Des sites naturels au bord de l’asphyxie

Dans les Calanques, sur l’île de Por­que­rolles ou au som­met des falaises nor­mandes, la sur­fré­quen­ta­tion peut rendre l’expérience tou­ris­tique invi­vable. Pour la faune et la flore, qui pâtissent de dégra­da­tions lourdes, comme pour le visi­teur, qui doit faire face à la satu­ra­tion des accès, des amé­ni­tés et de la vue… Pour pré­ser­ver sans tou­te­fois inter­dire, les acteurs locaux mettent en place de nou­velles stra­té­gies de régu­la­tion des flux.

En 1995, la Charte de Lan­za­rote – signée à l’occasion de la Confé­rence mon­diale du tou­risme durable – pre­nait acte du « carac­tère ambi­va­lent » du tou­risme. Si celui-ci a des effets posi­tifs sur le déve­lop­pe­ment socio-éco­no­mique et cultu­rel d’un ter­ri­toire, il par­ti­cipe à la « dété­rio­ra­tion de l’environnement et la perte de l’identité locale ». Et par­ti­cu­liè­re­ment lorsque le nombre de visi­teurs sur­passe lar­ge­ment la capa­ci­té d’accueil d’un lieu.

La pro­tec­tion en parcs natu­rels natio­naux pour les Calanques (Bouches-du-Rhône) et Port-Cros (Var) – accor­dant un bud­get et des moyens humains –, ain­si que l’inscription en site clas­sé pour ces deux parcs natio­naux et Étre­tat (Seine-Mari­time) pro­voquent un afflux de visi­teurs très dif­fi­cile à maî­tri­ser. Un tou­risme consu­mé­riste, consis­tant à visi­ter en quelques jours des sites remar­quables, se déploie alors via les tour-opé­ra­teurs, notam­ment auprès d’une clien­tèle étran­gère. 

Sans oublier la pro­mo­tion dans les revues tou­ris­tiques – pré­sen­tant ces lieux comme idyl­liques – qui achèvent de faire bon­dir la fréquentation.

Pour les garants de la pré­ser­va­tion de ces sites, la tâche est ardue. Voire para­doxale : « On a paral­lè­le­ment à notre mis­sion de pré­ser­va­tion des espaces natu­rels, une mis­sion d’accueil du public, explique Nico­las Char­din, direc­teur du parc natio­nal des Calanques. Toute l’importance de notre mis­sion est de trou­ver l’équilibre entre ces deux obli­ga­tions et ces deux missions. »

« Depuis vingt ans, on a une augmentation annuelle de 2 % à 3 % du nombre de visiteurs. Il fallait stopper cette équation folle. »

Marc Dun­combe, Direc­teur du parc natio­nal de Port-Cros

 

L’outil régle­men­taire appa­raît comme la pierre angu­laire de la ges­tion des flux tou­ris­tiques, indis­pen­sable à toute poli­tique publique res­tric­tive. Le parc natio­nal de Port-Cros a été l’instigateur d’une loi majeure à ce sujet – la loi Bignon – adop­tée dans le cadre d’un amen­de­ment de la loi cli­mat et rési­lience en août 2021 (lire enca­dré ci-des­sous). Marc Dun­combe, direc­teur du parc natio­nal de Port-Cros, expose son pos­tu­lat de départ : « Les dif­fé­rentes auto­ri­tés n’ont des pos­si­bi­li­tés de régu­ler que pour des motifs de sécu­ri­té publique. » À la suite d’une exper­tise juri­dique com­man­dée par le parc, la défi­ni­tion d’espaces pro­té­gés est revue par la loi. Une légis­la­tion essen­tielle pour ce site, puisqu’une par­tie du vil­lage de Por­que­rolles n’est pas incluse dans le péri­mètre du parc natio­nal de Port-Cros et Por­que­rolles. Toute régle­men­ta­tion était donc impos­sible avant l’adoption de ce texte.

Comme dans beau­coup d’autres domaines, le Covid-19 a ser­vi de révé­la­teur. C’était le cas à Étre­tat, où une végé­ta­tion luxu­riante s’est vue revi­vi­fiée par l’arrêt subit des visites sur les falaises et de leur pié­ti­ne­ment répé­té. « Après quatre mois sans per­sonne – ce qu’Étretat n’avait jamais connu, hor­mis pen­dant la guerre –, on a réel­le­ment pris conscience du niveau de dégra­da­tion du site », révèle Estelle Séra­fin, adjointe au maire char­gée du tourisme.

Dans les Calanques, le pié­ti­ne­ment est un pro­blème avec lequel Nico­las Char­din doit éga­le­ment com­po­ser : « On appelle ça l’abrasion des habi­tats natu­rels. C’est lié concrè­te­ment au pié­ti­ne­ment à terre, au pié­ti­ne­ment répé­té sur la flore, sur des habi­tats et en mer. La plu­part des espèces natu­relles recherchent la quié­tude pour leur cycle de vie, mais quand on accu­mule de la fré­quen­ta­tion sur un site, que ce soit à terre ou en mer, on crée for­cé­ment de la per­tur­ba­tion pour les espèces. »

Mai­der Darricau

Cré­dit pho­to : Parc natio­nal des Calanques. Pho­to : Jere­my Bezanger/Unsplash

Lire la suite dans le numéro 426

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