus, par le dia­logue entre cher­cheurs, opé­ra­teurs et déci­deurs, avec des regards pluriels.


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