La ville à hauteur d’enfant
Professionnels de l’urbanisme et collectivités travaillent de concert pour redonner leur place aux enfants dans l’espace public du quotidien. Revégétalisation des cours d’écoles, rues aux écoles, requalification des pieds d’immeubles ou encore design actif pour encourager la mobilité et l’activité physique, sont autant de solutions pour y parvenir tout en associant les acteurs locaux.
Sécurité oblige, les enfants ont presque disparu des rues de nos villes, protégés par des parents inquiets. Pour Céline Lecas, urbaniste et fondatrice de l’agence Récréations urbaines, c’est aussi la voiture qui a grignoté de l’espace, imposé sa vitesse. Fatalité ? Non, des villes et des professionnels promeuvent des aménagements où enfants et ados retrouvent une place physique.
On pense d’abord aux établissements scolaires et à leurs abords. La revégétalisation des cours d’école est à la mode. Il s’agissait au départ de lutter contre l’imperméabilisation des sols et contre les îlots de chaleur urbains, quand la différence entre la température urbaine et les zones rurales voisines de 50 kilomètres est d’au moins 4 °C et peut aller jusqu’à 8 °C 1. Mais au-delà des impératifs liés au changement climatique, c’est aussi une chance pour les enfants. On en profite, en effet, pour rapporter des supports de jeux, repenser les relations entre filles et garçons. L’accaparement de l’espace par ces derniers et leurs ballons est contesté. Mais que fait-on sans ballons ? Des endroits peuvent être prévus pour discuter, lire un livre… Des végétaux ou une mai- son magique permettent de se cacher. L’aménagement de creux, bosses et marches suscite des jeux. Dangereux ? « Non, il n’y a pas plus d’accidents que dans des cours sans obstacles et bitumées, où les enfants courent vite et se percutent plus fortement », observe Nicolas Gauvain, directeur Enfance et Éducation à la Ville de Rennes. Réaménager, c’est parfois retravailler les limites : « Un mur entre deux cours peut laisser place à un marquage au sol, des bancs ou des niveaux de sols différents », illustre Céline Lecas. Rennes revégétalise, elle, deux à trois cours d’écoles pour 6 000 m² par an, et cela, en régie depuis le début du mandat. « Sur les aires de jeux des cours d’école, on met l’accent sur l’inclusivité : tous doivent pouvoir jouer ensemble », observe Lucile Koch, conseillère municipale Ville à taille d’enfant à la Ville de Rennes. Des abords des écoles sont retravaillés, à commencer par les entrées. Ainsi, le parvis du groupe scolaire Ariane-Capon, à Lille, réalisé en 2022, accueille une aire de jeux avec de grands poteaux au milieu des arbres, très appréciée des parents et de leurs enfants, à l’entrée et à la sortie des classes. Sont pris aussi en considération les trajets entre les salles de cours et la cantine : « On y travaille par un marquage au sol, une signalétique abaissée, des pictogrammes pour les maternelles…, sans tomber dans le tout ludique », précise Céline Lecas.
Rues scolaires et pédibus
Les « rues aux écoles » se multiplient. Il s’agit, selon la Sécurité routière, de « voies publiques situées à proximité d’un établissement scolaire où, temporairement (horaires d’entrées et de sorties de classes) ou de manière permanente, l’accès est interdit aux voitures », l’objectif étant d’assurer la sécurité des enfants. Sur ses 89 écoles publiques et privées, Rennes compte, par exemple, une dizaine de rues aux écoles, non circulées lors des entrées et sorties. Elle en vise à terme une vingtaine : « Certaines écoles n’en ont pas besoin, car leur environnement est déjà protégé », indique Lucile Koch. Même s’il s’agit aussi de favoriser l’accès à l’école à pied ou à vélo, la Ville a prévu des arrêts minute à proximité de ces rues aux écoles. Attention, toutefois, ces rues scolaires n’ayant pas d’existence réglementaire, leur signalisation n’est pas homogène. Les déplacements vers l’école sont aussi considérés. Un challenge « À l’école à vélo » a été lancé, en 2021, par l’Eurométropole de Strasbourg (EMS) et l’association CADR67. Objectif ? Promouvoir la mobilité active auprès des enfants et parents entre domicile et école. Depuis cette année, le challenge est ouvert à tous les modes de déplacement hors voiture. En 2024, 75 écoles y ont participé. À Rennes, le budget participatif des enfants (50 000 euros par an) a permis de voter, en mai dernier, en faveur de la création d’une piste cyclable à double sens vers une école. Enfin, les pédibus, trajets sécurisés à pied, constituent aussi une alternative intéressante à la voiture. Au Vernet (Allier), une voie verte a été ouverte avec des arrêts et horaires pour deux lignes. Mais la mobilité des enfants ne se résume pas aux trajets vers l’école primaire. Grande-Synthe (Nord) a, par exemple, réalisé une voie verte de 3,5 kilomètres avec deux passerelles reliant le quartier du Moulin à un groupe scolaire, un gymnase, un collège et un lycée.
Et l’habitat et ses abords ? Les bailleurs sociaux comprennent que porter attention à la sécurité et au bien-être de l’enfant est un facteur d’attractivité. Des requalifications de pieds d’immeuble accompagnent la rénovation de ces derniers, comme pour le bailleur Vilogia à Villeneuve‑d’Ascq (Nord). « Les habitants n’utilisaient ces pieds d’immeuble que comme lieux de passage », note Céline Lecas. Ont alors été installés des bancs, une plateforme pour s’asseoir différemment et des jeux extérieurs, avec surveillance possible par les parents. Les enfants s’amusent, sur des établis accolés aux murs, à faire « de la cuisine »… avec de la boue, de l’herbe, des feuilles… Une haie protège ce secteur des dealeurs éventuels. À Mont-Saint-Aignan (Seine-Maritime) aussi, l’aire de jeux installée dans un nouveau quartier résidentiel livré par le promoteur Linkcity, en 2022, à côté d’une épicerie en circuit court et d’une crèche, n’est pas clôturée, ce qui la rend accessible aux enfants d’autres quartiers.
Frédéric Ville
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Photo de couverture : Le village du Bois Bouchaud, à Nantes, ensemble médico-social intergénérationnel de la Croix-Rouge. © Thomas Louapre / Divergence
Photo : Les cours d’école misent aussi sur le design actif. Ici, jeu en bois de type Mikado dans une école. Crédit : Ville de Saint-Dizier