50 ans de projets urbains
Au cours des cinquante dernières années, la fabrique urbaine a connu d’importantes et successives mutations. Mais l’urbanisme de projet a‑t-il pour autant rompu avec un certain héritage ? Entretiens sans langue de bois avec Nicolas Michelin et Djamel Klouche.
L’urbanisme, en général, et l’urbanisme de conception, en particulier, sont des domaines d’activité et des pratiques professionnelles hautement influencés par les courants et débats économiques, sociétaux et politiques.
La production urbaine des Trente Glorieuses en est la parfaite illustration : le modernisme a puissamment incarné le gigantesque effort de reconstruction après-guerre, le développement des grands ensembles pour résoudre (déjà) la crise du logement, et la politique des villes nouvelles pour éviter la concentration métropolitaine. Le courant moderne a été doublement porté : par le fonctionnalisme – au service des mobilités (et de l’industrie) automobiles –, qui irrigue une planification urbaine tout en zonages, et par l’industrialisation de l’économie de la construction. Entre la fin des années 1970 et les années 2000, la révolution libérale et financière accouche de l’urbanisme post-moderne, officiellement en réaction au modernisme, en réalité pour répondre aux exigences marketing des grands groupes qui ont pris le relais de la force publique dans la fabrique de la ville. Sans changements fondamentaux donc, car, à cette époque, celle de l’engagement des derniers grands projets urbains en France, aucune opération n’a renoncé ni au fonctionnalisme, ni aux grands périmètres d’intervention, qui sont ceux des grands équilibres économiques – entendre : des grands profits. Seule l’architecture a changé, s’éloignant du vocabulaire de barres et de tours pour céder la place au néoclassicisme d’un Bofill ou d’un Krier, aux trames de l’îlot ouvert de Portzamparc, ou aux objets de OMA ou MVRDV. Le début des années 2000 a vu s’imposer l’urbanisme durable et participatif, celui des objectifs environnementaux et leurs cortèges de normes, longtemps incarné par un terme : écoquartier. Si la gouvernance politique et la pratique professionnelle ont été en apparence bouleversées – en apparence seulement, car assez immuables derrière les écrans de fumée des pseudo-consultations et du greenwashing –, les projets urbains n’ont connu que de mineures adaptations conceptuelles et formelles. Ils ont même remobilisé d’une certaine manière l’architecture moderne, mais comme solution aux enjeux écologiques et non plus sociaux. Et se sont étourdis au digital pour embrasser un temps le rêve de la smart city. Il n’est pas question ici de défendre l’idée qu’en matière de conception urbaine, au fond, rien ne change, car en un demi-siècle (de 1974 à aujourd’hui) beaucoup de choses ont changé. À commencer par le paradigme, qui est passé de « transformer la société » à « sauver la planète ». Les problématiques et conceptions, l’écriture urbaine ont évolué. Certaines idées considérées comme inacceptables ont été recyclées, certains partis pris fonctionnels et esthétiques sont tombés en désuétude, certaines préoccupations et options (techniques, procédés, produits) sont devenues prépondérantes.
Mais il nous a semblé utile de revenir sur ces évolutions avec deux figures de la profession, à l’aune de leurs expériences respectives, pour partager leurs analyses et leurs convictions, mais aussi ouvrir des voies vers le futur urbain.
« L’urbanisme que je préfère, c’est celui qui donne l’impression d’avoir toujours été là »
Nicolas Michelin, architecte urbaniste, a fondé l’agence ANMA en 2001, avec Michel Delplace et Cyril Trétout. Il pilote aujourd’hui Studio MAE, un atelier de recherche écologique et politique
« Il me semble qu’on appartient à la génération du réel, sans véritable héritage ni affiliation »
Djamel Klouche, architecte urbaniste, a cofondé, en 1996, l’agence d’architecture et d’urbanisme AUC, à Paris, avec Caroline Poulin et François Decoster. Lauréate du Grand Prix de l’urbanisme 2021, l’AUC a été sollicitée pour travailler sur le projet du Grand Paris et la rénovation du quartier Lyon Part-Dieu.
Julien Meyrignac
Lire ces entretiens dans le numéro 440 « Générations » en version papier ou en version numérique
Crédit : Nicolas Michelin, Djamel Klouche Photo : D. R.
Photo de couverture : Le village du Bois Bouchaud, à Nantes, ensemble médico-social intergénérationnel de la Croix-Rouge. © Thomas Louapre / Divergence