Le terme périphérie appliqué à la question urbaine a connu de nombreuses grilles de lecture et charrié de nombreuses représentations, souvent négatives – mais pas que. Retour historique sur les évolutions symboliques de ce mot aux multiples facettes et significations.
Le terme perifere apparaît au XIIIe siècle. Il désigne alors la « circonférence, le contour d’une figure curviligne ». C’est au XIXe siècle qu’il prend le sens qu’on lui connaît encore de nos jours, en lien direct avec l’expansion de la ville industrielle. S’il désigne généralement des espaces déshérités, il peut également se référer à un certain type de territoires où l’on met en œuvre des programmes d’habitations destinés à améliorer la vie des habitants qui y vivent. Il convient dès lors d’adopter une grille de lecture historique afin de mieux saisir les évolutions polysémiques de ce terme à l’époque contemporaine, en particulier celui se rapportant aux banlieues.
Pour cela, il faut commencer par l’étude de l’émergence des périphéries urbaines au XIXe siècle. Dans le cadre du vaste mouvement d’urbanisation qui caractérise l’Europe au XIXe siècle, en particulier en Grande-Bretagne et en France, les périphéries urbaines se définissent désormais par rapport aux villes-centres d’où l’explosion urbaine a jailli initialement de manière brutale. L’industrialisation qui ne cesse de se développer requiert des espaces d’implantation de plus en plus importants. Étant donné la saturation des villes traditionnelles, ce sont désormais les villes industrielles ainsi que leurs périphéries qui impriment le mouvement urbain.
À partir de la seconde partie du XIXe siècle, elles connaissent les plus forts taux d’urbanisation. Dans son étude sur Paris, la ville et sa banlieue, publié en 1933, le géographe Albert Demangeon évoque ainsi l’irrésistible force d’attraction de la banlieue parisienne : « Somme toute, c’est par un déferlement continu de la population au-delà des murailles et des faubourgs que se caractérise le paysage urbain. Le développement des fonctions commerciales et politiques dans le centre de la ville refoule vers la banlieue une masse d’habitants. La cherté des terrains éloigne aussi de la ville et des quartiers suburbains les établissements industriels. Il y a déversement de la vie urbaine sur toute la province prochaine (2). » De 1851 à 1911, plus d’un tiers (36,6 %) de la croissance urbaine française se trouve absorbée par la capitale et sa banlieue qui, en valeur absolue, passe sur le siècle de 500 000 habitants à près de 4 millions (3). Ce « déversement », qui n’est pas sans rappeler le célèbre urban sprawl nord-américain, suscite de nombreuses critiques de la part des observateurs de la croissance urbaine. Dans le droit fil des représentations des faubourgs anciens, les nouvelles périphéries urbaines sont très souvent perçues comme des espaces déshérités, privés de toutes les qualités. Dans un essai publié en 1923 sur la banlieue parisienne, le spécialiste des enquêtes sociales Jacques Valdour, à propos de la banlieue nord de Paris, écrit que « Saint-Ouen relève du type “banlieusard” : c’est le long faubourg moderne, fade, monotone, écœurant de banalité (4) ». Il faudrait évidemment un volume complet pour retracer l’histoire des représentations négatives produites envers les périphéries durant la première partie du XXe siècle, mais de nombreux travaux ont mis en exergue ces critiques, à commencer par ceux d’Annie Fourcaut.
Accueillir les nouvelles utopies urbaines
Mais résumer l’histoire de ces territoires à une approche négative ne serait que partiellement juste. Deux raisons principales à cela : d’une part, il existe des périphéries à l’époque contemporaine qui ont gardé leur cadre de vie traditionnel et qui apparaissent dès lors comme des espaces résidentiels préservés. On parle alors de banlieue résidentielle ou de villégiature (5). Il en existe encore de très nombreuses aujourd’hui qui ont su préserver leur cachet malgré la croissance des périphéries, comme Montmorency, au nord de Paris. D’autre part, celles-ci peuvent également accueillir de nouveaux quartiers où s’établit une sorte d’harmonie sociale qui entend rompre avec le tumulte urbain environnant. Ces derniers peuvent parfois s’établir à l’intérieur même des limites administratives de la grande ville.
Thibault Tellier
Lire la suite de cet article dans le n°439 « Périphéries ».
1) Vue cavalière du premier îlot de la cité-jardins de Suresnes, 1919. Source : Collections du MUS, Musée d’histoire urbaine et sociale de Suresnes
2) Cité par Thierry Paquot, « Banlieues, un singulier pluriel », Banlieues. Une anthologie, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2008, p. 13.
3/ Marcel Roncayolo, « Logiques urbaines », La Ville de l’âge industriel. Le cycle haussmannien (1840–1950), Histoire de la France urbaine, t. 4, Seuil, 1983.
4/ Jacques Valdour, Ateliers et taudis de la banlieue de Paris, Éditions Spes, 1923.
5) Isabelle Rabault-Mazières, « Villégiature et formation des banlieues résidentielles. Paris au XIXe siècle », Histoire urbaine, n° 41, décembre 2014, p. 63–82.