À l’ouest de l’étang de Berre, un horizon nouveau

À l’École nationale supérieure d’architecture (Ensa) de Marseille, les étudiants en master plongent dès la rentrée dans le grand bain. Pour sa 16e édition, le workshop prospectif met le « Cap à l’Ouest », pour imaginer le futur de l’axe Port-Saint-Louis-du-Rhône – Saint-Chamas, épicentre industrialo-portuaire de la région.

 

L’histoire indus­trielle de la cité pho­céenne est étroi­te­ment liée à sa métro­po­li­sa­tion, dont on note les débuts en 1701 lorsque Vau­ban choi­sit d’étendre le port jusqu’à l’étang de Berre. Ce double pro­ces­sus a connu trois cycles majeurs au XXe siècle, dont le point culmi­nant est le pro­jet Euro­mé­di­ter­ra­née, dans les années 1990, auquel suc­cè­de­ra la fusion en métro­pole de six inter­com­mu­na­li­tés, en 2016. Por­tée par un déve­lop­pe­ment éco­no­mique fort, la seule zone de Fos-sur-Mer accueille­ra 15 000 nou­veaux emplois dans la décen­nie à venir, et autant de loge­ments et des infra­struc­tures publiques néces­saires à l’accueil des nou­velles populations.

La Métro­pole Aix-Mar­seille-Pro­vence doit ain­si répondre au défi de l’intensification urbaine, la grande pro­blé­ma­tique ter­ri­to­riale du XXIe siècle, jon­glant avec la construc­tion de 11 000 loge­ments par an (1) jusqu’en 2028, tout en veillant à la pro­tec­tion de son envi­ron­ne­ment et à la décar­bo­na­tion des mobi­li­tés. Elle s’appuie sur une direc­tion de la pros­pec­tive et conseil de déve­lop­pe­ment, diri­gée par Vincent Fou­chier, qui fait appel, pour la deuxième année, à 140 étu­diants de l’École natio­nale supé­rieure d’architecture (Ensa) de Mar­seille et à des enca­drants du monde entier (Japon, Bré­sil, USA, Bel­gique…), autour d’un work­shop consa­cré aux tran­sects, ces « ter­ri­toires situés entre des pola­ri­tés métro­po­li­taines, villes signi­fi­ca­tives des entre-deux délais­sés, amé­na­gés au coup par coup, pen­sés dans une échelle qui les dépasse, celle du bas­sin de vie », détaille Julien Mon­fort, coor­di­na­teur du work­shop et maître de confé­rences à l’Ensa de Marseille.

D’une super­fi­cie de 40 900 hec­tares, le ter­ri­toire d’étude s’étend sur huit com­munes de l’axe Port-Saint-Louis-du-Rhône et Saint-Cha­mas, situées sur le ter­ri­toire d’Istres Ouest Pro­vence et Pays de Mar­tigues. Notons que l’industrialisation mas­sive a for­te­ment impac­té l’environnement de l’étang de Berre, qui pâtit des rejets d’eau douce (trois fois son volume par an) de la cen­trale hydro-élec­trique de Saint-Cha­mas, per­tur­bant le milieu, la sali­ni­té et la bio­di­ver­si­té locale. Quatre enjeux ont été iden­ti­fiés pour gui­der les étu­diants : inten­si­fier le « déjà-là » indus­triel ; déve­lop­per le loge­ment pour accom­pa­gner cette crois­sance ; amé­lio­rer l’accessibilité aux pola­ri­tés métro­po­li­taines ; enfin, ren­for­cer les conti­nui­tés pay­sa­gères et éco­lo­giques. Par leur dimen­sion auda­cieuse et dis­rup­tive, les douze pro­jets ouvrent de nou­velles voies grâce à des idées bous­cu­lant les para­digmes éta­blis. Même si leur réa­lisme est par­fois dis­cu­table, ils obligent à réflé­chir différemment.

