Colocation (forcée) pour couple séparé

Les 25–50 ans composent leur foyer et le recomposent parfois quelques années plus tard, après une séparation. Malgré une diversité de façons de faire famille, désormais ancrée dans la société, les logements ne suivent pas nécessairement. En découlent des formes de cohabitation souvent plus subies que réellement choisies entre ex conjoints, ou un habitat mal adapté, seule option avec une unique source de revenus.

 

Envi­ron 425 000 sépa­ra­tions conju­gales (divorces, rup­tures de Pacs ou d’unions libres) ont lieu en moyenne chaque année. Près de 380 000 enfants mineurs expé­ri­mentent ces rup­tures. Les consé­quences sont d’abord éco­no­miques. À reve­nu égal, le niveau de vie d’un couple est 1,5 fois plus éle­vé que celui de deux céli­ba­taires, sou­ligne l’Ined (Ins­ti­tut natio­nal d’études démo­gra­phiques) : par­ta­ger le même toit est une source d’économies. En cas de sépa­ra­tion, les femmes sont les plus péna­li­sées : gagnant sou­vent moins bien leur vie que les hommes, elles perdent 20 % de leur pré­cé­dent niveau de vie, contre 3 % pour les pre­miers, a mesu­ré l’Institut natio­nal de la sta­tis­tique et des études éco­no­miques (Insee). « Pour les femmes qui étaient pro­prié­taires avant, le pas­sage en loca­tif est mas­sif. Après quelques années, elles peuvent rede­ve­nir pro­prié­taires, mais pas au taux d’avant », indique Anne Solaz, coau­trice avec Carole Bon­net d’une étude de l’Ined, en par­te­na­riat avec France Stra­té­gie, sur les consé­quences éco­no­miques des sépa­ra­tions pour les enfants (2023–2024).

À par­tir du sui­vi inédit des don­nées de 753 000 enfants entre 2011 et 2019, les cher­cheuses éclairent la baisse « mar­quée et durable » de leur niveau de vie, à hau­teur de « 19 % en moyenne l’année de la rup­ture et tou­jours 12 % cinq ans après ». Baisse qui dif­fère néan­moins selon le niveau de vie ori­gi­nel et le mode de rési­dence de l’enfant. Le cas de figure sou­vent pré­sen­té comme le plus cri­tique est celui des familles mono­pa­ren­tales qui repré­sentent près d’une famille sur quatre – avec des femmes à leur tête pour 85 % d’entre elles, ain­si que le détaille le por­trait social de l’Insee (2023) sur la base du recen­se­ment de 2020.

Le parc HLM est un refuge pour celles aux reve­nus modestes et très modestes. « Le loge­ment social offre de l’air », résume Thier­ry Asse­lin, direc­teur des poli­tiques urbaines et sociales à l’Union sociale pour l’habitat (USH). Ces familles sont sur­re­pré­sen­tées dans le parc social : 22 % des ménages (caté­go­rie qui com­prend tous les foyers, au-delà des familles), contre 10 % au glo­bal, selon l’Insee – une pro­por­tion en légère aug­men­ta­tion en six ans. « Le phé­no­mène des familles mono­pa­ren­tales n’évolue pas si vite que cela, mais il est plus visible ces der­nières années avec la hausse des prix du loge­ment dans le pri­vé », com­mente Thier­ry Asse­lin. Néan­moins, les familles mono­pa­ren­tales ne béné­fi­cient pas for­mel­le­ment d’un droit de prio­ri­té en matière de loge­ment social, cor­ré­lé d’abord à l’état du loge­ment ini­tial (insa­lu­bri­té, par exemple) ou à l’existence de vio­lences conju­gales. Pour autant, la chute bru­tale de reve­nus à la suite d’une sépa­ra­tion place les parents sépa­rés en bonne posi­tion, quand la situa­tion du parc social n’est pas trop ten­due – ce qui devient rare. Et les bailleurs sou­tiennent les familles déjà pré­sentes dans le parc, comme Bati­gère Habi­tat qui, avec son pro­jet Hes­tia, favo­rise leur main­tien dans le loge­ment en cas d’impayé de plus de trois mois via l’association Amli (Accom­pa­gne­ment, mieux-être, loge­ment des isolés).

 

Du coli­ving pour familles monoparentales

Cer­tains bailleurs, encore rares, réflé­chissent aus­si à de nou­velles réponses. Ain­si Clé­sence a‑t-il signé, en mai 2024, un par­te­na­riat avec la start-up Com­mune pour déployer du coli­ving pour parents solos. Né en 2021, le pro­mo­teur pro­met des éco­no­mies de « 20 % à 30 % par famille » par le par­tage d’espaces et de ser­vices (jar­din, salle de jeux, buan­de­rie, espace de cowor­king, grande salle à man­ger et cui­sine com­munes, ménage ou encore aide aux devoirs), et un mieux-être grâce à de l’entraide au sein de l’immeuble. Ce sont jus­te­ment ces à‑côtés qua­li­ta­tifs qui ont éga­le­ment séduit la com­mune de Ris-Oran­gis (Essonne), en dis­cus­sions avec ce même pro­mo­teur pour le déve­lop­pe­ment d’un bâti­ment loca­tif dédié aux parents solos non pré­caires. La mai­rie, qui a aus­si fait adop­ter un « sta­tut com­mu­nal » pour ces parents, avec « de nou­veaux droits », réflé­chit, par ailleurs, avec les bail- leurs sociaux et pri­vés de la ville à mobi­li­ser des loge­ments de grande taille pour des colo­ca­tions entre familles monoparentales.

Des atten­tions dont est bien sou­vent pri­vé le parent sépa­ré, doté ou non d’un cer­tain pou­voir d’achat. Après la revente du bien com­mun ou le démé­na­ge­ment de l’appartement du couple, il n’est pas rare que le nou­veau céli­ba­taire avec enfants atter­risse dans le parc ancien dégra­dé, avec en bonus pré­ca­ri­té éner­gé­tique et sur­peu­ple­ment. Sa qua­li­té de vie est aus­si écor­chée de manière plus insi­dieuse : rece­voir des amis à domi­cile est plus rare dans les quatre années sui­vant la sépa­ra­tion, sans doute en lien avec la taille réduite du loge­ment et la rup­ture de cer­tains réseaux ami­caux, cite, entre autres, Anne Solaz.

Sa prio­ri­té est, de toute façon, de trou­ver (vite) un loge­ment capable d’accueillir son ou ses enfant(s), avec sa seule fiche de paie. Un habi­tat, qui plus est, pas trop loin du domi­cile du deuxième parent en cas de rési­dence alter­née (qui concerne 12 % des enfants), ou de garde dite « clas­sique », plus répan­due (les trois quarts du temps avec l’un des parents, et un quart avec le second). Dans l’immédiat, il renon­ce­ra donc à une chambre pour lui et déplie­ra la ban­quette clic-clac dans son salon, pour lais­ser aux enfants l’unique chambre de son nou­vel appartement.

 

Lucie Roma­no

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Pho­to de cou­ver­ture : Le vil­lage du Bois Bou­chaud, à Nantes, ensemble médi­co-social inter­gé­né­ra­tion­nel de la Croix-Rouge. © Tho­mas Louapre / Divergence

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