Le PLUi entre la théorie et la pratique

Les territoires font avancer leurs plans locaux d’urbanisme (PLU) en même temps que leurs opérations d’envergure. Tantôt c’est la règle qui nourrit le projet, tantôt le terrain avance plus vite que le cadre juridique. Pour traduire les intentions en actes, l’essentiel est de s’assurer des retombées sur le terrain.

C’est l’histoire de l’œuf et de la poule : qui des deux appa­raît le pre­mier ? Les plans locaux d’urbanisme inter­com­mu­naux (PLUi) ou les opé­ra­tions d’urbanisme ? Les PLUi récents ou en cours de révi­sion semblent se nour­rir des pro­jets urbains enga­gés ou à venir, rec­ti­fiant le tir pour les besoins opé­ra­tion­nels sui­vants. Les élus tra­vaillent leurs pro­jets et adaptent les docu­ments d’urbanisme via une modi­fi­ca­tion de droit com­mun ou en uti­li­sant une décla­ra­tion de pro­jet, une pro­cé­dure qui per­met de mettre en com­pa­ti­bi­li­té de manière simple et accé­lé­rée les docu­ments d’urbanisme si le pro­jet d’aménagement est d’intérêt général.

Pour Suzanne Brol­ly (1), vice-pré­si­dente de l’Eurométropole de Stras­bourg en charge de l’habitat, de la poli­tique fon­cière et immo­bi­lière, éga­le­ment adjointe à la ville rési­liente de la maire de Stras­bourg, l’idée est d’être à la « recherche per­pé­tuelle du juste équi­libre ». C’est opé­ra­tion après opé­ra­tion que cela se joue. « L’instruction des per­mis de construire au fil de l’eau nous oblige à pré­pa­rer des modi­fi­ca­tions à appor­ter », lors de l’évolution du PLUi. Par exemple, en cours de man­dat, « nous avons fait en sorte que le bail réel soli­daire [BRS, ndlr] ne se fasse pas aux dépens du loca­tif social. Les règles mises en place sont adap­tées au regard du contexte pour trou­ver des solu­tions », et réajus­ter les choses. Même convic­tion pour Eddie Defé­vère, vice-pré­sident en charge de l’urbanisme, de l’habitat et du PLUi‑H à Cœur de Flandre agglo­mé­ra­tion : « Nos docu­ments doivent être vivants. J’assume le fait de chan­ger d’avis. »

Tou­te­fois, cer­tains docu­ments ont l’ambition de pré­fi­gu­rer, d’ouvrir la voie à de nou­velles façons de faire : de nou­veaux élus vien­dront enga­ger une révi­sion géné­rale de PLUi pour asseoir un chan­ge­ment pro­fond d’orientations. Ils le feront à grand ren­fort d’OAP (orien­ta­tions d’aménagement et de pro­gram­ma­tion) qui viennent com­plé­ter le règle­ment, en pré­ci­sant les trans­for­ma­tions envi­sa­gées par la col­lec­ti­vi­té pour cer­tains péri­mètres ou cer­taines thé­ma­tiques. Depuis une ving­taine d’années, ces outils ont été retaillés pour faci­li­ter tou­jours plus les liens entre pla­ni­fi­ca­tion urbaine et amé­na­ge­ment opé­ra­tion­nel. Oppo­sables lors de la déli­vrance des auto­ri­sa­tions d’urbanisme, ces OAP peuvent même valoir acte de créa­tion de ZAC (zone d’aménagement concer­té) sous cer­taines condi­tions, depuis la loi Elan de 2018.

