La surélévation ou le potentiel du foncier aérien

Docteure en architecture et urbanisme et chercheuse associée au laboratoire Amup de Strasbourg, Géraldine Bouchet-Blancou est l’autrice de l’ouvrage La Surélévation des bâtiments. Densifier et rénover à l’échelle urbaine (Le Moniteur, 2023). Elle revient sur le potentiel du foncier aérien, qui rencontre cependant encore trop d’obstacles pour se déployer à grande échelle.

 

En levant plu­sieurs freins à la sur­élé­va­tion et en sup­pri­mant le COS (coef­fi­cient d’occupation des sols), la loi ALUR de 2014 a ouvert un vaste gise­ment de fon­cier aérien. Cette réforme pro­met­tait de résoudre plu­sieurs pro­blé­ma­tiques urbaines : limi­ter l’étalement urbain, finan­cer la réno­va­tion du parc bâti, pro­duire de nou­veaux loge­ments abor­dables ou sociaux en zones ten­dues, et valo­ri­ser le patri­moine archi­tec­tu­ral. Une décen­nie plus tard, l’intérêt pour la sur­élé­va­tion s’est inten­si­fié, par­ti­cu­liè­re­ment depuis l’arrêt pro­gram­mé de l’artificialisation, et de plus en plus de col­lec­ti­vi­tés se mobi­lisent pour iden­ti­fier le poten­tiel de den­si­fi­ca­tion de leur territoire.

Bien que le nombre d’opérations réa­li­sées ait aug­men­té et conti­nue de croître, elles res­tent cepen­dant concen­trées dans les ter­ri­toires à forte ten­sion immo­bi­lière – Paris, Lyon, les grandes métro­poles, ou des sec­teurs pri­sés tels que les sta­tions de mon­tagne. Et même dans ces ter­ri­toires très den­sé­ment bâtis, une infime par­tie seule­ment du poten­tiel de fon­cier aérien est exploi­tée. Quant aux carac­té­ris­tiques des opé­ra­tions réa­li­sées, elles répondent encore impar­fai­te­ment aux pro­messes avan­cées par les poli­tiques publiques, en par­ti­cu­lier celle de l’abordabilité des loge­ments pro­duits. Les ambi­tions étaient-elles trop éle­vées ? Com­ment faire en sorte que les ver­tus de la sur­élé­va­tion puissent réel­le­ment être mises à pro­fit à grande échelle et répondre aux enjeux actuels ? En France, mal­gré les évo­lu­tions régle­men­taires visant à encou­ra­ger la sur­élé­va­tion, le poten­tiel de fon­cier aérien réel­le­ment exploi­table reste limi­té en rai­son de nom­breux freins per­sis­tants. Cer­taines mesures per­met­traient pour­tant de réduire ces obs­tacles et de rendre l’exploitation de ce poten­tiel plus viable, plus attrayante et plus acces­sible, notam­ment dans les ter­ri­toires moins ten­dus. La sur­élé­va­tion des mai­sons indi­vi­duelles consti­tue la majo­ri­té des opé­ra­tions réa­li­sées chaque année, visant prin­ci­pa­le­ment à accroître la sur­face habi­table. La créa­tion d’un second loge­ment sur le toit d’une mai­son est plus contrai­gnante pour le maître d’ouvrage et requiert un accom­pa­gne­ment spé­ci­fique. Cette pra­tique com­mence donc seule­ment à émer­ger, mais pré­sente un poten­tiel pro­met­teur pour une den­si­fi­ca­tion douce. La créa­tion de nou­veaux loge­ments par sur­élé­va­tion s’inscrit essen­tiel­le­ment dans des opé­ra­tions de réha­bi­li­ta­tion. Dans ce contexte, l’ajout de sur­faces utiles est sou­vent envi­sa­gé pour opti­mi­ser le bilan éco­no­mique du pro­jet, la sur­élé­va­tion n’étant pas tou­jours pré­vue dès l’origine.

La sur­élé­va­tion en site occu­pé, qu’il s’agisse de copro­prié­tés, de mono­pro­prié­tés ou d’immeubles de loge­ment social, pré­sente des défis logis­tiques signi­fi­ca­tifs. La construc­tion doit pou­voir s’effectuer sans inter­ven­tion lourde au sein des étages exis­tants et l’acceptabilité sociale est pri­mor­diale. En copro­prié­té, le prin­ci­pal enjeu est d’obtenir le consen­sus des copro­prié­taires, tan­dis que pour les immeubles de loge­ment social, la qua­li­té de vie des loca­taires doit être soi­gneu­se­ment pré­ser­vée. Mal­gré ces contraintes, les pro­jets se mul­ti­plient dans le parc social, où cette pra­tique s’avère par­ti­cu­liè­re­ment adap­tée. En effet, les bailleurs sociaux dis­posent déjà des droits à bâtir, les pro­jets ne néces­sitent pas l’approbation des loca­taires, et les carac­té­ris­tiques archi­tec­tu­rales des immeubles – telles que les toits plats et la régu­la­ri­té de leur agen­ce­ment – faci­litent leur exten­sion par surélévation.

