Une piscine pour créer des îlots de fraîcheur urbains

Dans une logique d’urbanisme circulaire voulue par l’Eurométropole de Strasbourg pour ses équipements, l’agence Urbanwater a imaginé un système de réutilisation des eaux d’un centre nautique permettant d’activer des îlots de fraîcheur en période estivale dans un quartier en renouvellement urbain.

 

Depuis deux ans, l’avenir des équipements est l’une des préoccupations de l’Eurométropole de Strasbourg. Sa direction de l’architecture et du patrimoine a constitué à ce titre un groupe de travail chargé de les « concevoir autrement » pour éviter désormais la logique « un besoin égale un équipement », ainsi que l’explique Yannick Roth, chef de projet renouvellement urbain et coordination opérationnelle pour la Ville et l’Eurométropole. Cette volonté a notamment conduit à une expérimentation sur le centre nautique de Schiltigheim, au nord de Strasbourg, en bordure de l’autoroute A4. « Et ce, pour dire qu’une piscine, certes, c’est fait pour la natation, mais pas que. Aujourd’hui, on se réinterroge sur les usages de nos équipements, dans une logique d’urbanisme circulaire. »

Lauréate de deux missions d’AMO (assistance à maîtrise d’ouvrage) à Strasbourg autour de l’eau, intitulée « Gestion des eaux pluviales » pour l’une, et « Eau, adaptation climatique et renouvellement urbain » pour l’autre, l’agence Urbanwater, spécialisée en hydrologie, mène une expérimentation sur le centre nautique, particulièrement ingénieuse et novatrice. « À partir de la contrainte de gestion des eaux pluviales, la mission consistait à imaginer des dispositifs d’îlots de fraîcheur dans les quartiers NPNRU [Nouveau programme national de renouvellement urbain, ndlr], détaille Christian Piel, urbaniste hydrologue et directeur de l’agence. Et il fallait que ce soit réalisé au service de la population et en lien avec elle. On part d’une contrainte et d’une obligation – la gestion du risque – pour en faire une ressource. » Dans le quartier des Écrivains, où se situe le centre nautique en question, l’Atelier Marion Talagrand a prévu de réaliser un grand mail piéton végétalisé où l’idée de la gestion des eaux de pluie était déjà envisagée pour en faire un espace de fraîcheur. « Sauf qu’en plein été, on ne peut pas compter sur les eaux pluviales pour activer la végétation et la fonction évapo-transpirante qui participe du rafraîchissement, précise Christian Piel. Nous avons donc cherché à savoir si d’autres eaux étaient présentes dans le secteur. Et en l’occurrence, il y avait celles de la piscine. » La réglementation oblige à renouveler le contenu du bassin à raison de 100 litres par jour et par usager, soit un total de 143 m³ (143 000 litres), ce qui coûte cher à l’équipement – qui doit payer une redevance au gestionnaire d’assainissement. « Il y avait bien eu une tentative, avec l’École nationale du génie de l’eau et de l’environnement de Strasbourg, de transporter les eaux d’une piscine dans des camions pour l’arrosage des plantes, se souvient Yannick Roth. Mais le système n’était absolument pas rentable. » Dommage, car cette eau présente l’énorme avantage d’être sanctuarisée : « Même en cas de grande sécheresse, quand il est interdit d’arroser son jardin ou de laver sa voiture, les piscines publiques restent ouvertes, et l’eau disponible, rappelle Christian Piel. C’est sa grande qualité : elle est là au moment où on en a le plus besoin. »

Photo : Schéma du système de réutilisation des eaux du centre nautique de Schiltigheim. © Urbanwater

La nappe comme infrastructure de stockage

Alors comment réemployer cette ressource, disponible en plein été, mais difficile à mobiliser pour le rafraîchissement urbain? Pour cela, Urbanwater a imaginé un système : « L’eau renouvelée quotidiennement transite en circuit fermé, et il fallait d’abord réussir à s’y connecter », explique Louise Deshayes, ingénieure architecte en hydrologie urbaine au sein de l’agence. « Il fallait donc créer un réseau nouveau pour disperser cette eau dans le parc voisin, poursuit Christian Piel, ce qui est coûteux. Or, à Strasbourg, la nappe phréatique s’étend sous l’ensemble de la métropole ; nous avons eu l’idée de l’utiliser comme un réseau. » Concrètement, l’eau passe par une cuve de déchlorage, puis par un dispositif d’infiltration qui l’entraîne en profondeur, jusque dans la nappe ; celle-ci fait donc office d’ouvrage de stockage et de transport. Ainsi retenue dans la nappe, cette eau peut ensuite, à la saison chaude, être prélevée. « Selon les calculs que nous avons faits avec Urbanwater, le rejet de ces eaux tout au long de l’année atteint un volume d’environ 70 000 m³, sachant que 10000 à 12000 m³ suffiraient à arroser tous les arbres du parc du quartier des Écrivains, qui s’étend sur un hectare », explique Yannick Roth. Et de préciser que la démarche a eu un accord de principe de la part de la police de l’eau, ainsi que de l’agence régionale de santé (ARS) – qui a logiquement demandé un suivi de la qualité des eaux. « Ces deux instances ont reconnu l’intérêt de notre expérimentation. » Louise Deshayes ajoute : « L’endroit où l’on va infiltrer les eaux de la piscine dans la nappe devient lui- même un espace de fraîcheur. Et l’avantage du site est de disposer d’une grande plaine à l’arrière, qui faisait office de solarium et que nous voulons aussi mobiliser ; il sera légèrement décaissé pour permettre à l’eau de s’infiltrer et deviendra, lui aussi, un îlot de fraîcheur agrémenté d’une promenade. Il sera même possible d’y intégrer des panneaux de sensibilisation. La cuve de déchlorage pourrait, elle aussi, devenir un objet de pédagogie, un démonstrateur de la façon dont sont gérées les eaux. »

Rodolphe Casso

Lire la suite de cet article dans le numéro 443 « Infra et superstructures » en version papier ou en version numérique

Couverture : Jean-Louis Chapuis, studio Warmgrey

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