Émi­lie Vouille­met, sous-direc­trice de l’urbanisme et des pay­sages au sein de la Dhup (Direc­tion de l’habitat, de l’urbanisme et des pay­sages), cite le cas où une OAP peut trai­ter les thé­ma­tiques du sta­tion­ne­ment ou de la trans­for­ma­tion de bureaux en loge­ments dans le cadre d’une ZAC : elle sert alors « d’outil de trans­for­ma­tion », note-t-elle. Cette imbri­ca­tion entre la norme et le pro­jet n’est tou­te­fois pas sans poser d’interrogations. Car si les OAP ont pour voca­tion d’exprimer de manière qua­li­ta­tive les ambi­tions de la col­lec­ti­vi­té sur des por­tions de ville, plu­sieurs obser­va­teurs font remon­ter un frein majeur : celui de l’appropriation par les ser­vices ins­truc­teurs. La com­mu­nau­té urbaine Angers Loire Métro­pole l’a, par exemple, obser­vé dans le cas de son PLUi. Le docu­ment com­prend notam­ment une OAP thé­ma­tique « bio­cli­ma­tisme et tran­si­tion éco­lo­gique », dont l’un des objec­tifs est de conser­ver les élé­ments struc­tu­rants du pay­sage – avec fina­le­ment des dif­fi­cul­tés au stade de l’instruction. « Il y a par­fois une confu­sion sur l’objectif des docu­ments d’urbanisme : avec l’OAP, on va mon­trer ce qu’on veut faire sur dix pages, l’utiliser dans une dimen­sion péda­go­gique, et il y aura une ligne seule­ment dans le règle­ment. Der­rière, cela peut engen­drer des pro­blèmes pour les ser­vices ins­truc­teurs, car l’OAP ne dit pas exac­te­ment la même chose que le règle­ment et le zonage », appuie Carole Ropars, conseillère urba­nisme, mobi­li­tés et ges­tion des risques à Inter­com­mu­na­li­tés de France.

Jouer sur les deux tableaux pour mieux s’adapter

« Pour les élus, je n’ai pas l’impression qu’il y ait d’obstacles à alter­ner pro­jets et pla­ni­fi­ca­tion », fait valoir Émi­lie Vouille­met. Jouer sur les deux tableaux en même temps devient même une néces­si­té dans le contexte d’adaptation au dérè­gle­ment cli­ma­tique avec des pro­blé­ma­tiques telles que le recul du trait de côte. Le réajus­te­ment doit être per­ma­nent face à des pro­jec­tions instables à cent ans, comme dans le cas de Caen, où des « effets com­bi­nés de tem­pête de haute marée et d’épisodes plu­vieux pour­ront ame­ner des remon­tées d’eau dans le fleuve » sus­cep­tibles de pla­cer le cœur de la ville « en situa­tion dif­fi­cile », pro­longe Michel Lafont, vice-pré­sident en charge du PLUi et de l’urbanisme de Caen-la-Mer. « Les pro­jets de ZAC ne peuvent qu’évoluer sur huit à dix ans, ils vivent parce qu’il y a des oppor­tu­ni­tés, des nou­veaux élé­ments de mar­ché, des chan­ge­ments dans les façons de faire… On doit donc s’adapter en per­ma­nence à la réa­li­té du moment, tout en res­tant dans l’esprit ini­tial. » Le PLU de Caen (le pre­mier PLU inter­com­mu­nal devrait être oppo­sable en 2027) « est au ser­vice de pro­jets », mais il per­met aus­si qu’il n’y ait « pas de pro­jets sur un espace dans lequel on ne sait pas encore ce que l’on veut faire », pour­suit l’élu. En 2023, la muni­ci­pa­li­té est allée jusqu’à « mettre sur pause » une ZAC (Nou­veau Bas­sin) déjà concé­dée et pour laquelle le plan-guide avait été fice­lé : une opé­ra­tion de 2 500 loge­ments et 35 000 m² d’activité éco­no­mique qui devait se déployer sur une par­tie des 300 hec­tares d’anciens fon­ciers indus­triels sur la presqu’île.

Lucie Roma­no

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Pho­to de cou­ver­ture : Pan­neau por­tant un PLU ima­gi­naire dans la nature. Cré­dit : Fran­ces­co Scatena

Pho­to : Dans les cinq objec­tifs du pro­jet urbain tou­lou­sain figure la créa­tion de cinq grands parcs, par­mi les­quels le Grand Parc Canal, dont le plan-guide a été confié à un groupe d’aménagement, pilo­té par l’Atelier Jac­que­line Osty. Cré­dit : Mai­rie de Tou­louse.

1/ Inter­ro­gée comme une par­tie des per­sonnes inter­viewées dans cet article à l’occasion de la jour­née « pla­ni­fi­ca­tion ter­ri­to­riale » orga­ni­sée, le 5 décembre 2024, à Paris, par la DGALN (Direc­tion géné­rale de l’aménagement, du loge­ment et de la nature).

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