Les métropoles limitent l’impact environnemental de la population des pays de l’OCDE

En complément de l’article paru dans le numéro 427 de la revue Urbanisme (septembre-octobre 2022), qui porte sur le poids des métropoles dans la croissance démographique ou économique, mesurée par le PIB, Vincent Fouchier propose ici une autre analyse des singularités des métropoles sur un plan plus environnemental. Le propos vient parfois battre en brèche des idées reçues.

 

Pour por­ter un regard sur une autre facette de la place des métro­poles dans la crois­sance (démo­gra­phique ou éco­no­mique), il est utile d’analyser les condi­tions plus qua­li­ta­tives de cette crois­sance. Il est ici pro­po­sé d’a­na­ly­ser les don­nées de l’OCDE, notam­ment tirées du “Regio­nal Out­look 2021”. La per­for­mance com­pa­ra­tive des métro­poles vis-à-vis de leurs impacts en termes de consom­ma­tion d’espace ou de pol­lu­tion mérite un focus par­ti­cu­lier. Beau­coup pensent que les métro­poles, parce qu’elles concentrent les popu­la­tions et leurs acti­vi­tés, sont un pro­blème majeur pour la pla­nète. Ce n’est cepen­dant pas si vrai.

 

1) Les métro­poles pro­duisent mas­si­ve­ment des gaz à effet de serre… mais peu par habitant

Les ter­ri­toires métro­po­li­tains contri­buent à envi­ron 60 % des émis­sions de GES liées à la pro­duc­tion (hors émis­sions dues à l’u­ti­li­sa­tion des terres et au chan­ge­ment d’af­fec­ta­tion des terres) dans les pays de l’OCDE. Cepen­dant, les émis­sions métro­po­li­taines sont les plus faibles par habi­tant com­pa­ra­ti­ve­ment aux ter­ri­toires éloi­gnés des métro­poles. Les ter­ri­toires ruraux éloi­gnés peuvent émettre trois fois plus par habi­tant que les grands ter­ri­toires métro­po­li­tains, notam­ment dans les sec­teurs des trans­ports et de l’in­dus­trie. Ils contri­buent éga­le­ment le plus aux émis­sions agri­coles, sans sur­prise. Dans les ter­ri­toires métro­po­li­tains, les émis­sions pro­ve­nant de la pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té ain­si que du sec­teur rési­den­tiel contri­buent éga­le­ment lar­ge­ment. Dans tous les types de ter­ri­toires, les émis­sions de GES par habi­tant ont peu dimi­nué depuis 2010 (source : Regio­nal Out­look 2021, OCDE).

 

Les ter­ri­toires métro­po­li­tains sont les plus émet­teurs de gaz à effet de serre
Contri­bu­tion aux émis­sions de gaz à effet de serre par type de région, 2018
Note: OECD coun­tries, Roma­nia and Bul­ga­ria. Green­house gas emis­sions exclu­ding emis­sions from land use and land use change.
Source: OECD cal­cu­la­tions based on EDGAR, JRC (2020), TL3.

 

… mais les émis­sions de gaz à effet de serre par habi­tant sont net­te­ment plus éle­vées dans les ter­ri­toires reculés
Emis­sions de gaz à effet de serre (tonne équi­valent Co2) par habi­tant par type de région, 2018

Note: OECD coun­tries, Roma­nia and Bul­ga­ria. Green­house gas emis­sions exclu­ding emis­sions from land use and land use change.
Source: OECD cal­cu­la­tions based on EDGAR, JRC (2020).

 

2) Les métro­poles sont net­te­ment moins dépen­dantes à l’automobile que les ter­ri­toires moins den­sé­ment urbanisés

Le taux de moto­ri­sa­tion, à l’origine d’une part signi­fi­ca­tive des pol­lu­tions et consom­ma­tions d’énergie, varie beau­coup d’un pays à l’autre mais avec une constante : dans la très grande majo­ri­té des pays de l’OCDE, dont la France, les métro­poles affichent des taux de moto­ri­sa­tion moindres que les ter­ri­toires moins urba­ni­sés ou plus ruraux. Seuls l’Australie et quelques rares pays de l’Est euro­péen (dont la Pologne) dérogent à ce constat.

Ces dif­fé­rences entre métro­poles et autres ter­ri­toires sont bien connues et s’expliquent notam­ment par la mor­pho­lo­gie urbaine et les modes de vie qui lui sont liés : vivre loin de villes implique le recours mas­sif à l’automobile comme prin­ci­pal mode de trans­port (moins de trans­ports col­lec­tifs, plus de dis­tances à parcourir).

