Le paysage, ferment nécessaire des projets de territoire
Aux yeux de nombreux acteurs et observateurs, cela fait longtemps qu’en matière de planification territoriale et de projet urbain, les élus locaux et leurs partenaires publics ont lâché la proie pour l’ombre, en concentrant leurs efforts sur les analyses et en désinvestissant les champs du projet.
Cela depuis le début des années 2000, c’est-à-dire – ironie de l’histoire – à partir de l’entrée en vigueur des lois SRU (solidarité et renouvellement urbains) et UH (urbanisme et habitat), qui avaient précisément pour objectif de favoriser le développement de la dimension projet des documents d’urbanisme réglementaire.
Or, jusqu’à aujourd’hui, l’immense majorité des schémas de cohérence territoriale (SCoT), plans locaux d’urbanisme (PLU) ont présenté et présentent d’épais diagnostics – dans le respect de l’orthodoxie des textes –, et de maigres projets d’aménagement stratégiques (PAS) ou projets d’aménagement et de développement durables (PADD).
Les arguments en défense sont bien connus, les deux principaux sont la montée en puissance des exigences de contenu, notamment dans le domaine environnemental, et la généralisation d’une approche « comptable » du développement urbain (bilans de la consommation foncière et « besoins » en ouvertures à l’urbanisation). Il n’y aurait plus assez de temps (donc d’argent), d’énergie (donc de volonté), ni même d’espace réglementaire pour exprimer les visions et les projets territoriaux.
Des analyses qui sont confrontées à une autre hypothèse : l’urbanisme comme récit et comme pratique serait en manque de grammaire et de vocabulaire face au profond changement de paradigme auquel il est contraint par les défis écologique et climatique. Il peinerait à faire émerger des pratiques et des figures de la Transition avec un T majuscule, capables d’embrasser les enjeux systémiques, ceux de la grande et de la petite échelle, des relations entre l’urbain et la nature, ceux des besoins humains face aux limites des ressources, mais surtout capables de décliner à l’échelle macro ou microlocale les conditions de mise en œuvre de la bifurcation territoriale pour faire projet.
Le Grand Prix national du paysage attribué au syndicat mixte du SCoT de l’agglomération messine et à l’équipe pluridisciplinaire dirigée par la paysagiste Anne-Cécile Jacquot (Omnibus), pour la réalisation d’un plan de paysage dans le cadre d’une procédure de révision d’un schéma de cohérence territoriale, accrédite cette hypothèse en apportant une démonstration probante : le paysage est un ferment utile sinon nécessaire à la conceptualisation et à l’expression d’un projet de territoire.
À condition, pour les paysagistes, de respecter un certain nombre de fondamentaux de l’approche telle qu’enseignée dans les écoles de paysage : l’humilité – prendre le temps de (re)connaître le territoire dans ses dimensions vécues (le quotidien, les impressions, etc.) ; la rigueur – relever, analyser, interpréter, hiérarchiser, sélectionner, etc. ; enfin, le partage – représenter, échanger, restituer.
En prenant garde à toute tentation démiurgique, en ne cédant pas à celle de s’approprier l’urbanisme comme ont pu le faire avant eux (et sans succès) les géomètres ou les architectes. Mais en investissant avec conviction un domaine qui, depuis longtemps déjà, compte sur eux.
Julien Meyrignac
Photo de couverture : Vue aérienne des bords de Moselle, Metz. © Maykova Galina/Shutterstock
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