Générations

L’âge qu’on vous donne vend

 

Il y a soixante ans, un groupe de gamins de Londres – The Who – a contri­bué à ins­tal­ler le rock comme mou­ve­ment de sub­ver­sion sur le sol euro­péen, en pre­nant vio­lem­ment à par­tie les socié­tés conser­va­trices, dans une chan­son dont le pre­mier cou­plet est conclu par une sen­tence irré­vo­cable : « I hope I die before I get old (Tal­kin’ ’bout my generation)… »

Cet appel à la révolte contre des aînés, accu­sés d’être mus par de bas ins­tincts et de muse­ler la jeu­nesse et ses idéaux de jus­tice, est une des pre­mières réfé­rences popu­laires et média­tiques de saillies com­mi­na­toires de la jeu­nesse contre les géné­ra­tions qui la pré­cèdent. Et d’innombrables lui ont suc­cé­dé, dont les plus récentes et mar­quantes sont sans conteste celles de Gre­ta Thunberg.

Des prises de posi­tion qui peuvent être consi­dé­rées comme des réac­tions en légi­time défense face aux conti­nuelles cri­tiques des « adultes » contre la jeu­nesse et les jeunes, jugés – par­tout et de tout temps – irres­pon­sables, fai­néants, etc.

Si nous avons tous conscience que ce qui vient d’être énon­cé n’est que le pur pro­duit de pré­ju­gés certes répan­dus, mais peu robustes, cer­tains jour­na­listes et médias n’hésitent pas à ali­men­ter aujourd’hui le dis­sen­sus. Notam­ment sur les sujets qui le cris­tal­li­se­raient tout par­ti­cu­liè­re­ment : l’écologie et le climat.

Or, comme l’ont démon­tré de nom­breuses enquêtes, les pré­oc­cu­pa­tions envi­ron­ne­men­tales varient moins à tra­vers les âges qu’à tra­vers les classes sociales et niveaux de diplômes.

De même, quand Salo­mé Saqué affirme que « les jeunes ont rare­ment voix au cha­pitre », de nom­breux obser­va­teurs n’ont aucune peine à lui objec­ter que, de toute évi­dence, jamais, avant aujourd’hui, ils n’ont autant eu l’occasion de se faire entendre et de dif­fu­ser leurs convic­tions. Notam­ment, par la grâce du mass mar­ke­ting digi­tal, qui place la jeu­nesse au cœur de la dési­ra­bi­li­té ache­teuse (cf. les seniors en snea­kers et che­veux faus­se­ment en bataille des publicités).

Si l’intergénérationnel s’invite dans toutes les réflexions et tous les dis­cours sur l’avenir de la socié­té, des villes et des ter­ri­toires, dif­fi­cile de ne pas consta­ter à quel point les mar­chands de biens et ser­vices s’appliquent, au contraire, à stra­ti­fier les popu­la­tions et com­mu­nau­tés en tranches d’âge tou­jours plus nombreuses.

L’exemple le plus connu en la matière étant, sans aucun doute, celui de l’émergence des « pré-ado­les­cents », sous la pres­sion des indus­tries du tex­tile et des loi­sirs, qui a per­mis de consi­dé­rer que l’on devient un consom­ma­teur (de mode, de télé­pho­nie, etc.) à par­tir de 9 ou 10 ans.

Et si la notion de géné­ra­tion se révèle aus­si per­sis­tante, alors même qu’au quo­ti­dien, dans l’espace public, les équi­pe­ments ou autres, les fron­tières entre les âges n’ont jamais été aus­si ténues et poreuses, c’est sans doute parce que der­rière « inter­gé­né­ra­tion­nel » se cache « soli­da­ri­té » : quand une col­lec­ti­vi­té met en œuvre une poli­tique ou un pro­jet des­ti­né à une caté­go­rie d’âge, c’est en réa­li­té, presque tou­jours, pour les popu­la­tions les plus fra­giles qui la com­posent. Il en est ain­si des poli­tiques de la jeu­nesse ou du grand âge.

Ce qui pose un double pro­blème : l’intergénérationnel n’est jamais une poli­tique adres­sée à toutes les géné­ra­tions (pour preuve, l’invisibilité des actifs de 35 à 55 ans), et notre pays reste en attente d’une vraie grande poli­tique de solidarité.

Julien Mey­ri­gnac 

 

Pho­to de cou­ver­ture : Le vil­lage du Bois Bou­chaud, à Nantes, ensemble médi­co-social inter­gé­né­ra­tion­nel de la Croix-Rouge. © Tho­mas Louapre/Divergence

 

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