En 2019, la transhumance du Grand Paris de juillet a mené trente brebis à travers cinquante communes pendant onze jours. Cette expérience est venue rappeler quelques principes ancestraux de l’élevage ovin, tout en mettant en lumière les vertus insoupçonnées de la botanique sauvage. Vianney Delourme, du média Enlarge Your Paris, y était et revient sur cette expérience très riche d’enseignements.
Un mouton, pour avancer, ça doit manger non-stop. S’il ne broute pas, il s’arrête. C’est en organisant la transhumance du Grand Paris en juillet 2019, que nous avons (re)découvert ce principe vieux comme le monde, en tout cas vieux comme la domestication des animaux. Et c’est ce qui nous a amenés à nous intéresser à la botanique sauvage.
Une transhumance en banlieue parisienne ? Le principe était peut‑être un peu osé, et a été d’ailleurs vertement critiqué par certains (« coup de com’ », « maltraitance animale »). Nous sommes un média « nature et culture » et nous voulions montrer que le sujet de l’agriculture urbaine n’était pas qu’un phénomène de mode et qu’il pouvait y avoir une agriculture « en vrai » en milieu urbain, avec des paysans et des animaux, pas uniquement des bacs à plantes aromatiques sur les rooftops de projets immobiliers au marketing bien ficelé.
Avec les bergers de l’association Clinamen, dont le troupeau de 90 moutons pâture dans le gigantesque parc Georges-Valbon (410 ha) à La Courneuve (Seine-Saint-Denis), nous avons ainsi imaginé une boucle de onze jours avec 30 brebis, à travers 50 communes de la Métropole du Grand Paris. On est loin de l’image d’Épinal des milliers de moutons dévalant les pentes d’un massif des Alpes ou des Pyrénées, avec des dizaines de bergers, des chiens énormes…
L’affaire n’en était pas moins d’une complexité administrative effarante, et il nous a fallu obtenir près de cent autorisations de toutes sortes (transit des communes, traversées des routes départementales, validation par les services vétérinaires des préfectures franciliennes, par les conseils départementaux…). Une véritable performance bureaucratique ! Surtout, et c’est là que l’on en vient à la botanique, l’autorité publique nous a imposé – avec raison – de garantir aux moutons un accès permanent à de l’alimentation et à de l’eau. La règle est qu’un véhicule chargé de ballots de paille suive en permanence le troupeau. Impensable ! Pour pouvoir marcher sans être collés par un camion, il nous fallait démontrer que les moutons feraient leur affaire des végétaux du Grand Paris, que ceux-ci étaient abondants, de bonne qualité, diversifiés. Et que nous n’allions pas ravager les parterres fleuris des communes…
Vivre en glaneurs
Aidés de botanistes de l’École nationale supérieure de paysage de Versailles, nous avons réalisé en amont de la transhumance un état des lieux des « mauvaises herbes » qui poussent dans tous les espaces intercalaires des communes de banlieue que nous allions traverser : friches, talus de route et de voie ferrée, bords de parking, lisières de forêt, etc. L’idée était que les moutons y trouveraient leur garde-manger. Nous avons ainsi constitué un herbier sauvage de cet ensemble de lieux intermédiaires où les graines prennent racine dès qu’on leur fiche la paix : telle plante est vermifuge, telle autre aide à la digestion, celle-ci est un complément alimentaire estival, celle-là, poussant plutôt dans les zones polluées, est à éviter… Nous voulions que les moutons puissent vivre en glaneurs, s’alimentant des nombreuses et savoureuses plantes qui poussent un peu partout, selon le plan de la nature ou selon la volonté de l’homme. Et nous avions ainsi le moyen de convaincre les autorités sanitaires que les bêtes seraient bien traitées.
Vianney Delourme
Sur le parcours de la transhumance du Grand Paris organisée par Enlarge your Paris.
© Jerômine Derigny