La crise sanitaire du Covid-19 a‑t-elle provoqué dans l’Hexagone un exode urbain voyant les métropolitains quitter massivement leurs habitats collectifs étriqués pour céder à l’appel de la nature et de l’espace dans nos petites villes et campagnes ? C’est ce qu’a tenté d’élucider le Puca avec une étude dont la réponse est, bien entendu, nettement plus nuancée. Décryptage avec ses auteurs.
En 2020, à l’issue du premier confinement, une petite musique s’installait dans les médias : une sorte « d’urba-phobie » se serait emparée des habitants des grandes villes, un besoin irrépressible d’espace se faisant sentir, certains franchissant le pas et quittant leur logement étriqué, sans extérieur, pour rejoindre le grand air de la campagne. Surfant sur cet air, des collectivités ont embrayé, développant un marketing territorial destiné aux urbains en mal de grands espaces, vantant la qualité de la vie et leurs dessertes avec les métropoles ou Paris. Après l’exode rural, nous serions entrés dans l’ère de l’exode urbain.
Pour questionner cette assertion qui se répandait dans les journaux, dès 2021, le Réseau rural français et le Plan urbanisme construction architecture (Puca), dans une démarche partenariale coordonnée par la Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (Popsu), décidaient de lancer une étude permettant d’objectiver et quantifier les flux de population post-Covid. Intitulée « L’exode urbain : un mythe, des réalités », son premier volet mené par trois équipes de chercheurs a permis de nuancer les faits et, surtout, de proposer une lecture fine des mouvements de déplacement sur le territoire français dans cette période inédite. « De nombreux médias se demandaient si la crise du Covid-19 avait également rendu la ville malade, précise la chercheuse en économie Marie Breuillé. Ils titraient sur l’exode de l’hyper-urbain, sur la renaissance rurale ou encore la revanche des petites villes. Pour étudier le phénomène, il fallait à la fois quantifier et qualifier les mouvements de population qui avaient lieu sur les territoires. » Pour ce faire, les trois équipes, complémentaires du fait de leurs disciplines et de leurs approches différentes, se sont réparti le travail sous la houlette d’Hélène Milet, coordinatrice du projet pour Popsu. « Jusque-là, les articles de presse s’appuyaient sur les données de vente des notaires, et des données de vente et de location des réseaux d’agences immobilières et de plateformes…, mais pour observer les conséquences quasiment en temps réel, il fallait mobiliser des données originales. »
Plutôt que d’utiliser les données de l’Insee ou de Bercy, qui accusent forcément un décalage de temps, les équipes de chercheurs se tournent vers des sites spécialisés comme Meilleurs Agents, Se Loger et La Poste. Les premières, pour suivre les intentions de mobilité à travers les requêtes des utilisateurs ; la dernière, pour constater les déménagements effectifs. « Deux équipes se sont partagé le travail quantitatif, ajoute Hélène Milet. La première, plutôt géographe, et la deuxième, composée de géographes et économistes, se sont appuyées sur des bases de données inédites permettant de saisir le “très chaud” des territoires, et au croisement de ces équipes, de construire un discours analytique. » Quant à la troisième équipe, composée de sociologues géographes qualitatifs, « elle a étudié le terrain en six territoires, pour observer les nouveaux arrivants, leurs profils, les causes de leur déménagement et comment les élus se positionnaient ».
Premier constat : pas de bouleversement géographique
Les résultats, livrés en février 2022, ont établi un constat à contre-courant de la tendance médiatique : finalement, le «monde d’après » ressemble très fortement à celui du « monde d’avant ». Il y a, bien sûr, eu des départs, mais rien qui permette d’user du terme « exode urbain ». Ce fameux retour au vert, vanté à longueur de portraits de néoruraux, n’est pas caractérisé. Dans les faits, la pandémie a accéléré les départs en provenance des grands centres urbains, en particulier des plus grandes métropoles, vers d’autres territoires, mais pas de manière massive. En priorité, ce sont des villes plus petites qui ont été sollicitées, ainsi que les couronnes périurbaines, accentuant la périurbanisation.
Marjolaine Koch
Lire la suite de cet article dans le n°439 « Périphéries »
Crédit photo : Corinne Rozotte / Divergence