Êtes-vous plutôt montagne ou littoral ? Allez-vous passer vos vacances d’été sur les plages ou opter pour les randonnées en altitude ? Certains associeront la montagne à l’hiver et l’été, au littoral. Mais, alors, pourquoi vouloir rassembler ces territoires périphériques que tout semble opposer ?
Les territoires de montagne et littoraux sont les premiers soumis aux effets du dérèglement climatique à la fois par la rapidité des changements en cours, mais également par l’impact que ce dérèglement peut avoir sur l’organisation territoriale, l’aménagement du territoire et leur économie résidentielle, productive et touristique. Ce sont également des territoires où le poids du tourisme est majeur pour l’économie locale, avec des flux de populations générés sur des périodes courtes au cours de l’année.
Sous pression, ces territoires sont sommés de s’adapter à très courte échéance, un virage difficile à prendre d’autant plus qu’il est actuellement réfléchi sous l’angle technique (replis stratégiques liés au recul du trait de côte, retenues collinaires, etc.), alors que le sujet, principalement sociétal, implique de construire un nouveau récit territorial. Mais, tout d’abord, quelques constats pour mieux cerner l’ampleur du phénomène.
Des impacts déjà bien visibles
Pour la montagne, les appels à sortir du modèle économique actuel se multiplient, et pour cause. Les températures grimpent plus vite, avec une augmentation supérieure à 2 °C dans les Alpes et les Pyrénées depuis l’ère préindustrielle, soit 0,6 °C de plus que sur le reste du pays, avec des impacts déjà bien visibles : recul spectaculaire des glaciers (70 % du volume de l’année 1850 perdu, dans les Alpes), pouvant mener à leur disparition totale (à l’image du glacier de Sarenne, à Alpe d’Huez, aujourd’hui quasiment disparu) ; dégradation du permafrost, générant de graves éboulements difficiles à anticiper ; réduction de l’enneigement naturel et limite pluie-neige qui remonte (sachant qu’à l’horizon 2100, 80 à 90 % du manteau neigeux auront disparu) ; réduction de la disponibilité en eau douce ; augmentation des zones de risques divers : glissement de terrain, formation de crevasses, chute de blocs rocheux. Ces changements obligent déjà les acteurs à faire preuve d’une formidable adaptabilité. La commune de Chamonix-Mont-Blanc doit, par exemple, constamment s’adapter en modifiant les itinéraires de randonnée (certains étant devenus trop risqués en raison d’éboulements), en déplaçant des refuges ou des bivouacs (celui de la Fourche ayant été détruit par un éboulement en 2022), en vidangeant le lac du glacier des Bossons (pour l’instant retenu par une langue glaciaire), en suspens au-dessus du village, pour éviter une catastrophe…
Côté mer, le recul du trait de côte interroge tous les acteurs politiques, experts et associations, citoyens depuis maintenant plusieurs années. Il faut dire qu’il concerne 650 km de littoral, dont 270 km à une vitesse moyenne de 50 cm par an et aucune région n’est épargnée. Le Cerema [Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, ndlr] a, en outre, publié il y a quelques mois une étude précisant que 1 000 logements seraient sous l’eau dans les quatre ans et que plus de 500 communes seront bientôt situées dans des zones côtières inhabitables. En effet, le recul peut atteindre 5 m/an en fonction des secteurs, ce qui est le cas de la façade maritime ouest allant du Mont-Saint-Michel à la pointe de La Hague.
D’ici à 2050, dans l’hypothèse où tous les ouvrages côtiers actuels continuent d’offrir la même protection, les impacts de l’érosion sont évalués à 761 ha urbanisés qui seront érodés et 6 600 locaux qui seront menacés (5 200 logements et 1 400 locaux d’activité). En l’absence d’ouvrages, l’étude du Cerema recense à l’horizon 2 100 plus de 500 000 ha (urbanisés, naturels agricoles ou forestiers) menacés, 450 000 logements (plus de 86 milliards d’euros), 53 000 locaux d’activité et 2 000 km de routes (départementales et nationales) et voies ferrées touchées. Au-delà de l’impact de l’érosion des côtes, le dérèglement climatique induit d’autres externalités : une augmentation de la fréquence des submersions marines (submersions permanentes de zones basses et submersions temporaires) ; une hauteur plus importante des vagues et une augmentation des risques sur les ouvrages et systèmes de défense contre la mer ; la remontée du biseau eau douce/eau salée, qui conduit à une diminution des ressources en eau douce pour les territoires littoraux ; l’acidification des océans impactant les écosystèmes et la biodiversité, diminuant les ressources halieutiques et fragilisant les filières économiques liées ; l’impact sur les écosystèmes, du fait de la salinité, de la turbidité et des modifications de températures des eaux. Le dérèglement climatique et les impacts qu’il génère sont massifs, déjà en cours et posent la question de l’avenir de ces territoires.
Timothée Hubscher
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Crédit photo : Évolution du glacier des Bossons de 1919 à 2019, Chamonix.(à gauche) Walter Mittelholzer, Eth-Bibliothek Zürich, 1919 ; (à droite) Dr Kieran Baxter, University of Dundee, 2019