Gestion de l’eau et planification territoriale : rapprocher les deux rives

Dans une perspective de sobriété d’usage, la politique de l’eau pourrait être la clé de voûte de la planification territoriale et des documents d’urbanisme. Et sa bonne gestion, un facteur majeur du cadre de vie et de l’attractivité territoriale. Mais comment renforcer les synergies entre les acteurs de l’eau et de l’urbanisme ?

 

Les séche­resses his­to­riques de 2022 et 2023 ont don­né un avant-goût des crises régu­lières que s’apprête à connaître la France d’ici à la fin du siècle. Dans un pays où l’eau a tou­jours été consi­dé­rée comme une res­source abon­dante, à l’exception des régions médi­ter­ra­néennes, la prise de conscience s’accélère pour struc­tu­rer autre­ment la poli­tique de l’eau, et pour en faire une clé de voûte de la pla­ni­fi­ca­tion ter­ri­to­riale et des docu­ments d’urbanisme.

La scène de Manon des sources, où Elia­cin pénètre dans le conseil muni­ci­pal en hur­lant : « Où elle est l’eau que j’ai payée ? J’ai payé l’eau, je veux mon eau ! », illustre avec bur­lesque les conflits d’usage envi­sa­geables en cas de forte pénu­rie, et leurs corol­laires sociaux et éco­no­miques. La bonne ges­tion de la res­source en eau sera un fac­teur majeur du cadre de vie et de l’attractivité ter­ri­to­riale, alors que la sobrié­té des usages s’imposera à tous. Les récents tra­vaux de France Stra­té­gie indiquent que si les pré­ci­pi­ta­tions peuvent res­ter glo­ba­le­ment stables à l’échelle fran­çaise, les grands défis por­te­ront sur la varia­bi­li­té sai­son­nière et géo­gra­phique de la res­source dis­po­nible, sa sécu­ri­sa­tion quan­ti­ta­tive et qua­li­ta­tive, la lutte contre les pol­lu­tions et l’adéquation des besoins avec l’offre. Dès lors, il va fal­loir se pré­pa­rer dans chaque ter­ri­toire à une pré­vi­si­bi­li­té chao­tique de la res­source en eau. Dans le bas­sin Rhône-Médi­ter­ra­née, l’agence de l’eau anti­cipe une baisse des débits d’étiage de 10 % à 60 % d’ici à 2050 ; 40 % des espaces sont d’ores et déjà en ten­sion et près de la moi­tié des cours d’eau ne sont pas en bon état éco­lo­gique. Dans ce contexte, la pleine imbri­ca­tion entre la pla­ni­fi­ca­tion de l’eau et les poli­tiques d’urbanisme est plus que jamais néces­saire. Si les pro­jets d’ouvrage de sécu­ri­sa­tion de la res­source por­tés par le pri­vé doivent se mul­ti­plier, à l’avenir, les réflexions col­lec­tives sur leur oppor­tu­ni­té et leur inté­rêt public devront mieux les enca­drer. L’exemple des méga­bas­sines dans les Deux-Sèvres a pu illus­trer ce manque d’anticipation pla­ni­fi­ca­trice. Mais y a‑t-il une échelle per­ti­nente pour pro­je­ter la poli­tique locale de l’eau avec la pla­ni­fi­ca­tion ter­ri­to­riale ? Com­ment assu­rer les échanges entre les mondes, encore trop éloi­gnés, de l’eau et de l’aménagement de l’espace, et uti­li­ser effi­ca­ce­ment tous les leviers de l’urbanisme, en par­ti­cu­lier dans un contexte de sobrié­té foncière ?

Le défi d’une tra­jec­toire de déve­lop­pe­ment reconsidérée

Face au manque d’eau, la pla­ni­fi­ca­tion ter­ri­to­riale montre déjà un nou­veau visage. Cer­tains ter­ri­toires voient remis en ques­tion, notam­ment par la popu­la­tion, leur mode de déve­lop­pe­ment, pour­tant à l’œuvre depuis des décen­nies. Confron­tés à des pénu­ries sévères, le Var, les Alpes-Mari­times et les Pyré­nées-Orien­tales sont pous­sés à mêler actions immé­diates et à plus long terme. Depuis l’été 2022, le Pays de Fayence, dans le Var, a mis en place, avec l’appui des ser­vices de l’État, un mora­toire sur les per­mis de construire en même temps qu’il a enga­gé une révi­sion de son SCoT, rédui­sant ses ambi­tions d’évolution démo­gra­phique annuelle de 1,3 % à 0,1 % afin de les mettre en rap­port avec les capa­ci­tés futures en eau. Si ce type de réponse ter­ri­to­riale trouve des fon­de­ments contex­tuels com­pré­hen­sibles, les élus et tech­ni­ciens ont un besoin criant de se pro­je­ter. Le SCoT (sché­ma de cohé­rence ter­ri­to­riale) Plaine du Rous­sillon, approu­vé en 2024, condi­tionne, quant à lui, l’ouverture des nou­velles zones d’urbanisation à la dis­po­ni­bi­li­té de la res­source et aux auto­ri­sa­tions de pré­lè­ve­ments, ain­si qu’à un ren­de­ment mini­mum des réseaux. L’impulsion d’une culture par­ta­gée de l’eau et le décloi­son­ne­ment des pra­tiques sont des condi­tions essen­tielles pour trai­ter de l’ensemble des usages, asso­ciant espaces urbains, péri­ur­bains et ruraux. Dans cet esprit, l’État et l’agence de l’eau Rhône-Médi­ter­ra­née-Corse ont récem­ment pro­po­sé un plan d’action en vue de ren­for­cer les syner­gies entre acteurs de l’eau et de l’urbanisme.

