Mélanie Gambino est enseignante-chercheuse en géographie et directrice de l’équipe Dynamiques rurales de l’UMR au Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires (Lisst).
Sur quels territoires et quelles problématiques portent vos recherches ?
Depuis 2011, je travaille, d’une part, sur des territoires ruraux qui peuvent être qualifiés de périurbains, c’est-à-dire les franges rurales des centres urbains. Et, d’autre part, sur des territoires plus éloignés des grands centres urbains, mais avec lesquels ils entretiennent des relations d’interdépendance, de complémentarité, comme en Occitanie, les vallées des Pyrénées, ou les Causses. Mes travaux portent sur diverses thématiques et, notamment, celles relatives aux mobilités des jeunes, des 18–30 ans.
Quels sont vos principaux constats ?
Ces territoires sont des échelons très dynamiques des mobilités des jeunes, quels que soient leurs profils. Leurs mobilités locales très intenses induisent une très bonne maîtrise du territoire local, qui génère un ancrage fort. Mais plusieurs difficultés et fragilités pèsent sur ce constat, en particulier, ces dernières années, l’accroissement du coût de l’énergie, rendu très problématique par l’absence – le plus souvent – de transports en commun comme alternative, et qui affecte des populations souvent fragiles et parfois précaires. Quand je parle de mobilités, je n’hésite pas à aborder simultanément les questions de déplacements, notamment quotidiens – domicile-travail ou domicile-lieu d’étude, mais aussi pour des motifs d’achat, de santé, services, etc. –, et les questions d’habitat. Les périphéries ne sont pas assez considérées comme composantes des parcours résidentiels locaux et régionaux. Et les deux sont étroitement corrélées, mais pas forcément telles qu’on se les figure, parce que certaines idées reçues circulent : ce n’est pas parce que les territoires périphériques sont problématiques du point de vue des déplacements quotidiens qu’ils ne demeurent ou ne deviennent pas attractifs sur le plan résidentiel. Les périphéries jouent un rôle important dans les parcours de vie. C’est ce que j’observe dans les travaux que je mène avec des collègues géographes sur la région Occitanie.
Vit-on dans ces espaces périurbains ou ruraux, même très éloignés, de manière plutôt choisie ou subie ?
Le plus souvent, c’est choisi : s’installer en milieu rural correspond à la recherche d’un mode de vie très lié à l’habitat – une maison individuelle, du terrain, etc. –, mais pas exclusivement ; cela correspond aussi à la volonté de développer certains rapports au territoire, certains liens sociaux. Le plus souvent, c’est hérité : ce sont des jeunes qui ont grandi dans le rural ou le périurbain qui décident de s’y installer ou d’y revenir. Mais il y a d’autres mécanismes, notamment de jeunes qui ont développé un attrait pour ces territoires pour les avoir pratiqués durant leurs vacances, ou pour s’y être rendus pour un motif professionnel. Mais c’est encore subi dans de nombreuses situations. Ce que je trouve problématique, c’est à quel point la sociologie des espaces ruraux est mal saisie : ils sont beaucoup plus ouvriers que ce que le grand public et même les décideurs pensent. On y trouve un tissu industriel déclassé, et surtout des populations d’ouvriers plus nombreuses que dans l’urbain. Dans l’imaginaire collectif, il y a un récit positif sur la vie à la campagne, qui n’est pas celui des catégories populaires ou modestes qui y habitent. Dans les espaces ruraux, les emplois de l’agriculture et de l’agroalimentaire sont des emplois peu qualifiés et faiblement rémunérateurs ; sans compter qu’une grande partie des emplois relèvent des métiers de service à la personne, qui sont mal payés. Ce sont des secteurs d’activité qui sont sensibles aux crises diverses.
Propos recueillis par Julien Meyrignac
Crédit : D. R.