L’essor et la précision de la cartographie moderne doivent beaucoup à la découverte et à la représentation des zones de relief, et pas uniquement pour des raisons militaires. D’abord négligées, les montagnes devront attendre le XXe siècle pour devenir un centre d’intérêt scientifique, puis touristique.
La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre était le titre d’un ouvrage d’Yves Lacoste, qui a fait date. Pourtant, s’il est indéniable que la cartographie doit historiquement beaucoup aux campagnes militaires, le constat n’est pas aussi vrai pour les territoires de montagne, que l’on a davantage cherché à explorer d’abord pour des raisons scientifiques (la première ascension du mont Blanc en 1786 étant réalisée pour approfondir les observations géologiques du savant genevois Horace-Bénédict de Saussure), puis pour « conquérir » (pacifiquement) ses sommets, bien que certaines zones stratégiques, dans les Alpes par exemple, ne fussent pas étrangères aux intérêts militaires (comme en attestent les fortifications), comme tout espace de contact international que constituent bien souvent les montagnes en tant que « frontières naturelles ».
Des campagnes militaires au développement des sports de montagne
La géographie et la cartographie ont longtemps ignoré les espaces de montagne (lieux considérés comme «maudits», périlleux et mystérieux), pour se concentrer sur les côtes et les grands axes fluviaux; les navigateurs et les empereurs considérant notamment que les forts reliefs constituaient des barrières physiques sans grand intérêt pour découvrir de nouvelles terres et en exploiter leurs ressources. Les montagnes n’ont, en réalité, été qu’un élément « décoratif » des grandes cartes continentales des XVIe et XVIIe siècles, sauf pour les zones de passage, essentielles au commerce, que sont les grands cols, tels que, pour les Alpes, le Mont-Cenis, le Grand-Saint-Bernard, le Simplon, le Saint-Gothard ou le Brenner.
Bien plus tardivement, même la géographie régionale de Paul Vidal de La Blache, si étroitement liée à l’avènement de la IIIe République, n’a pas spécifiquement accordé d’importance à la description des montagnes (le Tableau de la géographie de la France, de 1903, du maître de la Sorbonne ne consacrant que sept petites pages aux Alpes, essentiellement à propos des bourgs et des vallées) ; à la différence de son contemporain anarchiste Élisée Reclus, dont la Nouvelle géographie universelle, de 1877, s’y intéresse davantage, accordant en particulier une plus grande importance à la représentation (y compris cartographique, pour ce voyageur infatigable, participant notamment à la réalisation des Guides-Joanne, ancêtres des Guides-Bleus).
Ce n’est qu’au cours du XXe siècle que Raoul Blanchard, élargissant la géographie régionale à d’autres objets (géographie économique et sociale et non plus seulement physique) que ceux de son maître Vidal, fonde à Grenoble l’Institut de géographie alpine. Il fait alors véritablement des Alpes son terrain d’observation géographique et cartographique, de manière tout à fait pionnière (y compris par ses études urbaines à propos d’Annecy, Nice et Grenoble); ses héritiers universitaires Paul et Germaine Veyret poursuivant son œuvre (et son magistère) à partir des années 1960.
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Damien Augias
Première carte topographique de la Suisse au 1:100 000, la « carte Dufour » est la première carte officielle de tout le territoire suisse (1845–1865). Géoportail de la Confédération suisse. © Données : swisstopo