De nom­breux cri­tères et autant de contraintes

Pour être exploi­té, un « poten­tiel » de sur­élé­va­tion doit répondre à de nom­breux cri­tères. Le pro­jet doit pro­po­ser un pro­gramme auto­ri­sé, s’implanter sur un toit plat ou à la place de combles inoc­cu­pés, et res­pec­ter un gaba­rit conforme aux règles d’urbanisme, aux ser­vi­tudes et à la notion de « por­té atteinte ». La mor­pho­lo­gie du poten­tiel doit per­mettre de géné­rer un volume et une super­fi­cie exploi­tables, suf­fi­sants pour amor­cer l’opération et en sup­por­ter le risque finan­cé (en cas de refus de per­mis ou d’impossibilité tech­nique). Le pro­jet doit éga­le­ment inclure les mises aux normes de l’édifice exis­tant (acces­si­bi­li­té, sécu­ri­té incen­die) et satis­faire aux obli­ga­tions régle­men­taires (ascen­seur, sta­tion­ne­ment, locaux com­muns), ou obte­nir une déro­ga­tion. Il doit aus­si être tech­ni­que­ment réa­li­sable, ce qui implique de véri­fier la capa­ci­té struc­tu­relle de l’édifice et la résis­tance du sol, ou d’envisager des ren­forts si néces­saire. Enfin, le pro­jet doit obte­nir le consen­te­ment des dif­fé­rentes par­ties pre­nantes : copro­prié­taires éven­tuels, ser­vices ins­truc­teurs, ins­tances patri­mo­niales, chef des pom­piers, et par­fois même le voi­si­nage, dont les recours peuvent influen­cer le nombre d’étages effec­ti­ve­ment auto­ri­sé. Ces risques et incer­ti­tudes favo­risent une concen­tra­tion des opé­ra­tions de sur­élé­va­tion dans les sec­teurs très ten­dus, où « le jeu en vaut la chan­delle » et où les prix de vente des loge­ments créés en sur­élé­va­tion atteignent des som­mets. Dans ce contexte, le finan­ce­ment de la réno­va­tion éner­gé­tique par la sur­élé­va­tion, bien que sou­hai­table, entre par­fois en contra­dic­tion avec l’enjeu de pro­duc­tion de loge­ments « abor­dables ». Encou­ra­ger la sur­élé­va­tion à grande échelle en espé­rant qu’elle contri­bue à la répa­ra­tion de la ville, tout en lais­sant un mar­ché immo­bi­lier déré­gu­lé fixer les règles et en appli­quant des règle­ments conçus pour la construc­tion neuve, consti­tue une injonc­tion contra­dic­toire. Cela limite autant l’exploitabilité des poten­tiels que la pro­duc­tion de loge­ments répon­dant aux enjeux actuels. Sor­tir le fon­cier aérien de la spé­cu­la­tion en régu­lant son exploi­ta­tion et en rédui­sant les risques et incer­ti­tudes grâce à une pré-accep­ta­bi­li­té (du gaba­rit et pro­gramme) per­met­trait de rendre la sur­élé­va­tion plus viable, notam­ment dans les sec­teurs en tension.

Géral­dine Bouchet-Blancou

Lire la suite de cet article dans le numé­ro 441 « Dense, dense, dense » en ver­sion papier ou en ver­sion numérique

Pho­to de cou­ver­ture : Les ruelles étroites de Grasse (Alpes-Mari­times). Cré­dit : Lah­cène Abib/Divergence

Pho­to : Le pro­jet Kopf­bau de sur­élé­va­tion de la Halle 118, un batî­ment indus­triel, a été réa­li­sé à Win­ter­thur, en Suisse, par le cabi­net d’architecture Baubü­ro in situ. Cré­dit : Baubü­ro in situ ag/Martin Zeller

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


À pro­pos

Depuis 1932, Urba­nisme est le creu­set d’une réflexion per­ma­nente et de dis­cus­sions fécondes sur les enjeux sociaux, cultu­rels, ter­ri­to­riaux de la pro­duc­tion urbaine. La revue a tra­ver­sé les époques en réaf­fir­mant constam­ment l’originalité de sa ligne édi­to­riale et la qua­li­té de ses conte­nus, par le dia­logue entre cher­cheurs, opé­ra­teurs et déci­deurs, avec des regards pluriels.


CONTACT

01 45 45 45 00


News­let­ter

Infor­ma­tions légales
Pour rece­voir nos news­let­ters. Confor­mé­ment à l’ar­ticle 27 de la loi du 6 jan­vier 1978 et du règle­ment (UE) 2016/679 du Par­le­ment euro­péen et du Conseil du 27 avril 2016, vous dis­po­sez d’un droit d’ac­cès, de rec­ti­fi­ca­tions et d’op­po­si­tion, en nous contac­tant. Pour toutes infor­ma­tions, vous pou­vez accé­der à la poli­tique de pro­tec­tion des don­nées.


Menus