Avec près de 850 000 emplacements pour 7 500 terrains, la France abrite le plus gros parc européen de camping. Depuis une quarantaine d’années, certains de ces lieux de tourisme connaissent un phénomène de résidentialisation. Docteur en sociologie, Gaspard Lion a mené une enquête au long cours pour en comprendre les mécanismes, dont il fait le récit dans Vivre au camping (Seuil, 2024).
Le camping résidentiel se développe à partir des années 1980 en France. Quelles en sont les raisons ?
Dès la seconde moitié des années 1970, on observe, en France, un contexte de précarisation de l’emploi et l’installation d’un chômage structurel de masse, associé à un désinvestissement de la puissance publique dans le logement, exacerbé par la forte envolée des prix de l’immobilier, au début des années 2000. Cela conduit à un décrochage structurel entre les prix des logements et les ressources des ménages. Le camping résidentiel se déploie ainsi dans les périphéries des grandes agglomérations, sur le littoral et dans les territoires ruraux, où la part des personnes dont les dépenses en matière de logement sont excessives est la plus importante. En parallèle, on assiste dans les années 1990 à une montée en gamme de l’offre de mobil-homes, de plus en plus conçue pour des occupations prolongées. Progressivement, il devient donc une réponse alternative pour ces classes populaires qui ont un emploi et aspirent à devenir propriétaires, mais sont dans l’incapacité de l’être sur le marché traditionnel.
Depuis le début de votre enquête, observez- vous une augmentation de cette population ?
Les gérants et le travail réalisé dans les archives témoignent effectivement d’une très forte augmentation. Celle-ci est concomitante de l’aggravation de la crise du logement et de la forte hausse du nombre de personnes sans domicile. Dans les années 2000, ces dernières étaient environ 145 000. Selon les estimations, ils sont plus de 330 000 aujourd’hui. Cette explosion est corrélée au nombre de ménages mal-logés, plus de 4 millions selon la Fondation Abbé-Pierre. Le phénomène est beaucoup plus massif aux États-Unis, où 7 % de la population vit dans un mobil-home ou une caravane, dont la moitié dans un camping.
L’enquête démontre des disparités dans le choix de ce lieu d’habitat, vous distinguez trois types de résidents. Quels sont-ils ?
La première catégorie regroupe les personnes les moins précarisées, qui sont insérées sur le plan professionnel et socio‑économique. Ce qui les conduit à s’installer dans des campings, plutôt haut de gamme, pour faire face à l’impossibilité d’accéder à la propriété d’un habitat individuel. C’est une manière de se libérer des contraintes connues auparavant sur le marché locatif, notamment la vie en logement collectif, qui pouvait être mal supportée. En effet, elles ont généralement été socialisées en milieu rural ou périurbain, et sont originaires de la région. La tranquillité et les équipements de loisirs sont des aspects valorisants pour ces personnes familières des campings. Elles vivent donc ce changement comme une satisfaction.
Maider Darricau
Photo : Hermance Triay