« En Suisse, la densification a émergé avant la fin du XXe siècle »

Stéphane Nahrath est, depuis 2015, professeur de science politique à l’Institut de hautes études en administration publique (Idheap) de l’université de Lausanne, où il est responsable de l’unité Politiques publiques et durabilité. Ce spécialiste des politiques publiques à incidences spatiales évoque les problématiques de densification de notre voisin helvète.

Quand la ques­tion de la den­si­fi­ca­tion a‑t-elle été mise à l’agenda des poli­tiques publiques en Suisse ?

Même si le sujet de l’étalement urbain est pré­sent en Suisse depuis les années 1970–1980 (avec l’idée d’une néces­saire ges­tion ration­nelle des sols dans un double contexte d’exiguïté ter­ri­to­riale et de den­si­té de popu­la­tion, avec une dis­po­ni­bi­li­té fon­cière alors encore réelle dans les péri­phé­ries sub­ur­baines), la ques­tion de la den­si­fi­ca­tion est dis­cu­tée depuis une ving­taine d’années, au tour­nant des années 2000, dans les milieux de l’aménagement du ter­ri­toire, notam­ment chez les urba­nistes, pla­ni­fi­ca­teurs, orga­ni­sa­tions non gou­ver­ne­men­tales, cher­cheurs, ain­si qu’au sein des admi­nis­tra­tions publiques et auprès des élus, pas seule­ment dans les grandes villes.

Puis, la ques­tion de la sobrié­té fon­cière (« construire la ville sur la ville ») a été mise expli­ci­te­ment à l’agenda poli­tique au début des années 2010 lorsque les tra­vaux pour la révi­sion en pro­fon­deur de la loi fédé­rale sur l’aménagement du ter­ri­toire (LAT) de 1979 ont com­men­cé ; loi qui s’inscrit dans un contexte fédé­ral sans véri­table code de l’urbanisme unique, mais avec une prise en charge directe des tâches de pla­ni­fi­ca­tion par les com­munes (plans d’affectation com­mu­naux) et les can­tons (plans direc­teurs can­to­naux). Le prin­cipe de la « construc­tion vers l’intérieur » (des zones déjà urba­ni­sées) a, en effet, été expli­ci­te­ment intro­duit dans le pro­jet de loi pro­po­sé en 2012 et fina­le­ment accep­té en vota­tion popu­laire en 2014. Mais la concep­tua­li­sa­tion du côté des urba­nistes est fina­le­ment assez récente.

En quoi diriez-vous que la Suisse est un pays pion­nier en matière de densification ?

La ques­tion des pion­niers est tou­jours déli­cate, car il est tou­jours facile de trou­ver un pré­dé­ces­seur quelque part… Néan­moins, en rai­son de l’exiguïté du ter­ri­toire natio­nal en géné­ral, de la topo­gra­phie et du relief très mon­ta­gneux (deux tiers du ter­ri­toire natio­nal), ain­si que du carac­tère rela­ti­ve­ment limi­té de l’espace véri­ta­ble­ment uti­li­sable pour la majo­ri­té des usages du sol (notam­ment pour l’agriculture, l’urbanisation et les infra­struc­tures de trans­port et d’énergie), la Suisse connaît une situa­tion com­pa­rable aux pays les plus den­sé­ment peu­plés d’Europe occi­den­tale, tels que la Bel­gique ou les Pays-Bas. C’est donc assez logi­que­ment que la ques­tion de la ges­tion par­ci­mo­nieuse des sols s’est posée rela­ti­ve­ment pré­co­ce­ment en Suisse (en gros, à par­tir des années 1970) et que la solu­tion de la limi­ta­tion de l’étalement urbain et son corol­laire de la den­si­fi­ca­tion des espaces déjà urba­ni­sés ont émer­gé assez pré­co­ce­ment, avant la fin du XXe siècle. Les pre­mières expé­riences de den­si­fi­ca­tion se sont déve­lop­pées à par­tir des années 1980 et 1990 sous la forme de la réha­bi­li­ta­tion de friches indus­trielles situées dans es pre­mières cou­ronnes des grandes villes et agglo­mé­ra­tions suisses, dans un pre­mier temps alé­ma­niques (Zurich, Win­ter­thur), puis romandes (Genève, Lau­sanne, Fribourg).

Et aujourd’hui ?

Aujourd’hui, la den­si­fi­ca­tion se fait essen­tiel­le­ment sous la forme de la réha­bi­li­ta­tion, de la démo­li­tion et de la recons­truc­tion, ou encore de la mise en valeur des espaces non construits (sou­vent des espaces verts ou des ter­rains de sport, ou encore des dis­con­ti­nui­tés du bâti au sein de la zone construc­tible). En revanche, pour l’instant, la den­si­fi­ca­tion par sur­élé­va­tion des bâti­ments est plus rare, notam­ment en rai­son des pro­blèmes d’atteintes à la pro­prié­té qu’une telle stra­té­gie peut impli­quer. Il y a cepen­dant un domaine par­ti­cu­liè­re­ment pion­nier en Suisse dans les opé­ra­tions de den­si­fi­ca­tion qu’il convient de men­tion­ner, et qui est sou­vent van­té comme « modèle » éco­no­mique, c’est celui des quar­tiers de gare, à tra­vers les opé­ra­tions immo­bi­lières assez mas­sives qui sont menées par les Che­mins de fer fédé­raux (CFF), en par­ti­cu­lier par leur divi­sion de l’immobilier.

« Les gares consti­tuent un labo­ra­toire impor­tant de densification. »

Ces opé­ra­tions ont pour objec­tif de valo­ri­ser le fon­cier et l’immobilier au sein de la plu­part des grandes et moyennes gares du pays. Il s’agit pour l’essentiel d’une forme de den­si­fi­ca­tion urbaine par réha­bi­li­ta­tion et/ou destruction/reconstruction des friches fer­ro­viaires (notam­ment les anciens bâtis tech­niques), sur les­quelles ont été construits des sur­faces com­mer­ciales (y com­pris sur les quais de gare), des loge­ments (plu­tôt dans les gares de taille inter­mé­diaire), des bureaux, et même des éta­blis­se­ments d’enseignement supé­rieur, voire des pôles muséaux comme l’opération Pla­te­forme 10, à Lau­sanne, qui regroupe plu­sieurs musées et des restaurants.

 

Pro­pos recueillis par Damien Augias 

Lire la suite de cet entre­tien dans le numé­ro 441 « Dense, dense, dense » en ver­sion papier ou en ver­sion numérique

Pho­to de cou­ver­ture : Les ruelles étroites de Grasse (Alpes-Mari­times). Cré­dit : Lah­cène Abib/Divergence

Pho­to : Sté­phane Nah­rath. Cré­dit : Félix Imbof

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