Ces infrastructures où se réfugie la biodiversité
Les infrastructures linéaires, grâce à leurs vastes étendues et zones de sécurité, offrent des espaces privilégiés pour le développement de la faune et la flore. Abritant des espèces rares, elles suscitent un intérêt croissant et peuvent jouer un rôle dans la création de corridors écologiques au sein des territoires.
Entre les pistes d’atterrissage et le tarmac de l’aéroport d’Orly, où les balises de sécurité s’adonnent à une chorégraphie lumineuse, se cache un trésor inattendu : la dernière colonie de moineaux friquets de toute la région Ile de-France. Un havre inattendu, souvent méconnu – les aéroports étant plutôt associés à la pollution atmosphérique. Pourtant, ces infrastructures de transport massives se révèlent des réservoirs insoupçonnés de biodiversité. Une réalité mise en lumière il y a seulement une dizaine d’années.
À l’ombre des Airbus, un écosystème foisonnant
« Les aéroports sont une source extraordinaire de biodiversité, car les terrains existent parfois depuis des dizaines d’années », affirme Hélène Abraham, directrice de l’association Aéro Biodiversité, créée en 2015 lors de la grand messe du secteur, le Salon international de l’aéronautique et de l’espace Paris-Le Bourget. Sur l’ensemble du territoire français, ces espaces verts représentent 460 km², composés principalement de prairies semi-naturelles, voire naturelles, offrant un cadre idéal pour la faune et la flore locales (1). « Ce sont souvent les dernières zones naturelles qui subsistent dans leur environnement, participant ainsi au maintien des corridors écologiques, et des trames vertes et bleues », ajoute-t-elle. Des espèces rares se nichent dans ces lieux insoupçonnés de biodiversité. À l’aéroport de Toussus-le-Noble, dans les Yvelines, une plante extrêmement rare, l’étoile d’eau (Damasonium alisma), a refait surface avec plusieurs dizaines d’entre elles recensées l’an passé, après six ans d’absence. L’aéroport de Rennes abrite, quant à lui, d’immenses parterres d’orchidées visibles depuis le ciel, tandis que celui de Saint-Tropez est traversé par un cours d’eau. En Corse, à la pointe des pistes, on trouve l’hélix de Corse, un escargot endémique bénéficiant d’une protection absolue. L’association Aéro Biodiversité, composée d’écologues et de scientifiques, réalise ainsi des inventaires exhaustifs des espèces présentes sur les sites aéroportuaires partenaires.
Pour sa directrice, il ne s’agit pas de concurrencer les bureaux d’études, mais plutôt d’encourager les bonnes pratiques pour protéger cette biodiversité, tout en respectant les impératifs de sécurité aéronautique. Ces investigations permettent de mettre en lumière certaines spécificités influençant directement la planification et l’adaptation des territoires. « Faire savoir, par exemple, qu’il existe des terrains riches en pollinisateurs sauvages, qu’il faut laisser tranquilles sans ajouter de ruches, est une analyse précise que nous apportons aux territoires », souligne Hélène Abraham.
Valoriser un patrimoine naturel inconnu
Depuis quelques années, l’association propose une labélisation certifiée par Bureau Veritas, société française leader dans le domaine de l’inspection et de la certification (TIC), pour encourager la préservation du patrimoine naturel par les aéroports. Cette démarche a également un intérêt communicationnel : certains aéroports organisent des expositions pour présenter cette richesse méconnue aux voyageurs de passage. Les aérodromes proposent même des visites pour sensibiliser le public. Toutefois, la directrice d’Aero Biodiversité se montre pragmatique : pas question d’empêcher le développement des aéroports, un secteur fragile économiquement. « Nous ne nous opposerons pas à la création d’un hangar ou d’une centrale photovoltaïque. Le développement des infrastructures reste parfois nécessaire. »
Photo : Le réservoir de biodiversité à l’aéroport de Calvi, en Corse. Crédit : Aéro Biodiversité
En parallèle, la réglementation environnementale s’est durcie. Depuis le 1 er juillet 2022, un arrêté élargissant la loi Labbé interdit l’usage des produits phytosanitaires sur les espaces verts des infrastructures aéroportuaires. Elle vise à préserver à la fois la biodiversité et la santé des agents. Hélène Abraham est convaincue de l’irréversibilité de cette tendance. « Il est désormais acté que ces infrastructures sont une richesse participant à la continuité écologique. » Ce sont d’ailleurs les cultures alentour qui ont un impact négatif en polluant ces terrains vierges. Bien que l’aéroport soit lui-même un mode de locomotion polluant, reconnaît-elle : « Le vent apporte des choses que l’on ne voudrait pas voir. » En 2025, Aéro Biodiversité prévoit d’intervenir sur 80 terrains aéroportuaires. Dix ans après sa création, le bilan est déjà particulièrement concluant.
Entre les lignes à haute tension, la biodiversité grandit à bas bruit
Jean-François Lesigne a passé la majeure partie de sa carrière chez RTE (Réseau de transport d’électricité), filiale d’EDF. En 2005, lorsqu’il est nommé attaché environnement du groupe, il découvre un intérêt croissant pour la biodiversité autour des lignes électrifiées et les terrains qui les accueillent. Dès 2008, RTE s’associe au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) pour inventorier la biodiversité sous 300 kilomètres de lignes. Jean- François Lesigne, aujourd’hui retraité, élu local dans les Yvelines et coordinateur du Club infrastructures linéaires et biodiversité (Cilb), précise : « Ce sont des zones de milieux ouverts, comme des prairies, qui n’étaient pas cultivés, ni boisés ou urbanisés. En Ile-de-France, il n’y avait plus beaucoup ce type de milieu. On a retrouvé dans ces zones toute une flore qui avait un peu disparu. » Le Muséum insiste alors sur l’importance de protéger ces terrains devenus précieux en raison de leur rareté. « Cela a renforcé l’intuition que nos réseaux électriques pouvaient servir de corridors écologiques. »
Maider Darricau
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Couverture : Jean-Louis Chapuis, studio Warmgrey
Notes :
1/ Selon les chiffres de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), dans son Guide de la transition zéro-phyto en contexte aéroportuaire : www.aeroport.fr/uploads/images/DDurable Fichiers%20DD/GUIDE%20ZERO%20PHYTO.pdf