MJC, itinéraire d’un lieu ouvert à tous

Développées dans les années 1960 dans un esprit d’ouverture et d’émancipation, les maisons des jeunes et de la culture (MJC) n’ont pas tout à fait oublié leur âge d’or. Affaiblies par des années de désinvestissements, elles sont aujourd’hui à la croisée des chemins alors que d’autres types de lieu ont essaimé sur le territoire comme un nouveau modèle.

 

Au bout de la cité Sou­zy, une petite impasse du 11e arron­dis­se­ment de Paris, une grande porte est main­te­nue ouverte. Dans le hall d’entrée, deux béné­voles tiennent le gui­chet de réins­crip­tion aux acti­vi­tés pour l’année à venir. Une table, des for­mu­laires et le calen­drier de la sai­son. Des ados du quar­tier racontent leurs vacances à un ani­ma­teur, ils viennent de rem­pi­ler pour une année au foot. Plus loin, dans la petite cour de cette ancienne école mater­nelle, trois membres du club de théâtre ont pris une table au soleil pour rem­plir leur bul­le­tin d’adhésion. C’est la ren­trée dans la MJC Paris-Mercœur.

Le hall d’accueil n’en est pas vrai­ment un, c’est une volée de marches. L’école n’avait pas été pen­sée pour ouvrir ses bras au pre­mier venu, mais plu­tôt comme un lieu fer­mé qui puisse ache­mi­ner des flots de bam­bins d’un endroit à un autre : les salles de classe, la cour de récré ou le réfec­toire. « C’est tem­po­raire, explique entre deux marches, Julien, adhé­rent et ani­ma­teur du club de théâtre. Nous sommes ins­tal­lés ici, le temps que l’ancien bâti­ment soit réno­vé. » En effet, à quelques pâtés de mai­sons, ledit bâti­ment était une des plus anciennes MJC de Paris. Construit en 1962, il a été détruit cette année pour être com­plè­te­ment recons­truit d’ici à 2026. L’amiante, les normes PMR (per­sonne à mobi­li­té réduite) et l’inadaptation aux besoins des cen­taines d’usagers auront eu rai­son de ce témoin d’une autre époque. Toutes les acti­vi­tés de la rue Mer­cœur ont été main­te­nues cité Sou­zy. Le défi a été d’adapter des salles de classe aux très nom­breuses acti­vi­tés que pro­pose la MJC. Julien nous fait la visite : l’espace de théâtre, la salle infor­ma­tique, puis la danse, les arts plas­tiques…, et même un dojo. Le judo est une des acti­vi­tés his­to­riques de l’association. « À part faire tom­ber quelques murs, on a tout réa­li­sé nous-mêmes, lance-t-il fiè­re­ment en mon­trant les tata­mis. Glo­ba­le­ment, ici, c’est beau­coup de récup et beau­coup d’huile de coude. Et quand on ne sait pas faire, on apprend. »

 

Accueil incon­di­tion­nel

Parce qu’elle est per­méable à ses membres et à son quar­tier, chaque MJC est unique. Ici se croisent les dif­fé­rents visages du 11e : des familles aisées du bou­le­vard Vol­taire aux familles popu­laires de la Roquette. Certes, le quar­tier a bien chan­gé depuis les années 1960, lorsqu’il était majo­ri­tai­re­ment ouvrier, mais il garde des îlots impor­tants de loge­ment social. D’après son direc­teur, Sté­phane Woegt­lin, le public adhé­rent de la MJC Mer­cœur se répar­tit de manière homo­gène sur les dix tranches du quo­tient fami­lial. « Notre objec­tif est là : ce sont des mai­sons pour tous », déclare-t-il. Car le nom est trom­peur : les MJC ne sont pas que pour les jeunes. Très tôt, ses pro­mo­teurs expriment la volon­té de
s’adresser à tous. En 1975, les MJC seront d’ailleurs rebap­ti­sées « mai­sons des jeunes et de la culture – mai­sons pour tous » pour actua­li­ser et réaf­fir­mer leur rai­son d’être.

Les efforts pour diver­si­fier les publics sont au cœur du tra­vail des« mai­sons ». Pour Patrick Che­nu, direc­teur géné­ral de MJC France, le réseau natio­nal qui regroupe toutes les asso­cia­tions MJC :  « La ques­tion de l’accueil incon­di­tion­nel est à la base de notre péda­go­gie et de nos pra­tiques. Une MJC, c’est un peu une micro-répu­blique. Si elle fait bien son bou­lot, elle est repré­sen­ta­tive de son quar­tier et de sa ville d’implantation. Elle met autour de la table l’ensemble des sen­si­bi­li­tés, en termes de classe sociale, de sen­si­bi­li­tés poli­tiques et de reli­gions pour la fabri­ca­tion d’un pro­jet com­mun. » Les MJC se déve­loppent sur­tout à par­tir de l’été 1959, à la suite d’une intense cou­ver­ture média­tique des « blou­sons noirs ». Pous­sés par le secré­taire d’État à la Jeu­nesse et au Sport, Mau­rice Her­zog, qui béné­fi­cie de la confiance du géné­ral de Gaulle, ces centres socio­cul­tu­rels de proxi­mi­té ont d’abord pour mis­sion d’occuper la « jeu­nesse inor­ga­ni­sée ». C’est la pre­mière poli­tique publique fran­çaise à des­ti­na­tion de cette tranche d’âge. En effet, des mil­lions de baby-boo­mers sont en train de rejoindre l’adolescence dans une France qui est encore en pleine recons­truc­tion. Dans les grands ensembles et les villes moyennes, on s’ennuie ferme. La lutte contre la délin­quance juvé­nile va coïn­ci­der avec une poli­tique d’aménagement du ter­ri­toire et une poli­tique de démo­cra­ti­sa­tion de la culture.

« La MJC s’est retrou­vée, de fait, en posi­tion de prin­ci­pal équi­pe­ment cultu­rel de ces villes, tout sim­ple­ment parce qu’il n’y avait pas d’autre chose, explique l’historien Laurent Besse, auteur du livre Les MJC. De l’été des blou­sons noirs à l’été des Min­guettes, 1959–1981 (Presses uni­ver­si­taires de Rennes, 2008). Ça se voit de manière très pré­cise au moment des élec­tions muni­ci­pales de 1965 : les listes font cam­pagne en met­tant en avant la construc­tion de MJC centres cultu­rels. C’est iden­ti­fié assez tôt comme une manière de se doter d’un équi­pe­ment cultu­rel grâce aux cré­dits du plan d’équipement. » Soixante ans plus tard, l’offre géné­ra­liste des MJC est direc­te­ment concur­ren­cée par le déve­lop­pe­ment d’équipements spé­cia­li­sés (ciné­mas, théâtres, gymnases…).

 

David Attié

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Pho­to de cou­ver­ture : Le vil­lage du Bois Bou­chaud, à Nantes, ensemble médi­co-social inter­gé­né­ra­tion­nel de la Croix-Rouge. © Tho­mas Louapre / Divergence

Pho­to : Vue de drone du tiers-lieu La Cité Fer­tile, à Pan­tin. Cré­dit : Adrien Roux

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