Densité et ZAE : toujours à plat ?
Si la densification des zones d’activité économique fait figure de mot d’ordre depuis la loi ZAN (« zéro artificialisation nette »), certains territoires ont été confrontés aux problématiques de disponibilité et de régulation du foncier économique bien avant l’entrée en vigueur de la loi.
Le chantier de la requalification et de la densification des zones d’activité économique (ZAE) est l’histoire d’un changement de priorités. Sans définition claire, reléguées dans la catégorie « France moche » et souvent peu denses, les 13 700 zones dédiées à l’activité économique (1) aiguisent aujourd’hui les appétits d’acteurs en mal de foncier.
Au début des Trente Glorieuses, les premières ZAE répondaient pourtant pleinement aux objectifs de l’époque : limiter les nuisances de voisinage entraînées par l’industrie, mais aussi disposer de grands terrains abordables et bien desservis. Ce phénomène de desserrement des activités s’est encore renforcé dans les années 2000 avec la métropolisation et la raréfaction des ressources publiques locales, puisque les ZAE permettent aux collectivités territoriales de garder ou d’attirer des entreprises, avec emplois et recettes fiscales à la clé. Car les zones dédiées à l’activité économique ont du poids : en 2023, elles rassemblaient 50 % des emplois du secteur privé et 27 % des établissements, selon l’Insee (2).
Une obsolescence prématurée
Aujourd’hui, la consommation foncière ne suffit plus à porter la croissance des emplois. En effet, si l’artificialisation des sols à vocation économique a représenté, d’après le Cerema, en France, près de 65 000 ha entre 2011 et 2022, les emplois salariés n’ont augmenté que de trois millions sur la période, dont moins de 100 000 dans le secteur secondaire, cœur de cible traditionnel des ZAE (3). Cette dissociation foncier-emplois peut s’expliquer par un phénomène de concurrence entre les territoires : une partie des entreprises délaisse les anciennes ZAE pour s’installer dans les plus récentes, afin de disposer de locaux neufs adaptés à leurs besoins. Et ce, à moindre coût, car l’extension urbaine coûte moins cher que le renouvellement. L’artificialisation des sols à vocation économique est le résultat d’une logique de consommation d’espaces illimitée, qui n’incite pas à entretenir les ZAE existantes, ni à densifier leur offre immobilière et de services – pour des créations d’emplois limitées. Le « zéro artificialisation nette » (ZAN) constitue en ce sens l’aboutissement du phénomène, qui requestionne la totalité du modèle de développement économique préexistant. La création d’emplois ne passera plus – ou de manière minoritaire – par l’ouverture à l’urbanisation de foncier agricole ou naturel. Pourtant, les objectifs assignés aux ZAE demeurent globalement les mêmes : soutien à l’emploi dans les territoires, maintien et développement des entreprises locales… – sans consommation foncière. L’arrêt de la consommation foncière – associée aux difficultés de mobilités entraînées par le tout-voiture et aux îlots de chaleur géants que constituent ces zones – oblige les collectivités et les entreprises à imaginer de nouveaux modèles de développement économique dont la densité constitue l’une des clés : comment faire fonctionner des ZAE plus denses, en termes d’offre immobilière et de services ? Comment répondre aux parcours résidentiels des entreprises sans nouveau foncier ? Comment agir sur des ZAE largement morcelées et privatisées, mais dont la dégradation nuit à la collectivité ?
Plongée dans le fonctionnement de ZAE « déjà denses »
Certains territoires de la région Sud (Alpes-Maritimes, Métropole Aix-Marseille) sont confrontés depuis longtemps à un foncier économique contraint par la topographie et l’urbanisation, mettant les ZAE sous pression. À partir des années 1960, certaines industries peinent à se développer à Nice et Marseille, et se déplacent alors vers les derniers grands espaces non urbanisés, mais inondables : dans la vallée du Var, à Carros ou à Saint-Laurent-du- Var, mais aussi sur d’anciens marais (Les Paluds, à Aubagne). Si les ZAE productives anciennes sont souvent peu denses ou en déprise, les ZAE de Carros et des Paluds font figure d’exception. Sous la contrainte du manque du foncier, et en lien avec un prix élevé, les entreprises de ces ZAE se sont implantées de manière plus dense, en optimisant leur emprise au sol et les emplois. Ainsi, dès 2018 et avant la loi ZAN, les ZAE des Paluds et de Carros étaient plus densément bâties (environ 30 % de leur foncier est occupé par des bâtiments, contre environ 15 à 25 % en France (4)). Elles concentraient aussi, d’après les données de l’observatoire SUD Foncier éco, 50 à 54 emplois/ha (en comparaison des 33 emplois/ha pour les ZAE > 1 000 emplois en France) et entre 5 et 13 établissements par hectare (contre 1,3/ha en moyenne en ZAE en France (5)). Cette densité s’est construite « avec des gouvernances ad hoc, anticipées dès la création des ZAE, et qui associent collectivités, acteurs économiques et partenaires, ce qui est loin d’être un modèle courant », souligne Laurence Cantaloube-Kim, cheffe de projet de la démarche SUD Foncier éco pour la Région Sud. « Sur ces zones, les propriétaires fonciers, voire les entreprises, sont associés dans des structures (association syndicale libre, clubs d’entreprises…) qui permettent d’avoir une force de frappe pour
développer des services partagés, favorables à une densité plus importante », précise Fleur Chambonneau, chargée de mission Parc + à l’Arbe (Agence régionale pour la biodiversité et l’environnement), comme la création d’un restaurant interentreprise par l’association des entreprises de Carros-Le Broc, l’Asllic. Ce modèle de gouvernance partenarial a permis d’assurer « un suivi des mutations, de la vacance et un entretien constant qui a évité la dégradation de la ZAE », signale Jean-Pierre Levi, président de l’Asllic. Il a également donné de la visibilité sur les besoins et onciers disponibles aux différents partenaires pour densifier – voire surélever – au fil du temps. Pourtant, la densification bâtie peine à s’opérer ces dernières années, face au risque inondation et aux difficultés de remembrement du foncier : entre 2018–2023, elle est faible, voire inexistante, sur ces ZAE, malgré l’accroissement de la pression foncière et l’entrée en vigueur du ZAN (6). La densification s’est alors opérée via un autre levier : la densité
d’emploi a progressé dans les deux ZAE (+ 22 emplois/ha, pour Les Paluds, et + 9 %, pour Carros). Les entreprises de ces ZAE ont pu recruter sans développement immobilier, augmentant l’emploi total, mais certaines arrivent aujourd’hui en limite de capacité.
Chloé Vergues
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Photo de couverture : Les ruelles étroites de Grasse (Alpes-Maritimes). Crédit : Lahcène Abib/Divergence
Photo : Dans la ZAE des Paluds, à Aubagne (Bouches-du-Rhône), les entreprises se sont implantées de manière plus dense en optimisant leur emprise au sol et les emplois sous la contrainte du manque de foncier et des prix élevés. Crédit : Sud Foncier Eco
1/ Insee Première n° 1960, 2023.
2/ Insee Première n° 1960, 2023.
3/ Insee Focus n° 315, Insee Références, 2023.
4/ DDT Ille-et-Vilaine.
5/ SUD Foncier éco, https://sudfonciereco.maregionsud.fr, cadastre 2023.
6/ Données bâtiments, cadastre 2023