Alors que le marché des animaux de compagnie ne cesse de croître en France, de plus en plus de voix s’élèvent pour en dénoncer l’empreinte environnementale. Mais impossible d’aborder ce sujet du seul point de vue des besoins et nuisances, sans le mettre en balance avec les bénéfices sociaux et affectifs de la présence des animaux auprès des humains.
Quatre-vingts millions d’animaux de compagnie pour plus de 68millions d’habitants. La France est un pays où l’animal est présent dans les foyers de manière généralisée (près d’un sur deux en possède au moins un), sans distinction de territoire ni de classe sociale. En détail, ce chiffre comprend notamment 7,6 millions de chiens, 15 millions de chats, et 33 millions de poissons d’aquarium.
L’Hexagone occupe ainsi la première marche du podium européen en nombre de félins et de canidés – sachant que les chiffres continuent de croître, tout comme le nombre d’espèces, qui continuent à se diversifier, car, en effet, aux yeux de la loi, toute espèce peut devenir un jour animal de compagnie ; il s’agit simplement d’« un animal détenu ou destiné à être détenu par l’homme pour son agrément. Ce n’est pas nécessairement un animal domestique, ni même nécessairement un animal apprivoisé ». Ces chiffres impressionnants, et ce rapport d’échelle édifiant, sont pourtant sous‑évalués dans les consciences; peu de nos concitoyens semblent prendre la mesure du poids de ces populations animales, tant le rapport à l’animal est avant tout une affaire individuelle, privée, intime.
Les industriels, eux, ont parfaitement les chiffres en tête ; ils font état d’un business florissant autour de ces animaux et de leurs propriétaires. Dans les supermarchés, les rayons qui leur sont dédiés rivalisent en termes de taille et de variété avec les autres biens de consommation. Ce marché, qui pèse 3,5 milliards d’euros et connaît une croissance à deux chiffres (+ 18,8 % en 2023, selon NielsenlQ), se calque sur ceux à destination des humains autour de la sphère numérique, l’image de marque, l’innovation, l’économie servicielle et évènementielle…
Certains animaux de fiction font partie intégrante de la culture populaire (Snoopy, Pluto, Garfield) jusqu’à devenir des objets de merchandising mondialisé, et nombre de marques en inventent même pour leur identité visuelle et leurs spots de publicité (Ramsès, le chat de Feu Vert ; le basset de Télé Z). À travers eux, les marques personnifient un membre à part entière du foyer, avec qui l’on entretient un rapport de proximité et de confiance.
Posséder un animal de compagnie n’est pas neutre, les bénéfices psychosociaux (bien‑être, apaisement, présence) qu’ils procurent à leurs propriétaires sont avérés, et les marques l’ont bien compris. Cependant, aucun schéma unique ne transparaît : il y a autant de rapport à l’animal que d’individus. Jean-Charles Duquesne, vétérinaire et industriel (lire interview p. 33), dresse cependant quelques constats généraux : « Un chien est un animal social, qui fait partie de la famille, qui vous considère comme sa meute. C’est un compagnon qui va être à côté de vous, qui va s’étonner des mêmes choses et être d’une écoute attentive : une vraie éponge émotionnelle. De plus, aujourd’hui, avec les caractères attribués aux races, vous savez exactement si vous aurez un chien clown, joyeux, sportif, plutôt plan-plan… Les chats sont un peu différents, plus solitaires. Leur présence est peut‑être grossière, mais elle est subtile et chaleureuse. »
L’apaisement face au rythme urbain
Tous nos interlocuteurs sont unanimes : être en interaction avec son animal de compagnie procure une forme de bien‑être et le sentiment que « tout le monde peut aimer quelqu’un et partager quelque chose avec lui ». Il répond à un besoin spécifique à chaque étape de la vie, avec un accent fort donné au sens des responsabilités et du partage. Notamment chez l’enfant, à qui l’on peut attribuer des tâches et des responsabilités au quotidien – apporter le foin, remplir le biberon du lapin, nourrir les poissons… C’est aussi une solution d’apaisement face à des rythmes urbains vécus comme toujours plus sollicitants.
Elias Sougrati