Comment Annemasse cohabite avec la densité

Comptant parmi les plus denses de France, la commune de Haute-Savoie applique des règles d’urbanisme afin de limiter la spéculation immobilière, dans l’objectif d’offrir une meilleure qualité de vie à ses habitants.

 

Sur les cartes postales, Annemasse est vantée pour ses montagnes et sa tranquillité de vie. Mais la ville haut savoyarde doit moins son succès à la qualité de ses paysages qu’à sa proximité avec la frontière suisse. « Pendant des années, les travailleurs frontaliers qui ne trouvaient pas à se loger à Genève sont venus chez nous, fustige Michel Boucher, premier adjoint au maire en charge de l’urbanisme. Nous avons compensé le manque d’offres de logements sur le territoire genevois. Les élus suisses commencent seulement à comprendre qu’ils ne peuvent pas exporter leurs problèmes de logement indéfiniment et à prendre des mesures politiques. » Du fait de sa situation transfrontalière, la commune continue de faire face à une explosion démographique sur son sol, ainsi qu’à une forte spéculation foncière et immobilière. Cela alors qu’elle accueille déjà 40 000 habitants répartis sur un périmètre d’à peine 5 km² , soit un niveau de densité record : 8 000 habitants par kilomètre carré, plus que New York (7 101 habitants au km²) ou New Delhi (5 855). Et la tendance démographique ne semble pas près de ralentir. « Le nombre de travailleurs frontaliers va encore doubler dans les dix prochaines années selon les annonces du canton de Genève, affirme Guy Desgrandchamps, architecte-conseil auprès de la Ville d’Annemasse. Quelles que soient les conditions, les gens viendront. Mais il y a des questions qui se posent : comment organiserons-nous la qualité d’accueil ? Comment garantirons-nous l’équilibre social ? » Les élus le savent : même si Genève commence à construire de nouveaux logements, c’est au tour d’Annemasse de prendre des mesures d’aménagement pour réguler la spéculation foncière et immobilière qui étouffe son territoire.

« Nous ne pourrons pas dédensifier, dans le sens où nous ne perdrons pas d’habitant au kilomètre carré, pointe Michel Boucher. Nous pouvons, en revanche, diminuer la pression foncière sur certains espaces pour regagner des lieux de respiration et offrir une bonne qualité de vie à nos administrés. » Afin d’y parvenir, la collectivité a pris de nombreuses mesures en adaptant ses documents d’urbanisme, plan local d’urbanisme (PLU) et schéma de cohérence territoriale (SCoT) en tête.

Sanctuariser les espaces verts et non construits

La Ville a, par exemple, souhaité sanctuariser les espaces verts et les espaces non construits. Ceux-ci sont, de facto, classés en zone naturelle, sauf pour les espaces non construits déjà artificialisés. La mairie a également racheté des terrains auprès de propriétaires privés. La villa privée Tiberghien devait ainsi initialement être démolie pour ériger un nouveau programme de bâtiments. La collectivité est intervenue pour acheter la parcelle, où un parc public a vu le jour en 2015. « Il n’y a pas eu de préemption, [le propriétaire] nous a vendu le terrain à l’amiable », précise Cécile Floret, directrice du service urbanisme de la Ville. Pour la création du parc Mila-Racine, la collectivité a négocié avec le promoteur pour acquérir 6 280 m² d’espaces verts sur la partie arrière du terrain qui a été racheté par ce dernier. Le parc public a vu le jour en 2022. Au sein du PLU, l’objectif de construction de logements neufs à l’année a également été divisé par deux (celui-ci passe de 450 logements neufs à 217). Des orientations d’aménagement ont également été définies de façon à flécher les promoteurs sur certains secteurs, « essentiellement des terrains en cœur urbain et sur lesquels nous allégeons certaines contraintes – quotas de logements HLM ou limite de hauteur », précise Cécile Floret. L’objectif est clair : limiter l’étalement urbain alors que la ville se fait déjà au chausse-pied. « Nous voulons faire passer le message que nous n’avons plus la possibilité de nous étendre géographiquement, assume Michel Boucher. Nous ne pouvons plus que reconstruire la ville sur la ville. »

En régulant le foncier, la collectivité espère aussi diminuer la croissance démographique, qui s’établit à une moyenne de 1,5 % d’habitant par an, en atteignant un objectif autour de 1 %. « Si nous réussissons à maîtriser l’augmentation de notre population, nous devrions pouvoir nous en sortir », espère l’élu, qui ne renonce pas à des outils comme la surélévation pour y parvenir. Dans les secteurs fléchés pour les promoteurs en centre-ville, il est, par exemple, possible de construire jusqu’à un niveau R+6, soit environ 20 m de hauteur. Une position clairement assumée par la collectivité, qui préfère « éviter que les promoteurs se tournent vers des villas avec jardins » et les « orienter vers des lieux d’utilité publique ». Et d’ajouter, lucide : « Si nous voulons reconstruire la ville sur la ville, il faut pouvoir trouver un équilibre économique. Et parfois, cet équilibre se traduit par davantage de densité. » Guy Desgrandchamps renchérit : « Il n’y a pas de parti pris contre la densité à Annemasse. La densité est là, c’est un fait. Nous essayons plutôt de cohabiter avec elle. C’est simplement une problématique que nous devons gérer. »

Cette politique volontariste d’orientation des programmes immobiliers est couplée à des obligations en matière de typologie et de configuration des logements. Pour chaque projet, la collectivité applique, de facto, la règle des trois tiers : un tiers de logements sociaux, un tiers en accession sociale et un tiers de logements libres. Les parcs de logements doivent aussi répondre à des règles strictes en matière de surface des foyers : limiter les studios et les T2, et ne pas exclure les T4 ou T5, pour que les familles puissent trouver de quoi s’installer sur le territoire.

Emmanuel Picaud

Lire la suite de cet article dans le numéro 441 « Dense, dense, dense » en version papier ou en version numérique

Photo de couverture : Les ruelles étroites de Grasse (Alpes-Maritimes). Crédit : Lahcène Abib/Divergence

Photo : Ville d’Annemasse. Crédit : Gilles Bertrand

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