Sortons sans modération
Ouverts à toutes et tous, gratuits, souvent adaptables, les espaces publics accueillent toutes les facettes des urbains : les simples promeneurs, les commerçants et leurs clientèles, les sportifs qui les traversent à petites ou grandes foulées, les familles en quête d’espace et/ou de verdure, les bandes de copains réunis sur les terrasses des cafés, les travailleurs en pause venus s’aérer, les groupes d’étudiants colonisant bancs et murets, les skateurs raclant leurs planches sur le mobilier urbain, les plus démunis en quête d’un peu de solidarité…
En cela, ils sont bel et bien le « théâtre de la vie urbaine », comme l’a si justement exprimé la présidente déléguée de la Fnau, Catherine Barthelet, en ouverture de cette 45e Rencontre nationale des agences d’urbanisme, accueillie avec brio par l’agence d’urbanisme, de développement et du patrimoine du Pays de Saint-Omer.
Parce qu’ils ont le potentiel d’être conçus de façon toujours plus démocratique – pour tout le monde, sans distinction d’âge, d’origine, de moyens, de classe sociale –, ces espaces ont cette extraordinaire capacité à matérialiser en un seul lieu la plus pure expression de nos valeurs républicaines, qu’ils s’étendent sur quelques centaines de mètres carrés ou plusieurs hectares. En cela, nous leur devons la plus grande attention et le plus grand soin : ils sont un bien commun.
Il aura fallu qu’une crise de grande ampleur vienne nous rappeler l’utilité des choses. N’avons-nous pas tous rêvé, pendant ce printemps 2020 incroyablement ensoleillé, de nous rouler dans l’herbe ou de courir à en perdre haleine, alors que nous étions confinés dans ce qui nous semblât soudain des « clapiers », privés de presque tout contact physique ?
Depuis cinq ans, de conférences en rencontres, de colloques en congrès, nous n’avons jamais autant parlé de la nécessité des squares, des places, des parcs, des jardins, des quais…
Au-delà de cette soif d’extérieur, nous avons également repris conscience que les espaces publics constituaient des lieux essentiels de nos échanges démocratiques, où se jouaient la qualité de nos liens sociaux, notre capacité à cohabiter et même notre santé.
Un besoin d’air libre qui vient s’opposer aux sphères de pensées et bulles culturelles générées par les chaînes d’information continue, les plateformes de streaming et les médias « sociaux », dans lesquels les algorithmes nous maintiennent.
L’espace public, c’est se frotter à l’autre, c’est habituer son esprit à l’altérité – des corps, des origines, des opinions –, c’est s’astreindre à une dose quotidienne d’inattendu, c’est prendre le risque de s’exposer à une rencontre qui peut changer le cours de notre journée – et pourquoi pas celui de notre vie ?
Aussi vrai que la liberté d’expression ne s’use que quand on ne s’en sert pas, pour paraphraser Le Canard enchaîné, la démocratie s’use plus vite quand on ne sort pas de chez soi.
Rodolphe Casso
Photo de couverture : Quentin Maillard/Tourisme en Pays de Saint-Omer
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