Note: 1) Latest avai­lable data year from 2010 onwards, for 24 OECD coun­tries. 2) Defi­ni­tions of pri­vate vehicles dif­fer across coun­tries. For example, the EU defines pas­sen­ger vehicles as vehicles “designed…for the car­riage of pas­sen­gers and not excee­ding eight seats”. The USA, on the other hand, defines pas­sen­ger vehicles pri­ma­ri­ly based on weight. Conse­quent­ly, SUVs are not clas­si­fied as pas­sen­ger vehicles, although they are often used this way in the USA. Hence, if it were inclu­ded the USA rates would be higher.

Source: moyenne pon­dé­rée ter­ri­toires TL3, OECD Statistics.

 

La France n’est pas dans le top 10 des pays pré­sen­tant les taux de moto­ri­sa­tion les plus forts, mais le « gra­dient » du taux de moto­ri­sa­tion (fort dans les espaces ruraux, moyen à proxi­mi­té des métro­poles et faible dans les métro­poles) se véri­fie plei­ne­ment. Beau­coup de pays pré­sentent néan­moins un plus fort écart de taux de moto­ri­sa­tion entre leurs métro­poles et le reste de leur ter­ri­toire. Clai­re­ment, l’alternative à la dépen­dance auto­mo­bile est plus facile dans les métro­poles qu’en dehors.

 

3) Des métro­poles plus denses, qui consomment moins d’espace / habi­tant que les autres territoires

Le niveau des den­si­tés est assez dif­fé­rent selon la taille des aires urbaines fonc­tion­nelles, que ce soit en France, en Europe ou à l’échelle de l’OCDE : les métro­poles de plus de 500.000 habi­tants, dans cha­cun de ces contextes, uti­lisent moins d’espace urba­ni­sé par habi­tant que les aires urbaines plus petites. Elles sont donc plus denses. L’écart est d’ailleurs beau­coup net en France qu’ailleurs, près du simple au double !

Au plan mon­dial, toutes tailles confon­dues, les aires urbaines fonc­tion­nelles euro­péennes et nord-amé­ri­caines sont moins denses que les métro­poles du reste du monde. Ain­si, le nombre de m² urba­ni­sé par habi­tant est sou­vent supé­rieur à 200 m² dans la plu­part des métro­poles nord-amé­ri­caines et euro­péennes (304 m² urba­ni­sé par habi­tant en France, qui figure par­mi les pays dont les aires urbaines fonc­tion­nelles sont les plus éta­lées), alors qu’il ne dépasse pas 100m² dans les métro­poles Coréennes ou mexi­caines. 

En termes d’évolution, la ten­dance est glo­ba­le­ment à la déden­si­fi­ca­tion : dans tous les contextes (France, Europe, OCDE), en moyenne, il faut de plus en plus de m² urba­ni­sés pour chaque habi­tant. Au cours de la période 2010–2014, on relève que, en France, les aires urbaines fonc­tion­nelles occupent 12m²/habitant de plus en 2015 par rap­port à 2010 (à com­pa­rer à +4m² pour l’ensemble des aires urbaines fonc­tion­nelles de l’OCDE).

En Aus­tra­lie néan­moins, toutes les aires urbaines fonc­tion­nelles – à l’exception de Dar­win — sont entrées dans une spi­rale ver­tueuse de construc­tion, la sur­face bâtie crois­sant net­te­ment moins vite que la popu­la­tion (mais elles res­tent très « éta­lées » : 467 m²/habitant). Une même dyna­mique s’observe au Cana­da ou au Chi­li. Il s’agit d’un tour­nant assez signi­fiant à défaut d’être déjà significatif.

Il faut sur­tout noter une grande dif­fé­rence de ten­dance en fonc­tion de la taille des aires urbaines. En effet, la varia­tion du nombre de m² urba­ni­sés par habi­tant entre 2000 et 2014 a été, en moyenne OCDE, très signi­fi­ca­ti­ve­ment supé­rieure dans les petites aires urbaines fonc­tion­nelles (moins de 500000 habi­tants) à celle des métro­poles de taille supé­rieure : +10,7% contre +2% en moyenne. En France, cette dis­tinc­tion est simi­laire, mais plus mar­quée encore : +10% dans les aires urbaines fonc­tion­nelles de moins de 500000 habi­tants contre +0,7% pour les aires plus peu­plées. 

