Alimentation, les documents d’urbanisme mettent la main à la PAT

L’enjeu de l’autonomie alimentaire des territoires face aux crises constitue, depuis une dizaine d’années, un champ d’action pour les acteurs publics locaux, via les projets alimentaires territoriaux (PAT).

Qu’apportent-ils aux documents d’urbanisme déjà existants ?

Après les grandes transformations agricoles du XXe siècle – mécanisation, intrants, spécialisation, remembrement – qui avaient semblé régler la question alimentaire en Europe, la France se réveille au seuil du XXIe siècle avec la gueule de bois.

La précarité alimentaire est loin d’avoir disparu, une partie des agriculteurs n’arrivent pas à vivre décemment de leur travail malgré les subsides de la politique agricole commune (PAC), les problématiques de santé se multiplient en lien avec la qualité des aliments ou la sécurité des intrants, et les conséquences environnementales du modèle de production agricole intensif se font sentir de plus en plus durement (lessivage des sols, perte de biodiversité, etc.).

Nationaux, ces enjeux sont aussi fortement territorialisés. Pourtant, les collectivités disposent de leviers d’action limités. Ce constat a prévalu à la constitution des projets alimentaires territoriaux (PAT), créés en 2014 par la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

Portés par des collectivités territoriales, à toutes les échelles, les PAT ont pour objectif de rapprocher les acteurs d’un territoire – producteurs, transformateurs, distributeurs et consommateurs – autour d’une feuille de route à moyen-long terme en faveur de la résilience alimentaire des territoires et de la reterritorialisation de l’alimentation.

 

Un lointain cousin du SCoT et du PLU ?

Fondés sur un état des lieux de la production agricole et alimentaire du territoire et des besoins socio-économiques et environnementaux du bassin de vie (phase 1), les objectifs des PAT doivent se traduire en actions opérationnelles pour répondre aux problématiques locales (phase 2) : lutte contre le gaspillage, installation agricole, approvisionnement de la restauration collective, préservation de la ressource en eau…

Si les PAT sont portés par les collectivités et participent à la construction des stratégies territoriales, leur fonctionnement est très différent des documents d’urbanisme, et notamment des SCoT (schéma de cohérence territoriale) et des PLU (plans locaux d’urbanisme).

Non contraignants, multipartenariaux et centrés sur l’enjeu alimentaire, les PAT constituent une démarche alternative pour construire une vision à moyen terme. Comment ces documents connexes à ceux de l’urbanisme s’inscrivent-ils dans la planification des territoires ? Font-ils évoluer ces derniers, historiquement centrés sur les zones urbaines ?

 

L’alimentation à l’agenda des territoires

Angle mort des documents d’urbanisme jusqu’au début des années 2000, les PAT mettent le sujet alimentaire – et pas seulement agricole – à l’agenda, avec une logique « de la ferme à l’assiette ».

Ce cadrage rompt avec les approches en silos qui pré- valent parfois dans les SCoT et PLU, en articulant l’économique, l’environnemental, le social, la santé…

À Thonon-les-Bains, le PAT de l’agglomération revendique ce processus nécessairement transversal, partant du constat « qu’une alimentation durable repose sur des actions socialement équitables, écologiquement soutenables et économiquement efficaces : l’agriculture et l’alimentation deviennent, pour le territoire, un axe intégrateur et structurant de mise en cohérence des politiques sectorielles (1) ».

Dans cette agglomération frontalière de près de 100 000 habitants, le foncier est sous pression du fait de la proximité avec la Suisse. Aussi, dans le cadre de « la concertation grand public pour le PCAET [plan climat-air-énergie territorial, ndlr], des interrogations sur l’avenir de l’agriculture du territoire et au-delà concernant l’alimentation durable ont émergé », indique Roxane Benedetti, directrice du développement Résilience des territoires chez Even Conseil, qui a accompagné Thonon Agglomération dans la construction de son PAT.

L’angle de l’alimentation constitue un outil pour révéler des points rarement perceptibles dans les documents d’urbanisme : flux et résilience alimentaires, évolution du foncier agricole… Aujourd’hui, les enjeux du PAT constituent une donnée entrante pour l’actualisation en cours des documents

 

Un outil pour renouer le dialogue ville-campagne ?

À l’île d’Oléron, 22 000 habitants en hiver pour près de 200 000 résidents en été, l’insularité a contribué à une prise de conscience précoce des enjeux de disponibilité des terres agricoles et d’autonomie alimentaire, avec la mise en place d’une première stratégie agricole dès 2011–2012.

Ce document a été labellisé PAT en 2021, et joue depuis le rôle de « facilitateur entre les documents d’urbanisme et les intérêts agricoles, écologiques et résidentiels dans l’aménagement du territoire », explique Jérôme Pohu, responsable du service Agriculture durable et Alimentation au sein de la communauté de communes de l’île d’Oléron.

En particulier, le PAT de l’île contribue à « identifier les éventuels conflits d’usage et à sensibiliser les élus aux enjeux rencontrés par les acteurs agricoles, pour qu’ils soient anticipés dans les documents d’urbanisme », souligne-t-il.

La division urbain/rural, très présente dans les stratégies territoriales, est requestionnée par les PAT, en analysant les flux et interdépendances entre ces territoires – voire en « raccrochant » une ville à son arrière-pays, quand ils s’inscrivent l’un et l’autre dans des flux globalisés.

Chloé Vergues

1/ PAT Thonon Agglomération.
2/ Proposition de loi relative au renforcement de la planification alimentaire territoriale et à la résilience des systèmes alimentaires territoriaux.

 

Lire la suite de cet article dans le numéro 442 « Planifier versus réglementer » en version papier ou en version numérique

Photos : L’île d’Oléron, crédit : Jean-Christophe Benoist/CC-BY-SA‑3.0 ; carte, crédit : Thonon agglomération/Even Conseil ; panneau portant un PLU imaginaire dans la nature, crédit : Francesco Scatena

 

 

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