La cartographie participative pour redessiner son territoire

Afin de représenter une ville avec les sensibilités de celles et ceux qui l’habitent, la cartographie participative apparaît comme une solution accessible au plus grand nombre, et souvent ludique. Une stratégie adoptée par la Scop La Capitainerie, qui, en organisant des réunions publiques sous des formes artistiques et décalées, en a fait un outil central de concertation publique.

 

Qui ne connaît mieux son ter­ri­toire que celui qui l’habite ? Pour car­to­gra­phier une région, les asso­cia­tions, col­lec­tifs ou collectivités choi­sissent par­fois de tendre le crayon aux citoyens. La car­to­gra­phie par­ti­ci­pa­tive s’impose ain­si comme un outil de concer­ta­tion publique, qui per­met de représenter des espaces sur la base de données sen­sibles, contrai­re­ment aux cartes pro­duites par des ins­ti­tu­tions. Pour Tho­mas Maillard, maître de conférences à l’École natio­nale supérieure d’architecture et de pay­sage (Ensap) de Bor­deaux, cette dis­ci­pline fonc­tionne comme la démocratie par­ti­ci­pa­tive : « Ça va de la simple infor­ma­tion citoyenne à l’auto-gestion. » Selon lui, la car­to­gra­phie per­met à la fois de « représenter son quar­tier sur OpenS­treet­Map, de manière ano­dine, et de gérer, pla­ni­fier et se réapproprier son territoire ».

Éminemment poli­tique, la car­to­gra­phie peut être utilisée à différentes échelles. Elle est volon­taire, comme lorsqu’une ONG col­lecte des infor­ma­tions nécessaires, à la suite d’une catas­trophe natu­relle, par exemple. Mili­tante, quand un col­lec­tif conçoit une carte pour aler­ter les pou­voirs publics (lire p. 62). En 2019, ce fut le choix de cer­tains habi­tants de San Fran­cis­co, à la suite de la loi Ellis Act [1986, ndlr], qui donne aux propriétaires le droit d’expulser plus faci­le­ment leurs loca­taires. À tra­vers une carte inter­ac­tive représentant les loge­ments de la ville, les acti­vistes ont mis en évidence le nombre mas­sif d’expulsions au fil des ans. Au Mexique, le col­lec­tif Ico­no­cla­sis­tas aide, quant à lui, les orga­ni­sa­tions sociales, envi­ron­ne­men­tales, éducatives et cultu­relles du pays à faire émerger cer­tains problèmes que subissent les minorités au tra­vers de cro­quis et de cartes. « On peut don­ner de la voix aux gens qui n’en ont pas. », explique Tho­mas Maillard. Enfin, elle peut être employée par les collectivités et les asso­cia­tions pour repen­ser l’aménagement du territoire.

Car­to­gra­phier les rêves

Basée à Tou­louse, Lyon et Sar­zeau (Mor­bi­han), La Capi­tai­ne­rie a fait de la car­to­gra­phie par­ti­ci­pa­tive un outil cen­tral de son bureau d’études. Cette Scop (Société coopérative et par­ti­ci­pa­tive), composée de deux archi­tectes, d’une urba­niste et d’une gra­phiste, pro­pose des dis­po­si­tifs de concer­ta­tion inno­vants, pour des pro­jets d’aménagement urbains ou de construc­tion col­lec­tive du ter­ri­toire. « On aborde la concer­ta­tion comme un axe poli­tique qui mène vers plus de sobriété dans l’usage de l’argent public et plus de jus­tesse dans les pro­po­si­tions architecturées », précise Suzie Pas­sa­quin, l’une des archi­tectes de l’équipage. La Capi­tai­ne­rie orga­nise des réunions publiques sous des formes artis­tiques et décalées.

En 2019, à Mont­be­ron (Haute-Garonne), les par­ti­ci­pants de la concer­ta­tion du grand pro­jet de réaménagement de la traversée de la com­mune se sont munis d’un rou­leau adhésif bleu et de dix jeux de construc­tion Kapla® représentant 100 000 euros. Ils ont alors hiérarchisé les lieux à rénover ou à construire dans leur ville selon leurs usages quo­ti­diens. Des­si­ner des cartes au sol de manière ludique per­met concrètement « d’intégrer au mieux les usa­gers dans la modi­fi­ca­tion du ter­ri­toire et de les faire inter­agir plus libre­ment », reprend l’architecte tou­lou­saine. « On ne vou­lait pas faire une concer­ta­tion de façade, on sou­hai­tait vrai­ment qu’elle soit poly­morphe pour cocons­truire le pro­jet avec le plus d’habitants pos­sible », insiste Romain Pouyenne-Vignau, conseiller muni­ci­pal chargé de l’animation du pro­jet Cœur de village.

La mai­rie a fait appel à la Scop dans le cadre de ce pro­gramme natio­nal, pour inter­ro­ger les habi­tudes des Mont­be­ron­nais, notam­ment en termes de mobi­lité. Dans cette com­mune de moins de 3 000 habi­tants, proche de Tou­louse, les par­ti­ci­pants ont également des­siné leur par­cours de tous les jours : le tra­jet mai­son-bureau d’un actif en voi­ture, le che­min d’un retraité pour ache­ter son pain, ou encore la route empruntée par les jeunes à vélo dans ce vil­lage périurbain. Des zones de dan­ger, comme cer­tains car­re­fours ou des pas­sages piétons, ont ain­si pu apparaître. « La car­to­gra­phie per­met de faire émerger des choses aux­quelles per­sonne n’avait pensé », ajoute Tho­mas Maillard. Pour lui, elle per­met aus­si de mettre des mots sur les aspi­ra­tions des habi­tants : « Ce diag­nos­tic par­tagé est très effi­cace pour croi­ser les expériences et faire émerger les peurs, les rêves ou les espoirs de la population. »

Lire la suite de cet article dans le n°432 

Emma Conquet 

© Elza Lacotte

Un commentaire

  • Olivier Ouisse

    27 juillet 2023 à 12h36

    Bon­jour superbes ini­tia­tives que celles-ci nos repré­sen­ta­tions du monde qui nous entoure. Des ini­tia­tives qui com­plètent celles déjà réa­li­sées par le pas­sé sur de nom­breux conti­nents et notam­ment en Sud-Amé­ri­cain auprès de popu­la­tions autoch­tones. Une manière de voir les choses éclai­rantes à biens des niveaux, socio­lo­gique, urbaine et artis­tique et pou­vant nous éclai­rer aujourd’­hui sur les nou­veaux outils numé­riques, comme les Jumeaux numé­riques, objets connec­tés et le concept de” ville intel­li­gente”. Une autre approche une autre manière d’envisager les chose tout aus­si éclai­rante. Bravo

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