Un havre pour les seniors

La municipalité multiple les projets d’aménagements pour améliorer l’intégration des publics de plus de 65 ans. Elle est allée jusqu’à refondre entièrement son mode de gouvernance pour tenir ce pari.

 

Au Havre, un habi­tant sur cinq a désor­mais plus de 65 ans. Et la ten­dance ne risque pas de s’améliorer : selon les pro­jec­tions, un quart de la popu­la­tion havraise aura plus de 65 ans en 2030. Un véri­table bou­le­ver­se­ment pour la col­lec­ti­vi­té. « À par­tir de cette date, les plus de 65 ans seront plus nom­breux que les moins de 15 ans, autre­ment dit, la courbe des âges s’inversera com­plè­te­ment. Or, nos villes ne sont pas encore pen­sées pour s’adapter », s’alarme Flo­rence Thi­bau­deau-Rai­not, adjointe au maire du Havre. Manque d’assises, de sup­ports pour se rele­ver, de lieux pour se sou­la­ger ou encore peur de ne pas avoir le temps de des­cendre du bus à temps…, les obs­tacles psy­cho­lo­giques sont nom­breux pour les seniors qui sou­haitent se dépla­cer en toute auto­no­mie en ville. « Ce sont des détails idiots, mais qui ne le sont pas dans les faits », estime l’élue. Au Havre, les pre­mières réflexions sur le sujet de l’inclusion de ces publics ont com­men­cé à émer­ger, il y a quelques années. Les ser­vices des biblio­thèques de la Ville cher­chaient alors à inci­ter les seniors à se rendre davan­tage dans ces lieux qu’ils esti­maient sous-fré­quen­tés par ces publics. « Par­fois, ce sont des choses simples à mettre en place, comme poser les livres au bon endroit. Le per­son­nel a eu l’idée de pla­cer les livres à gros carac­tères à l’entrée et non pas au fond [ce qui néces­site plus de temps de dépla­ce­ment et génère de la fatigue pour les seniors, ndlr]. Nous avons obser­vé une aug­men­ta­tion des emprunts de 30 %. À la suite de cette ini­tia­tive, nous avons réorien­té notre poli­tique d’achat », témoigne San­drine Baraffe, char­gée de mis­sion stra­té­gie vieillis­se­ment au centre com­mu­nal d’action sociale (CCAS). Depuis, d’autres ini­tia­tives sont venues s’ajouter dans les espaces rece­vant du public. « Nous tra­vaillons avec les théâtres pour pro­po­ser des spec­tacles avant 20 heures. Nous sen­si­bi­li­sons aus­si les struc­tures sur l’importance de pou­voir accé­der aux sani­taires faci­le­ment [barres de rele­vage, accom­pa­gner le che­mi­ne­ment avec un signal lumi­neux, etc.], car cela reste un frein psy­cho­lo­gique pour les seniors », pour­suit la char­gée de mis­sion. Par­fois, ce sont des détails déri­soires qui peuvent faire la dif­fé­rence, comme ins­tal­ler une assise aux endroits stra­té­giques. Le muséum d’histoire natu­relle a, par exemple, revu sa poli­tique en matière de mobi­lier d’assise à l’intérieur de ses salles d’exposition.

Une expé­ri­men­ta­tion a aus­si eu lieu dans le quar­tier prio­ri­taire de Blé­ville où un par­cours de pro­me­nade a été amé­na­gé à l’aide d’ergothérapeutes et d’habitants. Un réfé­ren­tiel de mobi­lier urbain et d’aménagement pour les seniors a été mis au point après cette expé­ri­men­ta­tion. Selon lui, le banc idéal com­prend un dos­sier et des accou­doirs, sa pro­fon­deur d’assise est entre 40 et 46 cm, l’angulation de son dos­sier de 100 °. Dans la mesure du pos­sible, une zone tac­tile devant le banc doit être pré­vue ain­si qu’un éclai­rage mini­mum pour y accé­der en sécu­ri­té en cas de dépla­ce­ment noc­turne. La cou­leur du mobi­lier doit être contras­tée avec celle de l’environnement pour faci­le­ment le repé­rer. Il faut lais­ser un empla­ce­ment laté­ral pour per­mettre le posi­tionne- ment d’une per­sonne en fau­teuil rou­lant, par exemple, ou encore d’une pous­sette. Les bancs doivent être espa­cés au maxi­mum de 300 mètres. La col­lec­ti­vi­té sou­haite impo­ser par la suite ce réfé­ren­tiel à tous les autres pro­jets d’aménagement : réha­bi­li­ta­tion d’un quar­tier, nou­velle place, etc.

Revê­tir un cos­tume de vieillissement

La réflexion s’est même éten­due jusque dans la poli­tique de signa­li­sa­tion et dans les trans­ports publics. Les pan­neaux des­ti­nés aux pié­tons n’indiquent plus seule­ment la durée de tra­jet, mais le kilo­mé­trage afin de ne pas stig­ma­ti­ser ou décou­ra­ger les seniors. Les durées d’arrêt aux feux rouges ont été aug­men­tées. Alors que le bus est le mode le plus uti­li­sé par ces publics, les for­ma­tions des chauf­feurs de bus com­prennent, entre autres, une mise en situa­tion. « Nous avons tra­vaillé avec la com­mu­nau­té des chauf­feurs sur la pro­blé­ma­tique du vieillis­se­ment, car ceux-ci tra­vaillent, même par­fois sans le savoir, auprès de ce public. Il était néces­saire de les for­mer davan­tage afin qu’ils prennent conscience des pos­sibles fra­gi­li­tés de l’avancée en âge », explique la col­lec­ti­vi­té. Au cours de leur for­ma­tion, les chauf­feurs se voient ain­si pro­po­ser de revê­tir un cos­tume de vieillis­se­ment qui ajoute volon­tai­re­ment du poids, ce qui com­plique les mou­ve­ments et les dépla­ce­ments de celui qui le porte. Ces mou­ve­ments sont en par­tie réduits à des endroits stra­té­giques, par exemple au niveau des arti­cu­la­tions. Des lunettes modi­fient éga­le­ment la vision en la ren­dant plus floue, ce qui per­met de se mettre dans la peau d’une per­sonne âgée. Aujourd’hui, l’opérateur de trans­port sur l’agglomération du Havre, Trans­dev, a acquis son propre cos­tume et dis­pense ses propres for­ma­tions. Outre les sen­si­bi­li­sa­tions auprès des pro­fes­sion­nels, les arrêts de bus ont été ren­dus acces­sibles et adap­tés à des défi­ciences visuelles et cog­ni­tives. « Les cais­sons des abris des arrêts ont été agran­dis, la police de carac­tère gros­sie et adap­tée afin de rendre les infor­ma­tions plus lisibles », détaille Romuald Urvoy, chef de pro­jet au sein du ser­vice ingé­nie­rie et dépla­ce­ments de la Ville.

Emma­nuelle Picaud 

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Pho­to de cou­ver­ture : Le vil­lage du Bois Bou­chaud, à Nantes, ensemble médi­co-social inter­gé­né­ra­tion­nel de la Croix-Rouge. © Tho­mas Louapre / Divergence

Pho­to 1 : Anne-Bet­ti­na Brunet

Pho­to 2 : Un banc plus adap­té aux seniors dans le quar­tier de Blé­ville. Cré­dit : D. R.

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