L’aménagement du territoire « by » Amazon
Portés par l’explosion des ventes de l’e‑commerce, les entrepôts logistiques se multiplient en France, hors et dans les centres-villes. Cet engouement pose d’importantes questions sur le plan architectural et environnemental, mais aussi réglementaire.
C’est une multinationale que l’on connaît plutôt sous l’angle des achats sur Internet, moins à travers celui des entrepôts de location. Pourtant, l’enseigne Amazon, et avec elle celles de l’e‑commerce, ne connaît pas la crise immobilière. Un phénomène qui s’explique en partie par l’explosion de ce dernier : en 2024, les ventes de produits et services sur Internet ont atteint un chiffre d’affaires record de 175,3 milliards d’euros rien qu’en France. Or, pour 1 milliard de dollars de ventes additionnelles en e‑commerce, il faut construire 125 000 m² supplémentaires d’espaces logistiques dans le but de stocker, puis livrer ces marchandises. Conséquence : le marché immobilier des entrepôts logistiques a connu un essor phénoménal ces dernières années. « Les chiffres des permis de construire confirment qu’il y a une forte hausse, pointe Nicolas Raimbault, enseignant-chercheur à l’Institut de géographie et d’aménagement de Nantes Université. On est passé d’environ 3 millions de m² d’entrepôts construits par an, il y a une dizaine d’années, à plus de 5 millions de m2 actuellement, soit quasiment le double. »
Pour répondre aux besoins croissants de stockage des produits, de nouveaux entrepôts XXL ont émergé ces dernières années un peu partout sur le territoire français. Le géant de l’e‑commerce Amazon a été l’un des premiers à investir le marché dans les années 2000, avec la réalisation d’un entrepôt XXL de 142 000 m² à Brétigny-sur-Orge, en Ile-de-France. Son centre de distribution situé à Saran, près d’Orléans, arbore des proportions tout aussi gigantesques avec une superficie de 148 000 m². Amazon prévoit d’inaugurer de nouveaux centres de distribution XXL, courant 2026, à Colombier-Saugnieu, près de Lyon, et à Illiers-Combray, près de Chartes. À l’échelle française, l’enseigne reste pourtant un Petit Poucet si on la compare à l’ensemble des autres opérateurs présents sur le marché de la logistique urbaine : avec 8 centres de distribution et 33 centres logistiques répartis sur le territoire, ses installations n’occupent en réalité que 1 % du foncier logistique.
Des millions de mètres carrés
Or, au 31 décembre 2023, la France métropolitaine comptait 3 700 entrepôts ou plateformes logistiques de 10 000 m² ou plus, totalisant une superficie de 89 millions de m². La majorité de ces entrepôts que se partage l’ensemble des opérateurs de la logistique – e‑commerce, mais aussi agroalimentaire – fait moins de 20 000 m² (57 %), quand 31 % font entre 20 000 et 40 000 m². Les entrepôts au-delà de 40 000 m², souvent appelés entrepôts XXL, ne représentent pour le moment que 13 % d’entre eux. « Ce qui rend visible Amazon, c’est la consommation de ses produits, analyse Adeline Heitz, maîtresse de conférences en géographie et en urbanisme au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). Il y a aussi tout un discours anti-Gafam [acronyme désignant Google, Apple, Facebook, Amazon et Mircrosoft, ndlr] et anticapitaliste qui l’accompagne, ce qui explique qu’il ressort particulièrement au milieu de ce paysage hétéroclite d’acteurs. »
L’entreprise a aussi été la première, parmi cette constellation d’acteurs, à jouer la carte de la concurrence exacerbée jusqu’à créer son propre service de livraison avec l’abonnement Amazon Prime, en 2017. « Avant Amazon Prime, la logistique urbaine ne s’intéressait pas aux zones denses, explique Adeline Heitz. Elle se portait plutôt sur des grands modèles d’entrepôts en périphérie urbaine, souvent hors d’Ile-de-France. Mais le raccourcissement des délais de livraison a fait que les opérateurs ont dû se rapprocher de leurs destinations. C’est Amazon qui a bousculé toute cette chaîne logistique. » La chercheuse parle volontiers de « stratégie d’implantation verticale » : afin de maîtriser ses coûts, l’entreprise américaine a développé des services sur l’ensemble de la chaîne de valeur, de la production à la distribution. Elle investit non seulement dans des entrepôts, mais aussi dans des flottes pour ses livraisons, jusqu’à conclure des partenariats avec ses propres intermédiaires, sans recourir à des opérateurs historiques comme La Poste ou Fedex, qui se chargent du dernier kilomètre.
Le nouvel entrepôt dans la zone d’activité Les Ardoines, à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), en janvier 2024, crédit : Laetitia Dablanc
Entrepôts verticaux
La valeur des terrains et la concurrence foncière dans les villes n’incitent pas seulement à limiter la taille des installations logistiques, elles stimulent d’autres configurations urbaines. Ces architectures répondent à de nouveaux besoins des acteurs de la logistique, qui sont confrontés à un manque de place dans les centres urbains, et en périphérie à des réglementations de plus en plus strictes, en particulier concernant l’artificialisation des sols. « Le marché des entrepôts verticaux, qui consiste à construire des entrepôts sur plusieurs étages est en pleine explosion, en particulier en Ile-de-France », observe ainsi Matthieu Schorung, maître de conférences en géographie et en aménagement-urbanisme à Sorbonne Université. Le dernier en date est le projet Green Dock à Gennevilliers, un « paquebot » vertical de cinq étages pour une surface de 80 000 m², censé s’implanter sur une ancienne friche industrielle à l’horizon 2027. Amazon possède aussi ses entrepôts verticaux : à Augny, à proximité de Metz, l’enseigne a inauguré en 2021 un centre de distribution XXL sur quatre étages avec une superficie de 180 000 m².
Face à l’expansion territoriale des entrepôts, les architectures verticales sont perçues comme une façon de combler le déficit d’image que rencontrent ces projets auprès de l’opinion publique. Car les entrepôts sont de plus en plus accusés d’avoir un impact significatif sur l’environnement, en particulier sur l’artificialisation des sols, comme l’explique Nicolas Raimbault : « 90 % de l’immobilier logistique s’est construit sur des terrains agricoles, donc sur de l’artificialisation des sols. Et c’est logique : ils sont moins chers et n’exigent pas de dépollution en amont. » Néanmoins, la réduction de l’impact environnemental de ces tentatives pour limiter l’emprise au sol reste à relativiser. « Certes, les entrepôts à étages ont un effet limité sur l’artificialisation des sols. Mais cela ne compense pas le foncier qui a été perdu ces dernières années », rappelle Laetitia Dablanc.
Emmanuelle Picaud
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Couverture : Jean-Louis Chapuis, studio Warmgrey
Photo : Entrepôts logistiques du géant de l’e‑commerce, Amazon, près d’Amsterdam, en juin 2022, crédit : Laetitia Dablanc