Ceci est plu­tôt une nou­velle fois contre-intui­tif : les métro­poles les plus peu­plées semblent ain­si mieux maî­tri­ser leur éta­le­ment péri­phé­rique. Dit autre­ment, plus le déve­lop­pe­ment s’opère en dehors des métro­poles de plus de 500.000 habi­tants, plus il vient consom­mer en pro­por­tion des espaces natu­rels ou agri­coles pour chaque habitant.

Source : trai­te­ment des don­nées de l’OCDE
Pour rap­pel, les aires urbaines fonc­tion­nelles mesu­rées par l’OCDE incluent les espaces ruraux sous « influence » urbaine.

Source : trai­te­ment des don­nées de l’OCDE

Conclu­sion

Le mes­sage est donc clair : les métro­poles sont plus « ver­tueuses » que les espaces moins den­sé­ment peu­plés en termes de dépen­dance à l’automobile, en termes d’émission de gaz à effet de serre par habi­tant mais aus­si en termes de consom­ma­tion d’espace par habi­tant. Si la crois­sance démo­gra­phique s’orientait mas­si­ve­ment vers les espaces ruraux ou les petites villes, elle indui­rait ipso fac­to une aggra­va­tion glo­bale de l’impact envi­ron­ne­men­tal par habi­tant sur ces dimen­sions impor­tantes pour la planète.

 

Encart défi­ni­tions

La base de don­nées métro­po­li­taines de l’OCDE ren­seigne plus de 650 aires métro­po­li­taines de plus de 250000 habi­tants, afin de per­mettre des com­pa­rai­sons inter­na­tio­nales entre villes et métro­poles. Celles-ci sont mesu­rées à l’échelle des zones urbaines fonc­tion­nelles défi­nies comme des uni­tés locales den­sé­ment peu­plées d’au moins 50000 habi­tants et les uni­tés locales adja­centes dont au moins 15 % des actifs y tra­vaillent (elles sont donc plus larges que les « aires urbaines » de l’INSEE en France). Les 17 aires métro­po­li­taines fran­çaises de plus de 500000 habi­tants sont les sui­vantes (2018) :

  • Les métro­poles mul­ti­mil­lion­naires fran­çaises : Paris, Lyon
  • Les métro­poles fran­çaises mil­lion­naires : Lille, Tou­louse, Bor­deaux, Mar­seille, Nice
  • Les métro­poles « moyennes » fran­çaises (500000 à 1 mil­lion d’habitants) : Nantes, Stras­bourg, Mont­pel­lier, Rouen, Rennes, Gre­noble, Tou­lon, Tours, Nan­cy, Clermont-Ferrand

Pré­ci­sion méthodologique

Quand les don­nées ne sont pas dis­po­nibles au niveau des aires urbaines fonc­tion­nelles, des don­nées sont pré­sen­tées à l’échelle des ter­ri­toires de niveau TL3 (Ter­ri­to­rial Level 3) tels que défi­nis par la grille ter­ri­to­riale de l’OCDE (OECD, 2020). Les ter­ri­toires de niveau TL3 sont les « petites régions » (cor­res­pon­dant aux Dépar­te­ments en France).

L’Institut Mon­taigne et Vincent Fou­chier (pré­sident 2011–2021 du groupe de tra­vail de l’OCDE sur les poli­tiques urbaines et direc­teur géné­ral adjoint de la métro­pole Aix-Mar­seille-Pro­vence), auteur de la pré­sente note, remer­cient les per­sonnes sui­vantes pour leur contri­bu­tion Claire Hoff­mann, Eric Gon­nard et Mar­cos Diaz-Rami­rez, sous la direc­tion de Pao­lo Vene­ri et Rudi­ger Ahrend, divi­sion « Ana­lyse éco­no­mique, sta­tis­tiques et gou­ver­nance mul­ti-niveaux », CFE / OCDE.

Biblio­gra­phie complémentaire :
OCDE (2021), « OECD Regio­nal Out­look 2021: Addres­sing COVID-19 and Moving to Net Zero Green­house Gas Emis­sions », https://doi.org/10.1787/17017efe-en

Au sujet de l’auteur : Vincent Fou­chier, doc­teur en urba­nisme, est direc­teur géné­ral adjoint de la métro­pole Aix-Mar­seille-Pro­vence, char­gé du pro­jet métro­po­li­tain et du conseil de développement.

 

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