Gaël Musquet : « La donnée produite par la puissance publique devait revenir au public »

Gaël Musquet, fondateur du projet collaboratif de cartographie en accès libre OpenStreetMap
Météorologue, spécialiste des risques, passionné par les communs et les communautés, engagé pour la défense de l’intérêt général, Gaël Musquet est un contributeur de premier plan du projet collaboratif de cartographie en accès libre OpenStreetMap. À un peu plus de 40 ans, ce geek baigné dans la culture et les outils low-tech, semble avoir déjà eu plusieurs vies. Retour sur le parcours du « petit gars des Abymes », devenu un Mercator du xxie siècle.

 

D’où vient votre voca­tion, com­ment s’est-elle nourrie ?

Quand j’avais 8 ans, en 1988, j’ai eu un petit acci­dent domes­tique qui a nécessité quelques points de suture. À l’hôpital, le jeune interne, pour me cal­mer avant de me coudre, m’a demandé ce que je vou­lais faire comme métier plus tard. Je lui ai répondu: « Conduire de gros engins, les bull­do­zers, les exca­va­trices, les rou­leaux com­pres­seurs. » Et il m’a rétorqué : « Oh là ! C’est dif­fi­cile, et tu vas bos­ser dans le chaud, on est en Gua­de­loupe, avec en plus la cha­leur du gou­dron… Tu n’as pas envie de faire autre chose ? (Rires) Qu’est-ce que tu aimes d’autre ? » Je lui ai dit : « J’aime faire des bêtises. » « Ah bon ? C’est quoi des bêtises ? » « J’aime mélanger des pro­duits chi­miques, un peu mettre le feu… » Il a conclu : « Bon, eh bien, voi­là, ce sera ton métier, tu seras un scien­ti­fique, un chimiste. »

De retour de l’hôpital, j’ai demandé à ma mère de m’acheter une encyclopédie pour com­prendre ce que le jeune interne venait de m’expliquer et m’engager dans mon futur métier : les sciences. L’année sui­vante, en sep­tembre 1989, l’ouragan Hugo a balayé la Gua­de­loupe. Mon père avait tout préparé – il est pas­teur et pom­pier – et nous avons accueilli, mes parents et moi, nos voi­sins pen­dant la tour­mente. Il faut ima­gi­ner huit per­sonnes, les adultes qui cal­feutrent les fenêtres, tan­dis que les enfants sont mis à l’abri dans les toi­lettes pour la nuit.

Au lever du soleil, la mai­son fami­liale était par­tiel­le­ment détruite; notre grosse citerne avait volé de l’arrière vers l’avant de la mai­son. Je me suis dit : « C’est incroyable ce qu’il vient de se pas­ser. » Mes oncles sont arrivés et, là, je me suis ren­du compte que c’était grave, parce que j’ai vu dans leurs yeux la tris­tesse. Ils nous ont raconté com­ment ils avaient vécu cet oura­gan chez ma grand-mère, com­ment ils ont essayé de rete­nir le toit avec des cordes et failli se faire empor­ter avec ce toit, qui s’était trans­formé en cerf-volant géant. Ils ont failli y perdre la vie. Je me suis juré que mon métier, plus tard, serait d’empêcher que ce genre de phénomène ne se repro­duise ou, en tout cas, qu’on puisse mieux les gérer. J’ai donc passé une grande par­tie de mon ado­les­cence à la compréhension de ces phénomènes, à la récupération de cartes de la Caraïbe vierges, pour pou­voir poin­ter tous les ans, avec l’aide des tech­ni­ciens de Météo‑France, les itinéraires des différents oura­gans et tempêtes qui affec­taient la zone.

En 1996, j’ai eu accès à Inter­net et pu me connec­ter au pre­mier ser­veur de l’armée américaine qui met­tait à jour, en open data, les données de sui­vi en temps réel des oura­gans. Je fai­sais un peu le bul­le­tin météo tous les matins quand j’arrivais au lycée, et je me suis vrai­ment orienté vers ça. J’ai eu la chance de pou­voir faire mes études jusqu’en prépa en Gua­de­loupe, puis je suis arrivé dans l’Hexagone en 2001, pour faire mes études d’ingénieur météo au Havre, à l’Esigelec, dans les domaines de la concep­tion, la fabri­ca­tion, du pro­to­ty­page des ins­tru­ments météorologiques. Donc, mon vrai métier, ce n’est pas prévisionniste (rires), c’est la concep­tion d’instruments. Mais l’entreprise où j’étais appren­ti a fermé sa divi­sion météo, qui était en dif­fi­culté. Je suis par­ti à l’UTT à Troyes, où j’ai pour­sui­vi mes études sur un tronc com­mun génie industriel.

 

Com­ment avez-vous démarré votre carrière ?

Je suis deve­nu fonc­tion­naire au ministère de l’Écologie, au Centre d’études tech­niques de l’équipement (CETE) d’Aix-en-Provence, spécialisé en recueil et en ana­lyse de données. Mais très vite – nous sommes en 2005 –, mon appétence pour l’informatique, pour les logi­ciels libres, pour Linux, m’a conduit à m’investir dans une jeune com­mu­nauté bal­bu­tiante, née au Royaume-Uni : OpenS­treet­Map. Des citoyens qui par­ve­naient, avec des enre­gis­treurs GPS, à car­to­gra­phier les ter­ri­toires, à les caractériser. À l’origine, OpenS­treet­Map n’était pas une com­mu­nauté de car­to­graphes, mais d’informaticiens, dont le cre­do était que la donnée pro­duite par la puis­sance publique devait reve­nir au public.

 

Pou­vez-vous nous expli­quer un peu plus ce qu’est OpenStreetMap ?

À l’origine d’OpenStreetMap, il y a Steve Coast, un Anglais, qui demande à l’Ordnance Sur­vey – l’équivalent de l’IGN en Angle­terre – de lui mettre à dis­po­si­tion les données car­to­gra­phiques qui sont pro­duites par la puis­sance publique. Or, il se rend compte qu’il n’obtiendra qu’une par­tie de ces données, et à condi­tion de les payer, mais aus­si que les licences d’Ordnance Sur­vey ne per­mettent pas une réutilisation libre des données car- togra­phiques acquises.

Il décide alors de créer, en août 2004, une base de données contri­bu­tive dans laquelle seront mutualisées toutes les données car­to­gra­phiques des uti­li­sa­teurs. Ce pro­jet a mobi­lisé un grand nombre de développeurs, qui ont intégré à la base les données car­to­gra­phiques états-uniennes (les données Tiger), qui étaient de moins bonne qua­lité que celles de l’IGN ou de l’Ordnance Sur­vey, mais qui étaient et sont tou­jours dans le domaine public. À par­tir de cette intégration a com­mencé, pour les contri­bu­teurs OpenS­treet­Map européens – Alle­mands, Français et Anglais : les communautés les plus actives –, la col­lecte des données libres à y inclure, telle la base Corine Land Cover, pour l’occupation du sol, et le développement du moteur de ren­du car­to­gra­phique. Toutes les données d’OpenStreetMap étaient et sont libres, à l’époque sous la licence Crea­tive Com­mons, deve­nue aujourd’hui l’Open Data Base Licence.

 

Lire la suite de cet article dans le n°432 

Pro­pos recueillis par Julien Meyrignac 

© D.R.

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