Com­po­ser avec le milieu natu­rel et urbain : pré­ser­ver et prévenir

La pro­tec­tion de l’étang de Berre est un point cen­tral des douze scé­na­rios pro­po­sés. L’équipe d’Alessandro Gess envi­sage de com­plé­ter l’aménagement de la Datar, sus­pen­du en 1973, en créant une digue pour évi­ter la conta­mi­na­tion par l’eau douce de la cen­trale EDF de Saint-Cha­mas. Cette approche per­met­trait de revi­ta­li­ser l’étang en redé­fi­nis­sant ses contours et sup­pri­mant les ins­tal­la­tions éco­lo­gi­que­ment nocives pour créer un équi­libre natu­rel et urbain sur deux rives. « Berre devien­drait ain­si un modèle éco­lo­gique et indus­triel. » L’équipe lau­réate, enca­drée par Jean Leclercq, pré­voit d’étendre les zones indus­trielles le long d’un canal Fos-Arles, pour lais­ser aux abords de l’étang des espaces agri­coles et natu­rels, tout en déve­lop­pant le tou­risme balnéaire.

Cer­tains pro­jets se sont pen­chés sur le dan­ger que com­porte l’élévation du niveau de la mer. Les étu­diants de Tom Daniel sug­gèrent, par exemple, de connec­ter les bas­sins pour for­mer des pol­ders (2) résis­tant à la mon­tée des eaux. De son côté, l’équipe de Tae-Hoon Yoon, Gor­da­na Pav­lo­vic et Fabien Figue­ras pro­pose la créa­tion de pôles éco­no­miques par sec­teur (éner­gie, for­ma­tion, agri­cul­ture, habi­tat), adap­tés à l’élévation du niveau marin, « arti­cu­lés aux villes limi­trophes », afin de tra­vailler sur l’existant. Qui dit inten­si­fi­ca­tion, induit, en effet, la recherche de dents creuses et de friches urbaines. L’équipe gui­dée par Alexandre Housse, Syl­vain Julien-Taga­wa et Louis Mat­tern a réa­li­sé un « tra­vail d’acupuncture » pour que la « pré­exis­tence » devienne sup­port de l’intensification. En revi­ta­li­sant des quar­tiers iso­lés au riche patri­moine, ils cherchent à créer de nou­veaux liens sociaux. « Cette constel­la­tion de délais­sés, sou­vent indus­triels, consti­tue, pour nous, des res­sources reliées à des fon­ciers capables que l’on a appris à connaître, afin de pou­voir les exploi­ter en conti­nui­té de leur pré­cé­dente fonc­tion d’usage. » Leur tra­vail a per­mis d’identifier des zones poten­tielles pour de nou­veaux centres de rayon­ne­ment à proxi­mi­té des réseaux et axes routiers.

Mai­der Darricau

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Pho­to de cou­ver­ture : Les ruelles étroites de Grasse (Alpes-Mari­times). Cré­dit : Lah­cène Abib/Divergence

Illus­tra­tion : « Héri­tages silen­cieux » : Ana Baran­cic, Chia­ra Barel­li, Ami­né Bingöl, Gior­gia Chi­char­ro, Marie Ramet, Andrea Ried­weg, Andreane Sebaa­ly, enca­drés par Alexandre Housse, Louis Mat­tern et Syl­vain Julien-Tagawa.

1/ https://ampmetropole.fr/missions/habitat-logement/ poli­tiques-de-l-habi­tat/­pro­gramme-local-habi­tat/

2/ « Espace clos, conquis sur les eaux au moyen d’endiguements, puis assé­ché par le drai­nage à des fins tra­di­tion­nel­le­ment agri­coles », dans « Du “pol­der” à la “dépol­dé­ri­sa­tion” ? », Lydie Goeld­ner-Gia­nel­la et Fer­nand Ver­ger, L’Espace géo­gra­phique, 38(4), 2009, p. 376–377.

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