De nouveaux récits pour les montagnes et pour les littoraux
WALTER MITTELHOLZER, ETH-BIBLIOTHEK ZÜRICH & DR KIERAN BAXTER, UNIVERSITY OF DUNDEE

Êtes-vous plutôt montagne ou littoral ? Allez-vous passer vos vacances d’été sur les plages ou opter pour les randonnées en altitude ? Certains associeront la montagne à l’hiver et l’été, au littoral. Mais, alors, pourquoi vouloir rassembler ces territoires périphériques que tout semble opposer ?

 

Les ter­ri­toires de mon­tagne et lit­to­raux sont les pre­miers sou­mis aux effets du dérè­gle­ment cli­ma­tique à la fois par la rapi­di­té des chan­ge­ments en cours, mais éga­le­ment par l’impact que ce dérè­gle­ment peut avoir sur l’organisation ter­ri­to­riale, l’aménagement du ter­ri­toire et leur éco­no­mie rési­den­tielle, pro­duc­tive et tou­ris­tique. Ce sont éga­le­ment des ter­ri­toires où le poids du tou­risme est majeur pour l’économie locale, avec des flux de popu­la­tions géné­rés sur des périodes courtes au cours de l’année.

Sous pres­sion, ces ter­ri­toires sont som­més de s’adapter à très courte échéance, un virage dif­fi­cile à prendre d’autant plus qu’il est actuel­le­ment réflé­chi sous l’angle tech­nique (replis stra­té­giques liés au recul du trait de côte, rete­nues col­li­naires, etc.), alors que le sujet, prin­ci­pa­le­ment socié­tal, implique de construire un nou­veau récit ter­ri­to­rial. Mais, tout d’abord, quelques constats pour mieux cer­ner l’ampleur du phénomène.

Des impacts déjà bien visibles

Pour la mon­tagne, les appels à sor­tir du modèle éco­no­mique actuel se mul­ti­plient, et pour cause. Les tem­pé­ra­tures grimpent plus vite, avec une aug­men­ta­tion supé­rieure à 2 °C dans les Alpes et les Pyré­nées depuis l’ère pré­in­dus­trielle, soit 0,6 °C de plus que sur le reste du pays, avec des impacts déjà bien visibles : recul spec­ta­cu­laire des gla­ciers (70 % du volume de l’année 1850 per­du, dans les Alpes), pou­vant mener à leur dis­pa­ri­tion totale (à l’image du gla­cier de Sarenne, à Alpe d’Huez, aujourd’hui qua­si­ment dis­pa­ru) ; dégra­da­tion du per­ma­frost, géné­rant de graves ébou­le­ments dif­fi­ciles à anti­ci­per ; réduc­tion de l’enneigement natu­rel et limite pluie-neige qui remonte (sachant qu’à l’horizon 2100, 80 à 90 % du man­teau nei­geux auront dis­pa­ru) ; réduc­tion de la dis­po­ni­bi­li­té en eau douce ; aug­men­ta­tion des zones de risques divers : glis­se­ment de ter­rain, for­ma­tion de cre­vasses, chute de blocs rocheux. Ces chan­ge­ments obligent déjà les acteurs à faire preuve d’une for­mi­dable adap­ta­bi­li­té. La com­mune de Cha­mo­nix-Mont-Blanc doit, par exemple, constam­ment s’adapter en modi­fiant les iti­né­raires de ran­don­née (cer­tains étant deve­nus trop ris­qués en rai­son d’éboulements), en dépla­çant des refuges ou des bivouacs (celui de la Fourche ayant été détruit par un ébou­le­ment en 2022), en vidan­geant le lac du gla­cier des Bos­sons (pour l’instant rete­nu par une langue gla­ciaire), en sus­pens au-des­sus du vil­lage, pour évi­ter une catastrophe…

Côté mer, le recul du trait de côte inter­roge tous les acteurs poli­tiques, experts et asso­cia­tions, citoyens depuis main­te­nant plu­sieurs années. Il faut dire qu’il concerne 650 km de lit­to­ral, dont 270 km à une vitesse moyenne de 50 cm par an et aucune région n’est épar­gnée. Le Cere­ma [Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobi­li­té et l’aménagement, ndlr] a, en outre, publié il y a quelques mois une étude pré­ci­sant que 1 000 loge­ments seraient sous l’eau dans les quatre ans et que plus de 500 com­munes seront bien­tôt situées dans des zones côtières inha­bi­tables. En effet, le recul peut atteindre 5 m/an en fonc­tion des sec­teurs, ce qui est le cas de la façade mari­time ouest allant du Mont-Saint-Michel à la pointe de La Hague.

D’ici à 2050, dans l’hypothèse où tous les ouvrages côtiers actuels conti­nuent d’offrir la même pro­tec­tion, les impacts de l’érosion sont éva­lués à 761 ha urba­ni­sés qui seront éro­dés et 6 600 locaux qui seront mena­cés (5 200 loge­ments et 1 400 locaux d’activité). En l’absence d’ouvrages, l’étude du Cere­ma recense à l’horizon 2 100 plus de 500 000 ha (urba­ni­sés, natu­rels agri­coles ou fores­tiers) mena­cés, 450 000 loge­ments (plus de 86 mil­liards d’euros), 53 000 locaux d’activité et 2 000 km de routes (dépar­te­men­tales et natio­nales) et voies fer­rées tou­chées. Au-delà de l’impact de l’érosion des côtes, le dérè­gle­ment cli­ma­tique induit d’autres exter­na­li­tés : une aug­men­ta­tion de la fré­quence des sub­mer­sions marines (sub­mer­sions per­ma­nentes de zones basses et sub­mer­sions tem­po­raires) ; une hau­teur plus impor­tante des vagues et une aug­men­ta­tion des risques sur les ouvrages et sys­tèmes de défense contre la mer ; la remon­tée du biseau eau douce/eau salée, qui conduit à une dimi­nu­tion des res­sources en eau douce pour les ter­ri­toires lit­to­raux ; l’acidification des océans impac­tant les éco­sys­tèmes et la bio­di­ver­si­té, dimi­nuant les res­sources halieu­tiques et fra­gi­li­sant les filières éco­no­miques liées ; l’impact sur les éco­sys­tèmes, du fait de la sali­ni­té, de la tur­bi­di­té et des modi­fi­ca­tions de tem­pé­ra­tures des eaux. Le dérè­gle­ment cli­ma­tique et les impacts qu’il génère sont mas­sifs, déjà en cours et posent la ques­tion de l’avenir de ces territoires.

Timo­thée Hubscher

Lire la suite de cet article dans le n°439 « Péri­phé­ries »

Cré­dit pho­to : Évo­lu­tion du gla­cier des Bos­sons de 1919 à 2019, Cha­mo­nix.(à gauche) Wal­ter Mit­tel­hol­zer, Eth-Biblio­thek Zürich, 1919 ; (à droite) Dr Kie­ran Bax­ter, Uni­ver­si­ty of Dun­dee, 2019

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