Mise en syner­gie des Sdage, Sage, SCoT, PLUi…

La faible connais­sance par les pro­fes­sion­nels de l’urbanisme du conte­nu et de la por­tée des sché­mas direc­teurs d’aménagement et de ges­tion des eaux (Sdage) et des sché­mas d’aménagement et de ges­tion des eaux (Sage) consti­tue, par exemple, un frein à leur inté­gra­tion dans les outils d’urbanisme. Com­ment dépas­ser les dif­fi­cul­tés géné­rées par les tem­po­ra­li­tés décon­nec­tées des docu­ments de pla­ni­fi­ca­tion ter­ri­to­riale et de l’eau et ne pas ajou­ter à la confu­sion des méandres régle­men­taires ? En 2023, la Cour des comptes a poin­té du doigt l’inadaptation de la poli­tique de l’eau à répondre aux grands défis à venir, en par­ti­cu­lier du fait de la faible cohé­rence de sa gou­ver­nance avec l’hydrogéographie : « L’efficacité de la poli­tique de l’eau souffre de la com­plexi­té et du manque de lisi­bi­li­té de son orga­ni­sa­tion, laquelle doit être struc­tu­rée et cla­ri­fiée autour du péri­mètre des sous-bas­sins-ver­sants. » Cette sim­pli­fi­ca­tion per­met­trait de faci­li­ter la com­pré­hen­sion de la poli­tique de l’eau qui reste au niveau local encore trop inin­tel­li­gible. L’échelle des sous-bas­sins-ver­sants hydro­gra­phiques est à l’évidence la bonne maille pour éta­blir des échanges pérennes entre acteurs et pour imbri­quer réel­le­ment les dif­fé­rentes démarches. Dans ce sens, un rap­port d’évaluation du minis­tère de la Tran­si­tion éco­lo­gique de 2021 énonce les nom­breux atouts des Sage dans la ges­tion stra­té­gique locale de l’eau et la néces­si­té de leur don­ner une nou­velle dyna­mique. Mal­heu­reu­se­ment, ces der­niers ne couvrent que la moi­tié du ter­ri­toire fran­çais. Le rap­port reve­nait éga­le­ment sur le manque de lisi­bi­li­té du conte­nu des Sage, d’un trop grand nombre d’orientations, de pro­cé­dures d’élaboration longues et d’une mise en œuvre dif­fi­cile. Un constat qui peut rap­pe­ler d’ailleurs celui de cer­tains SCoT. Si les docu­ments de pla­ni­fi­ca­tion de l’eau et de l’urbanisme entre­tiennent une hié­rar­chie défi­nie par les textes, le simple rap­port de com­pa­ti­bi­li­té entre les SCoT et les Sdage, ou les Sage, ne s’apparente sou­vent qu’à un exer­cice for­mel d’écriture de jus­ti­fi­ca­tions. Le décret du 2 décembre 2024 por­tant sur la moder­ni­sa­tion des Sage vise à amé­lio­rer la d décli­nai­son de leurs dis­po­si­tions et règles. Il rend ain­si obli­ga­toire une notice expli­ca­tive qui sera insé­rée dans les annexes des PLUi (plans locaux d’urbanisme inter­com­mu­naux). Les zones humides qui font l’objet d’une inter­dic­tion de des­truc­tion dans le règle­ment de Sage seront inté­grées à celui du PLUi. Enfin, les Sage seront ajou­tés au por­ter-à-connais­sance de l’État. En matière de gou­ver­nance, le décret vise éga­le­ment à élar­gir le fonc­tion­ne­ment des com­mis­sions locales de l’eau (CLE), véri­tables par­le­ments de l’eau, qui devraient être géné­ra­li­sées pour 2027, notam­ment en inté­grant un repré­sen­tant des struc­tures de SCoT. C’est un début pour ren­for­cer les pas­se­relles. Mais il serait plus effi­cace d’utiliser plei­ne­ment le rôle inté­gra­teur des SCoT, voire des inter-SCoT lorsque le péri­mètre du bas­sin hydro­gra­phique l’exige, en sys­té­ma­ti­sant comme per­sonnes publiques asso­ciées (PPA) élar­gies les struc­tures por­teuses de Sage et les CLE.

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Pho­to de cou­ver­ture : Pan­neau por­tant un PLU ima­gi­naire dans la nature. Cré­dit : Fran­ces­co Scatena

Pho­to : La confluence de la Durance avec le Rhône dans son bas­sin-ver­sant. Cré­dit : Domi­nique Grandemange/4Vents.fr/Aurav

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